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Dominique Thuringe : Lorsque le PCF a décidé de participer au gouvernement Jospin, c’était disait-il, pour répondre à une forte attente de changement exprimée dans les urnes. Comment appréciez-vous cet objectif cinq mois après votre entrée en fonction ?
Marie-George Buffet : J’ai la même volonté. C’est d’ailleurs la seule chose à laquelle je pense avant chaque décision qui concerne mes domaines de compétences. Comment aider la jeunesse à sortir d’une situation de souffrance et à lui donner confiance ? Comment aider le mouvement sportif à résister aux tentations affairistes, à porter des valeurs d’émancipation humaine et une éthique ? C’est à partir de ces repères essentiels que se construit le changement. Ces cinq mois de pratique gouvernementale n’ont donc pas modifié cette détermination à réussir le changement. Par contre, ils m’ont permis de mieux évaluer les possibilités d’y parvenir.
Dominique Thuringe : Dans quel sens ? Moins ou plus de possibilités ?
Marie-George Buffet : Je ne voudrais surtout pas simplifier une réalité qui reste complexe. Mais, en prenant un peu de recul, en réfléchissant à toutes les rencontres que j’ai sur le terrain avec des gens très différents, des associations, des élus, j’ai vraiment le sentiment que le reflux de l’ultra libéralisme marque profondément l’évolution de l’opinion. J’ai en tête mes déplacements à Marseille, La Rochelle, Nantes, Gisors, en Vendée, dans le Nord ou en banlieue parisienne, dans des initiatives aussi éclectiques que l’animation d’une salle de musculation, l’activité d’un centre social, ou encore le rassemblement des scouts de France. Je sais que cela peut faire sourire. Mais je vous assure qu’à chacune de ces rencontres, les projets qui m’ont été présentés sont traversés par des idées de solidarité, la lutte contre tous les phénomènes d’exclusion, la recherche de sens et d’idéal. Dans ces débats où l’on sent une grande envie de faire des propositions, la promotion d’une issue strictement individuelle m’apparait très en recul. Et, même dans la sphère du sport professionnel où, il faut bien le reconnaître, l’idée que l’afflux d’argent privé pouvait tout régler, a créé pas mal d’illusions, je crois qu’il existe, ici et là, un début de prise de conscience. Des gens qui ne sont pas communistes c’est une banalité de le préciser n’hésitent plus à dire stop ! Les choses sont allées trop loin dans la mainmise de l’affairisme sur une activité humaine dont la vocation est d’être identifiée à des valeurs non marchandes.
Dominique Thuringe : Vous vous appuyez sur vos domaines de compétences pour illustrer votre démarche, ce qui se comprend parfaitement. Mais cela vaut-il également pour d’autres questions sur lesquelles existent toujours des différences, voire des divergences entre le PCF et le PS ?
Marie-George Buffet : Ces différences ou divergences, qui ne concernent pas seulement le PCF et le PS mais toutes les composantes de la gauche, sont connues. Elles ne sont un secret pour personne. Et, ce qui est nouveau dans l’histoire des rapports entre forces progressistes, c’est que personne, cette fois, n’a voulu les cacher à l’opinion. Nous les avons écrites, dites, et nous en avons débattu en public. Visiblement, cette nouvelle manière de faire à gauche n’a pas empêché de battre la droite. J’ai même la conviction que le fait de porter ces débats devant l’opinion, qui marque une rupture avec des pratiques antérieures, a été un atout pour gagner. Du coup, la pluralité est un élément d’efficacité pour le Gouvernement lui-même. Nous mesurons mieux aujourd’hui que ce que pouvaient reprocher certains électeurs à la gauche, ce n’était pas ses éventuels désaccords, mais d’osciller entre leur occultation et leur diabolisation. Dans un cas, se créait l’illusion que tout devenait possible, et, dans l’autre, que plus rien ne l’était. Je crois que cette fois, le pire des scénarios aurait été d’aboutir à un gouvernement pluriel, tout en affichant un unanimisme de façade.
