Texte intégral
Q - Comme vous êtes parfois malicieux, Monsieur le Premier ministre, je voulais vous demander, en lisant votre dernier livre – L'avenir de la différence qui est publié chez Plon –, si c'était un hommage anticipé et ironique sur la foultitude de candidats et les différences qui existent en ce moment et qui se révèlent dans votre parti, le RPR.
– « Non, j'ai écris ce livre dans l'année qui vient de se terminer, et je n'ai pas pensé, je vous assure et je vous prie de me croire, aux élections au RPR. »
Q - Qu'est-ce que vous pensez de l'étalage des divergences dans un parti qui se caractérisait jusqu'à présent par son caractère discipliné ?
– « Oui, bien les choses changent. Je crois que c'est un fait, il faut en prendre acte. Ce qu'il faut souhaiter c'est que bien entendu ça se déroule dans un climat, je dirais le plus amical possible. Mais bon, ça c'est la banalité convenue. Ce qui est plus important, c'est deux choses. La première, c'est que les candidats soient en mesure de présenter un projet précis pour l'avenir, sur les grandes questions de l'avenir. On entend tout le temps dire que l'opposition n'a plus rien à dire, eh bien voilà une occasion de dire quelque chose et d'instituer un débat ! La deuxième chose c'est que, c'est très important bien sûr et intéressant, des élections pour le président du RPR, mais il ne faut pas que ça fasse oublier que le vrai problème c'est l'organisation de l'ensemble de l'opposition, et que nous devons absolument si nous voulons compter à l'avenir, mettre fin à ce mouvement, de division et de segmentation que nous connaissons. Il y avait un RPR, il y a une partie qui a fait sécession. Il y avait une UDF, il y en deux maintenant. Donc, nous devons absolument nous rassembler, nous organiser et nous unir mieux et créer cette fédération de l'opposition que j'appelle de mes voeux et qui ferait l'équilibre avec le pivot que constitue à gauche le parti socialiste. »
Q - On ne peut pas dire que jusqu'à présent vous ayez été entendu.
– « Non, mais enfin, il ne faut pas se décourager pour autant. »
Q - P. Devedjian, qui est candidat à la présidence de la présidence du RPR, n'a jamais ménagé son soutien à vos idées et à votre façon de gouverner. Est-ce que vous allez lui rendre la pareille, le soutenir dans sa lutte pour la présidence ?
– « Dans l'état actuel des choses, je n'ai pas l'intention de me prononcer publiquement sur le choix. »
Q - Pourquoi ?
– « Parce que j'attends de voir ce que les uns et les autres vont dire et puis... »
Q - Oh, vous le savez déjà !
– « J'aimerais ne pas le savoir, j'aimerai être surpris par la précision des propositions. »
Q - Deux mots sur Paris M. Balladur...
– « Ah, on n'y échappe pas, non plus ! »
Q - Parce que votre nom est souvent prononcé. Est-ce que M. Tiberi est en mesure d'assurer la victoire de la majorité actuelle au Conseil de Paris pour... ?
– « Ecoutez, je ne veux pas participer à un débat sur Paris en ce moment ! Les choses sont suffisamment compliquées à l'intérieur de l'opposition pour que je n'en rajoute pas. Il appartiendra aux partis, aux mouvements qui composent l'opposition sur le plan national, de prendre leur décision le moment venu, de choisir la solution qui sera la meilleure. »
Q - A propos de compétences de l'Etat M. Balladur, vous êtes libéral...
– « Oui. »
Q - Vous ne l'avez jamais caché. Sur l'affaire Michelin par exemple, est-ce que le Gouvernement peut doit intervenir dans l'affaire Michelin, c'est-à-dire dans les affaires des entreprises très très bénéficiaires qui licencient leurs personnels ? Est-ce que c'est de la compétence de l'Etat ?
– « Je constate quelque chose d'abord : je n'ai pas l'impression que le Gouvernement, tout socialiste qu'il soit et qu'il se dise, ait l'intention d'intervenir. Premier point. »
Q - Il a dit que "l'affaire n'était pas réglée."
