Texte intégral
RTL - mardi 2 décembre 1997
O. Mazerolle : Le groupe communiste s'est abstenu, dans sa quasi-totalité, hier, au moment du vote sur le code de la nationalité. Vous êtes en train d’inventer la participation sans approbation ? C'est nouveau ?
R. Hue : Non, je crois que nous avons, depuis le début, sur le projet de loi présenté par Mme Guigou, dit qu'une des questions fondamentales était d'accorder pleinement, totalement le droit du sol, c'est-à-dire dès la naissance. Alors, nous avons discuté dans le débat parlementaire, pour être entendus. Je crois qu'il faut partir du principe qu'un projet de loi présenté par le gouvernement, même quand il y a une majorité plurielle, là, à l’Assemblée pour éventuellement faire passer cette loi, doit être enrichie par le Parlement. Il y a un rôle du Parlement. Là, avec ce projet, nous avons le sentiment que des choses ont avancé.
O. Mazerolle : Ce n’est pas la première fois que vous vous abstenez ?
R. Hue : Non, et puis ce n’est peut-être pas la dernière. Je crois qu’il faut se mettre dans la tête, je le répète, que le Parlement doit jouer son rôle. Il faut s’habituer à cela. Il y a une autre voie que d’être godillot ou de se taire. Et donc, nous avons la volonté d’exercer pleinement notre rôle dans la majorité plurielle. Nous ne sommes pas suivistes.
O. Mazerolle : Pourriez-vous aller jusqu'à mettre le gouvernement en minorité si une majorité contre lui se dégageait ?
R. Hue : Là, en l'occurrence, le problème ne se pose pas en ces termes.
O. Mazerolle : Cela pourrait arriver ?
R. Hue : Je souhaite qu'il ne se pose pas en ces termes. Le gouvernement doit entendre un certain nombre de remarques faites par sa majorité plurielle. Par nature, une majorité plurielle est faite de sensibilités qui doivent pouvoir s'exprimer et retrouver place.
O. Mazerolle : Et si on ne vous entendait pas assez, vous pourriez voter contre ?
R. Hue : Écoutez, le problème ne se pose pas dans ces termes aujourd'hui.
O. Mazerolle : Sur l'immigration, cela pourrait arriver ?
R. Hue : Il y a la nécessité que nous soyons entendus. Il nous est arrivé de voter contre certains articles dans d'autres propositions et projets de loi.
O. Mazerolle : En faisant attention qu'une majorité n'arrive pas contre.
R. Hue : Oui, parce que nous ne sommes pas des gens irresponsables. Il est bien clair que nous participons au gouvernement et nous sommes heureux qu'un certain nombre de dispositions dans la politique gouvernementale satisfassent le groupe communiste, permettent à sa majorité de s'exprimer pleinement. Mais là, soyons bien clairs, la majorité plurielle est faite, je le répète, de sensibilités et il faut que cette diversité puisse se traduire. Dans le projet, hier, nous avons fait des propositions d'amendement, tout comme ta Commission des lois, ils n'ont pas été acceptés. Eh bien, cela ne participe pas d'une démarche qui conduit à ce qu'il y ait cet équilibre pluriel.
O. Mazerolle : Un peu totalitaire, le gouvernement ?
R. Hue : Non, je ne dis pas cela.
O. Mazerolle : Méprisant ? Inattentif ?
R. Hue : Non, non plus, je dis qu'il y a la nécessité de bien écouter et de ne pas être habité, à nouveau, parfois, par un certain hégémonisme.
O. Mazerolle : Il y a un projet gouvernemental sur les 35 heures. Le surcoût des heures supplémentaires sera limité à 25 % au maximum et peut-être moins. Considérez-vous que le projet de loi, tel qu'il est rédigé, est suffisamment orienté vers la création d'emplois ?
R. Hue : C'est un bon projet de loi. Naturellement, lorsqu'on va en venir à la discussion, là aussi, il y a des modifications à apporter. Je pense qu'il faut effectivement décourager le recours aux heures supplémentaires tel qu'il apparaît dans les textes.
