Texte intégral
L’Express : Alain Juppé avait lancé une réforme du secteur hospitalier. Quelle va être votre politique : rupture ou continuité ?
Bernard Kouchner : L’hôpital a été étranglé. C’est un miracle qu’il n’y ait pas eu d’explosion. Nous, nous voulons faire le contraire, un anti-plan Juppé : aider l’hôpital à s’adapter, et non pas le pénaliser.
L’Express : Un anti-plan Juppé signifie-t-il la fin des réformes ?
Bernard Kouchner : Avec Martine Aubry, nous voulons une réforme hospitalière non pour des raisons comptables, mais pour garantir sur tout le territoire une égalité dans l’accès à des soins de qualité. Cela ne signifie pas que nous ne soyons pas sensibles à la nécessité de maîtriser les coûts. Mais dans ce pays qui consent des sacrifices formidables pour l’emploi, en particulier dans des régions déjà sinistrées par le chômage, on ne peut traiter l’hôpital avec légèreté ni avec brutalité, sans réfléchir au problème de la proximité. Et surtout pas au détriment de la sécurité ou de la santé publique.
L’Express : Vous considérez donc qu’il n’y a plus d’urgence pour réformer ?
Bernard Kouchner : Il faut le temps nécessaire de l’explication. Le temps, c’est l’ancienne majorité qui n’a pas su l’utiliser. Elle a voulu la dissolution. Elle a été battue. Notamment par le plan Juppé. Beaucoup de médecins se sont prononcés contre la méthode. Ce plan, j’en avais moi-même salué la nécessité, car je n’ai jamais nié qu’il fallait une certaine maîtrise. Mais vouloir l’imposer sans les médecins, sans le personnel, sans les élus était une épreuve de force perdue d’avance. Elle a été perdue.
L’Express : Comment allez-vous vous y prendre ?
Bernard Kouchner : Nous devons partir des besoins de santé des gens et revoir les Sros (schéma régional d’organisation sanitaire). Nous organiserons, à partir du premier trimestre 1998, des états généraux de la santé en province, puis, avant la fin de 1998, à Paris. Parallèlement, l’Agence nationale d’accréditation et d’évaluation de la santé (Anaes) va travailler pour évaluer la qualité des services hospitaliers. Santé publique d’abord, qualité ensuite, modernisation enfin : notre objectif est d’obtenir, à terme, sur tout le territoire, une égalité d’accès aux soins pour les urgences et pour les pathologies lourdes.
L’Express : Que vont devenir les agences régionales d’hospitalisation, dispositif central du plan Juppé ?
Bernard Kouchner : Nous allons les faire évoluer. Nous instituerons un cadre pour les salaires de leurs directeurs. Nous leur demanderons de suivre les Sros qu’ils mettront en œuvre avec les élus et les personnels.
L’Express : Appliquerez-vous la directive recommandant de fermer les services dont le taux d’occupation des lits est inférieur à 60 % ?
Bernard Kouchner : Elle n’a aucun sens dans l’absolu. S’ils remplissent une mission utile, il faut les garder. Si la région n’en a pas besoin, il faut les faire évoluer ou les fermer. Nous ne voulons pas d’une maîtrise bureaucratique et technocratique.
Propos recueillis par Sylvie O’Dy