Texte intégral
Le JDD : Qu’est-ce qui a été le plus difficile au cours de la phase finale ?
Dominique Voynet : Le mélange constant des arguments techniques et des arguments politiques dans une discussion très complexe. Il ne fallait jamais prendre pour argent comptant ce qui était dit. J’ai d’ailleurs regretté qu’à ce stade de la négociation le Japon ne joue pas un rôle plus actif. L’autre difficulté fut que, si l’Europe a vraiment été, pour la première fois, reconnue comme interlocuteur, elle n’existe pas en tant que pouvoir politique. Il fallait donc mener une double négociation : vis-à-vis de l’extérieur puis, ensuite, à l’intérieur.
Le JDD : Votre sentiment pendant les dernières heures ?
Dominique Voynet : Pendant longtemps, j’ai pensé qu’il n’y aurait pas d’accord, les États-Unis voulant éviter de faire le moindre effort sur le territoire. J’ai aussi regretté que l’attitude des États-Unis ne permette pas d’impliquer les pays du tiers-monde dans l’accord final et même dans les discussions. Il est clair que leur intention est d’exporter leur « dette écologique » vers le tiers-monde. La France et d’autres pays de l’Union européenne se sont opposés à une mise en œuvre unilatérale des « permis de polluer » et ont exigé le report à la prochaine négociation de Buenos Aires en 1998. Là encore, l’Europe a occupé une position clé entre l’exigence américaine et l’opposition des pays du Sud.
Le JDD : Les points positifs et négatifs de l’accord ?
Dominique Voynet : Le bilan est très nettement supérieur à ce que nous attendions, mais très insuffisant : les États-Unis vont s’exonérer de faire les efforts fondamentaux, alors qu’ils émettent un tiers de la pollution en cause. Les maladresses américaines ont poussé les pays du tiers-monde à se rebeller parce qu’ils se sont sentis méprisés. Il ne s’agit pas de les sommer de faire un effort, mais de les aider, par des transferts de technologies.
Le JDD : Les craintes des petites îles États ou du Bangladesh ont été négligées.
Dominique Voynet : Oui. Pour ceux-là, comme pour la Camargue, par exemple, les dangers subsistent, puisqu’on n’en est ni à la stabilisation, encore moins à la diminution. Les États les plus menacés par les changements climatiques sont les grands oubliés de la conférence. On a trop négligé l’extraordinaire force d’inertie de ces pollutions. Le discours de ces petites îles a été acclamé, mais cela n’a rien changé sur le fond.
Le JDD : Que reste-t-il du vernis écologique du vice-président américain Al Gore ?
Dominique Voynet : Rien. Il s’est comporté de façon irresponsable. Tout le monde a relu les extraits de son livre qu’il a apparemment oublié. Al Gore est sous la pression du Sénat américain à majorité républicaine. Mais, puisqu’il sera probablement le prochain candidat démocrate à la présidence, il devrait songer à son opinion publique, plus sensible que les politiques et que les industriels aux dangers courus par la planète.