O. Mazerolle : Vous voulez qu'elles soient taxées plus qu'elles ne le sont dans le projet de loi ?
R. Hue : Nous pensons qu'il faut travailler à des droits nouveaux. Je ne vais pas, aujourd'hui, développer ce que seront nos amendements - d'ailleurs le groupe doit en discuter.
O. Mazerolle : Il est suffisamment hardi, tel qu'il est là, pour la création d'emplois ?
R. Hue : Il me semble qu'il y a là la possibilité d'apporter une réponse. Ce ne sera pas la seule réponse au terrible fléau du chômage que nous pouvons apporter. Il y a le plan emploi-jeunes. Il y en a d'autres : je pense qu'il faut relancer la consommation. Mais il y a, avec ce projet de loi, un cadre, un échéancier, une méthode, et c'est bien ! Maintenant, je le répète, il va falloir se battre, parce que j'ai entendu ce que dit le futur patron du CNPF.
O. Mazerolle : Oui, il cogne fort, il veut déstabiliser M. Jospin ?
R. Hue : Je trouve d'ailleurs que les propos de M. Seillière sont inacceptables et dangereux. Les salariés ne manqueront pas de rappeler que le patronat de droit divin, c'est une autre époque. Il faut qu'on se mette cela dans la tête. Alors, j'ai entendu, ces dernières heures, que M. Seillière disait : mais non, on a interprété mon propos sur la volonté de déstabiliser le Premier ministre. Nous voyons bien qu'il y a une ligne, c'est la ligne que M. Gandois lui-même a appelé celle des tueurs. Nous n'allons pas nous laisser foire. Et il y a une expression du suffrage universel sur des engagements très concrets de notre peuple, eh bien nous les ferons appliquer.
O. Mazerolle : Sur l'euro, vous sonnez le tocsin, vous avez demandé à nouveau un référendum, il y a des manifestations de prévues, mais le gouvernement s'en fiche comme d'une guigne, il continue sur son air et il va faire l'euro.
R. Hue : Non, je crois que ce qui a été obtenu est important : pour la première fois, un Conseil européen extraordinaire sera consacré au fléau du chômage. Je suis satisfait qu'il se soit tenu même si, effectivement, on est loin du compte. Et il faut aller plus loin, bien plus loin dans la réorientation de la politique européenne.
O. Mazerolle : S'il n’y a pas de référendum, ce sera une rupture ?
R. Hue : Non, ce n'est pas cela. Pourquoi nous voulons un référendum ? Nous voulons un référendum d'abord parce qu'il y a un engagement qui avait été pris par le Président de la République en la matière et surtout, nous voulons un grand débat national. Le référendum sur Maastricht avait été un grand moment de débat démocratique dans le pays. Il faut effectivement qu'il y ait celte réorientation et nous voulons en débattre. C'est le sens aussi de la manifestation que nous proposons le 18 janvier à Paris, place de la République, sur ces questions.
O. Mazerolle : Est-ce que le PC a réglé tous ses comptes avec le stalinisme. La semaine dernière, à ce micro, J.-C. Gayssot nous disait que G. Marchais lui-même, sur son lit de mort, éprouvait le besoin, le désir d'en parler encore, de s'en expliquer.
R. Hue : Oui, il m'en a parlé quelques jours avant sa mort. Ce qui est clair, c'est que le débat qu'il y a avec le Livre noir est un débat qui peut être nécessaire. Je suis bouleversé par ce qu'a été le dévoiement de l'idéal communiste et les tragédies qui en ont été la conséquence. Il reste qu'aujourd'hui, il faut aller encore plus loin dans l'analyse historique. Il faut regarder et comprendre ce qui s'est passé : comment cela a pu être dévoyé. Mais la recherche historique, qui est indispensable, ne peut se confondre avec une certaine instrumentalisation de l'histoire au service d'objectifs politiques. Et on voit bien que S. Courtois, qui est le coordinateur de ce livre, lorsqu'il tente de convaincre sur le sens criminogène en quelque sorte du communiste, lorsqu'il essaye de faire un rapprochement absolument honteux entre nazisme et communisme, là, il ne fait pas œuvre d'historien. Il intervient dans un débat où nous voyons bien que ce n'est pas le hasard si cela vient dans la discussion aujourd'hui en France. Il y a une partie de la droite française qui voudrait, à travers ce débat, banaliser en quelque sorte l'extrême droite et le FN.