Dominique Thuringe : Il reste que ces différences n’ont pas disparu. Comment assumer cet état de fait en participant au gouvernement ?
Marie-George Buffet : D’abord, en poursuivant le débat avec les citoyennes et les citoyens, et entre forces de gauche et de progrès. Et dans ce débat, les rôles sont différents. Nous avons suffisamment été sévères, et à juste titre, à l’égard de ceux qui, y compris en France, ont confondu les fonctions de leur parti et de l’État, pour ne pas rejeter cette confiscation de démocratie au moment où nous devons passer aux actes. Je partage complètement l’idée que les ministres communistes, les parlementaires communistes, et le parti ont chacun des rôles spécifiques à jouer. Cela ne veut évidemment pas dire que l’on devrait faire preuve de plus ou moins de convictions, selon que l’on exerce des responsabilités au gouvernement, au parlement, ou dans le parti. Je peux vous assurer que, depuis ma nomination, je n’ai jamais fait ou dit quoi que ce soit qui aurait pu heurter mon engagement communiste. Bien sûr, je consulte et j’écoute beaucoup avant de décider. Et, je ne vis pas cela comme une concession ou un passage obligé, mais comme un moment indispensable à la construction du changement.
Dominique Thuringe : Une ministre communiste, relais des aspirations et des demandes citoyennes : cette définition vous convient-elle ?
Marie-George Buffet : Oui, mais à condition que ce relais soit actif. Lorsque je dis aux jeunes que ce ministère est le leur, et qu’il a l’ambition de devenir leur interlocuteur privilégié et permanent sur tout ce qui les concerne, une telle démarche ne peut pas se contenter d’enregistrer les demandes et de les renvoyer sur les autres ministères. Par une série de mesures que nous élaborons actuellement avec eux dans des centaines de rencontres, il nous faudra réaliser quelque chose d’essentiel pour les jeunes : le passage à l’acte. Au fond, à partir de tout ce que je vois sur le terrain, dans les quartiers, avec une multitude d’associations, toute ma démarche est de favoriser chez les jeunes le goût du débat public, de l’intervention, de la construction de projets, en un mot : de leur permettre de conquérir un espace politique.
Dominique Thuringe : Vous auriez donc une marge de manœuvre au sein du gouvernement ?
Marie-George Buffet : Cette expression ne me plaît pas beaucoup. Le mot « manœuvre » induit inévitablement une vision politicienne, alors que la société aspire profondément à un renouvellement de la pratique politique, et des rapports entre les femmes, les hommes et tous les lieux de pouvoirs. Je préfère en rester à l’idée d’un espace de changement largement ouvert. En précisant toutefois que si le Gouvernement a bien sûr une responsabilité essentielle pour mettre en œuvre ce changement, la réussite tient tout autant à l’implication des citoyennes et des citoyens. Si certains en doutaient encore, ce qui est en train de se passer avec les 35 heures montre à quel point l’appel à cette intervention n’est pas une incantation mais une nécessité absolue.
Dominique Thuringe : Une dernière question plus personnelle : devenir ministre, cela a-t-il changé quelque chose pour celle qui était plus habituée aux réunions dans les cités et les entreprises qu’aux allées du pouvoir ?
Marie-George Buffet : Si je vous répondais que cela n’a absolument rien changé, d’une part, vous ne me croiriez pas et, d’autre part, ce serait finalement injuste pour celles et ceux que j’ai rencontrés depuis cinq mois, et dont j’ai beaucoup appris. En même temps, j’ai envie de vous dire, en tout cas je le crois, qu’en dehors d’un emploi du temps parfois démentiel, ma vie n’a pas changé. J’habite toujours une cité de banlieue et, pour ce qui est des honneurs et obligations protocolaires ; tout devient relatif dès lors que l’on reste soi-même.