Texte intégral
Pour ou contre les drogues de substitution
Brice Lalonde : "Oui mais… à la méthadone"
Dans les pays anglo-saxons la méthadone a permis de diminuer la délinquance ; elle a réduit le nombre des complications médicales ; elle a favorisé la réinsertion des toxicomanes. Mais elle n'a pas fait régresser la toxicomanie en général. Ces drogues de substitution doivent être utilisées dans le cadre d'une démarche globale, avec appui psychologique et mesures sociales. Cela ne servirait à rien de les distribuer librement, à tout va, sans mesures d'accompagnement. Les produits de substitution ont donc une utilité, et l'on pourrait sans difficulté faire un effort dans ce domaine en France, puisqu'on ne dispose que de 50 lits de méthadone pour 100 000 toxicomanes.
L'Express : Un certain nombre d'experts se font les avocats de la méthadone au nom de la lutte contre le sida…
Brice Lalonde : En ce qui concerne la lutte contre le sida, beaucoup de toxicomanes ont changé leur comportement, ne se passent plus les seringues et utilisent les préservatifs. Ainsi le pourcentage de séropositifs dans les centres d'accueil spécialisés a-t-il nettement diminué depuis trois ans. L'éducation, la prise de conscience des risques ont porté leurs fruits. Mais le problème est celui des toxicomanes qui sont livrés à eux-mêmes, désinsérés, qui ne fréquentent pas ces centres spécialisés (parce que c'est trop loin, parce qu'il y a trop d'obstacles pour y parvenir, parce que c'est fermé la nuit, parce qu'ils ont des troubles psychologiques), chez lui les taux de séropositivité sont très élevés et qui sont donc peu accessibles à des mesures de prévention. C'est ceux-là qu'il faut toucher, et l'utilisation à grande échelle de produits de substitution risque de ne pas y changer grand-chose. Par contre, pouvoir disposer facilement de seringues propres et utiliser des préservatifs est tout aussi important. Il faut donc aller sur le terrain dans les quartiers les plus sensibles, parmi les jeunes en difficulté, avec les éducateurs de rue et les assistantes sociales, dont le rôle n'est pas assez reconnu. Les collectivités locales ont, là, un rôle très important à jouer.
Jacques Toubon : "Non mais… à la méthadone"
Ayant insisté à plusieurs reprises, en particulier au Parlement, sur le caractère dramatique de l'épidémie de sida, je me sens autorisé à dire qu'il ne faut pas réduire le problème de société posé par la drogue à la seule question de la prévention du sida. Le problème est socialement et humainement angoissant : l'État va-t-il entrer dans le jeu infernal de la drogue en proposant aux toxicomanes de recourir à des produits de substitution, qui leur fournirait ? La réponse est difficile, car nos convictions, si fortes soient-elles, sont en permanence remises en cause par la misère dont nous sommes témoins. Je suis cependant hostile à la généralisation des drogues de substitution. Pour trois raisons.
Parce qu'il faut maintenir l'interdiction de principe, c'est-à-dire pénale, de la drogue, car la drogue est un poison, et l'interdit, une dissuasion.
Parce que les effets de la méthadone ne sont pas certains et que les médecins s'interrogent encore.
Parce que les expériences étrangères sont loin d'être aussi positives qu'une présentation sommaire tend à nous le faire croire.
L'Express : Quelles politique mènerez-vous, si vous êtes demain aux commandes ?
Brice Lalonde : Il faut d'abord récuser l'affrontement artificiel entre les politiques de répression et les politiques de médicalisation. Ce débat est archaïque. Il faut ensuite conduire – en s'appuyant sur une volonté politique qui a, certes, fait défaut depuis vingt ans – une politique qui soit un mélange actif d'actions de prévention, de répression et de guérison. Par exemple, l'échange gratuit des seringues est certainement, dans l'état actuel des choses, une bonne mesure. Quant aux drogues de substitution, il conviendrait de mener d'abord un ensemble d'expériences dans des services hospitaliers au cours de cures encadrées médicalement et psychologiquement. L'évaluation rigoureuse et publique de ces diverses expériences permettrait ensuite de rouvrir le débat. Et, cette fois, sur des bases plus sûres et moins passionnelles.