O. Mazerolle : Est-ce que vous pourriez dire, comme B. Eltsine : la révolution de 1917 a été une erreur historique grave ?
R. Hue : Je crois que cela mérite une réflexion bien plus approfondie que cela. Il y a eu, dans les conséquences de la révolution bolchévique, immédiatement après d'ailleurs, des conséquences lourdes, y compris sous forme de terreur, que l'on ne peut pas accepter et en même temps on ne peut pas résumer...
O. Mazerolle : Donc Lénine n'est pas tenu à l’écart des excès ?
R. Hue : Absolument pas. Personne n'est tenu à l'écart de l'analyse historique. Et il est clair que, sur ces questions, je suis tout à fait attentif au travail sérieux des historiens.
France 2 - lundi 15 décembre 1997
F. Laborde : Le débat sur l'immigration à l’Assemblée a été un peu musclé, cette nuit. On ne va pas parler tout de suite de l'attitude de l'opposition mais de celle des députés communistes puisqu'un certain nombre d'entre eux menacent de ne pas voter le texte Chevènement en disant que le PC n'est pas un parti godillot.
R. Hue : Je crois qu'il y a la campagne d'obstruction de la droite. Vraiment, cette droite n'en finit pas de vouloir, absolument, avoir la possibilité de passerelles avec le Front national et on le sent dans le débat à l'Assemblée. En ce qui concerne les députés communistes, leur volonté est d'arriver à un bon texte. Il y a des avancées incontestables avec le texte de J.-P. Chevènement mais il faut que le Parlement serve à quelque chose. Nous avons des amendements - un certain nombre d'entre eux ont déjà été repris dans la discussion par J.-P. Chevènement ; sur d'autres, cela bute et il faut que nous avancions ! Nous sommes pour apporter une amélioration sensible au texte. Nous n'avons pas une volonté de monopole mais en même temps, nous voulons être entendus. Oui, nous ne sommes pas des godillots.
F. Laborde : Ce n'est pas purement tactique, ces déclarations ? Finalement, les communistes vont le voter ce texte, non ?
R. Hue : Ce n'est pas tactique. Il y a la nécessité absolument d'améliorer ce texte. Il faut que ce texte se dégage beaucoup plus de ce qu'a été l'empreinte des lois Pasqua-Debré auparavant. Donc, il y a un travail à faire à l'Assemblée. Nous le conduisons dans cet esprit très constructif. Nous verrons ce que nous allons faire à l'issue de ce débat. Moi, je souhaite que nous puissions voter ce texte. Mais aujourd'hui, il faut que le débat se poursuive. Alors, rien à voir avec l'obstruction de la droite qui développe des thèses dangereuses, des thèses visant à faire porter à l'immigré tous les maux du monde. Cela, c'est une volonté de s'affirmer en situation par rapport au Front national.
F. Laborde : On a quand même un peu l'impression aujourd'hui que R. Hue, secrétaire national, est peut-être plus proche du gouvernement Jospin qu'un certain nombre de députés communistes à l'Assemblée nationale ?
R. Hue : Je ne crois pas.
F. Laborde : Vous l'aimez bien L. Jospin ! Vous ne vous en cachez pas !
R. Hue : Mais ce n'est pas une question de bien aimer L. Jospin ! Nous sommes dans un gouvernement pluriel, dans une majorité plurielle et je pense que les méthodes de gouvernement aujourd'hui sont quand même très différentes de celles du passé. Donc, il y a effectivement des possibilités de se retrouver. On a des convergences importantes et je pense que des dispositions comme les 35 heures, le plan emploi-jeunes portent l'empreinte des communistes. Ce n'est pas du suivisme du tout. Nous rejetons cette conception - et d'ailleurs vous venez de le dire - à propos de l'immigration. Nous regardons ce qui en fait, correspond à l'intérêt national et nous nous inscrivons dans cette démarche.
F. Laborde : Cela veut dire que vous n'envisagez pas de rappeler à l'ordre les députés communistes si, par hasard, ils étaient tentés par l'abstention ?
R. Hue : Mais ce n'est pas un problème de rappel à l'ordre. Les députés communistes sont complètement engagés dans la réussite du gouvernement et veulent être complètement partie intégrante de la majorité plurielle. C'est parce qu'ils veulent bien ancrer à gauche l'essentiel des textes qui nous sont proposés aujourd'hui qu'ils font leur travail de député. Vous vous rendez compte si, systématiquement, on était le doigt sur la couture du pantalon ! Non, il faut pouvoir débattre ! C'est la démocratie !
F. Laborde : On a l'impression que les Verts sont aujourd'hui plus aiguillon que les communistes à l'Assemblée !
R. Hue : Les communistes sont des gens responsables, ils prennent taules leurs responsabilités dans les débats qu'il y a actuellement. Je ne juge pas de l'attitude des Verts, ce n'est pas mon affaire. En tous les cas, je sais que les communistes souhaitent participer pleinement à l'élaboration de textes qui correspondent à l'intérêt général.
F. Laborde : Parlons de l'Europe puisqu'hier vous teniez un colloque. Vous avez parlé de la monnaie unique notamment. Vous demandez un référendum sur la monnaie unique. Cela, franchement, ce n'est pas du tout dans la ligne du gouvernement, c'est même plutôt dans la ligne du RPR et du Front national !
R. Hue : Vous voyez que ce n'est pas si simple que cela et qu'il y a des différences entre L. Jospin et moi ! Oui, nous savons qu'il y a des différences sur l'Europe. Elles existaient déjà avant que nous soyons au gouvernement ensemble et aujourd'hui, nous voulons avancer encore dans le débat qui fait nos différences et aussi nos convergences.
F. Laborde : Mais ce n'est pas faire le jeu du Front national que de demander un référendum sur la monnaie unique ?
R. Hue : Pas du tout. Je pense que si, aujourd'hui, on laissait au Front national le soin de dire ce qui ne va pas du côté de l'euro, on lui ouvrirait un champ extraordinaire. Nous, cela fait déjà bien longtemps que nous avons dit ce que nous pensions de l'euro. Nous ne pensons pas que ce soit l'outil adapté à la situation. Nous pensons qu'il est contradictoire même à la volonté de bien ancrer socialement l'Europe, notamment lui donner une dimension de progrès social en faveur de l'emploi. Dans nos rapports avec le parti socialiste sur l'Europe, nous avons une déclaration commune où nous disons ensemble qu'il faut réorienter, qu'il faut que la France...
F. Laborde : Un rapprochement est possible, alors ?
R. Hue : Il y a cette possibilité s'il y a cette réorientation vers une Europe différente. Nous pensons qu'il faut réussir l'Europe mais pour la réussir, il faut la transformer.
F. Laborde : Une dernière question : les listes pour les régionales. Vous êtes en train d'en discuter et il y a deux ou trois régions qui posent problème comme le Languedoc-Roussillon, la Picardie ?
R. Hue : Il y a deux ou trois régions sur vingt-deux, ce n'est pas beaucoup. Cela veut dire qu'on s'entend sur beaucoup de régions. Il y a des listes communes qui ont été proposées, d'ailleurs par les communistes. Aujourd'hui, la gauche plurielle s'inscrit dans cette démarche.
F. Laborde : M. Gremetz, par exemple en Picardie, les socialistes n'en veulent pas parce qu'il n'a pas voté la confiance à l’Assemblée. Vous en faites une affaire ou pas ?
R. Hue : Il y a un certain nombre de régions où nous affirmons qu'il faut que, dans certains départements. Les communistes soient tête de liste. Et nous avons dit que nous souhaitions que les communistes soient tête de liste pour la Picardie comme en Seine-Saint-Denis, dans le Val-de-Marne et dans d'autres départements. Cela doit faire une dizaine de départements, peut-être un peu plus. Donc, tout cela est raisonnable. Maintenant, naturellement, cela se fera dans le cadre de la discussion avec nos partenaires.
F. Laborde : Et de la concertation. Et tout est ouvert ?
R. Hue : Complètement.