– « Oui, elle est pas réglée, mais enfin qu'est-ce qu'il fait ? Deuxième point, c'est une chose que de faire des bénéfices, mais enfin il faut aussi préparer l'avenir. Il y a une réalité : Michelin perd des parts de marché parce que les coûts de production sont sans doute plus élevés en Europe et en France qu'ils ne le sont ailleurs dans le monde où Michelin fabrique et travaille. Donc le fait qu'une entreprise fasse des bénéfices ne doit pas lui interdire de préparer son avenir. Le problème... »
Q - Est-ce que préparer l'avenir, c'est licencier ?
– « Non, bien sûr que non – pas nécessairement en tout cas. Mais le problème c'est qu'une entreprise ça doit être une réalité vivant, aussi sur le plan moral et que il faut que chacun coopère et collabore. Je considère que, s'agissant de décisions de cet ordre, il faut les préparer, les discuter, informer au préalable, bref faire en sorte qu'elles n'éclatent pas comme un coup de tonnerre inopiné dans un ciel que l'on croyait serein. Donc c'est une question de forme. Sur le plan des principes on ne peut pas dire : "Une entreprise ne doit jamais réduire son personnel", mais on peut dire : "Elle doit tout faire pour que ceux qui sont privés d'emploi en retrouvent un autre, et pour qu'ils aient été prévenus à l'avance." Voilà. »
Q - Votre position, c'est : « Laisser faire, dans de bonnes conditions » ?
– « Non ! Voyez comme vous présentez les choses ! »
Non, je vous pose la question...
– « C'est : laisser à chacun exercer ses responsabilités mais en respectant un minimum de principes moraux, qui sont d'ailleurs le respect d'autrui tout simplement, des intérêts d'autrui, de leur dignité à la limite. »
Q - Ce qui n'a pas été le cas dans l'affaire Michelin?
– « Je n'ai pas l'impression, non. »
Q - La Sécurité sociale : est-ce que vous partagez la satisfaction de Mme Aubry et du Gouvernement à l'annonce que, l'an prochain, les comptes de la Sécurité sociale seront équilibrés ?
– « Pas tout à fait, parce que j'ai bien peur que nous revivions ce que nous avons vécu il y a une dizaine d'années au temps du gouvernement de M. Rocard. Souvenez vous ! Moi ce que je constate, aujourd'hui, c'est que tout le monde est d'accord pour dire que c'est grâce à la croissance que les choses s'améliorent et qu'elles s'améliorent parce que les recettes rentrent mieux mais pas parce que les dépenses diminuent – au contraire elles augmentent beaucoup plus vite que prévu. J'ajoute que, par exemple les 35 heures, leur financement qui est supérieur à 110 milliards de francs n'est pas assuré par le budget de l'Etat et qu'il va sans doute peser une quarantaine de milliards sur la Sécurité sociale. Sur les retraites – "c'est pas urgent", nous a dit M. Jospin –, je constate une chose, je lis les rapports qu'il a lui-même commandés à l'administration et on nous dit qu'en 2020 je crois, il y aura 400 milliards de déficit du régime de retraites, et on dit : "C'est pas pressé. Je me réjouis qu'il y ait une embellie – enfin une amélioration – mais il faut de toute urgence en profiter pour faire les réformes nécessaires en matière de retraite, de maladie, de baisse des cotisations. Et je ne vois pas qu'on en prenne le chemin. »
Q - L'avenir de la différence, c'est le titre de votre livre : est-ce qu'il n'y a pas un risque en soutenant la différence ? Même s'il y a un petit bémol sur les bonnes et les mauvaises différences, c'est quand même en gros un éloge...
– « Un grand bémol, un grand bémol. »
Q - C'est quand même un éloge de la différence. Est-ce qu'il n y a pas un risque, en protégeant la différence, de protéger en même temps les inégalités ?
– « Oui, certainement. Mais attention, je dis qu'il y a de bonnes et de mauvaises différences et je dis que tous les hommes dans le monde entier sont las d'être considérés comme interchangeables et égaux les uns avec les autres. Et dans ces conditions l'avenir contrairement à ce qu'on nous dit, ce n'est pas l'uniformisation générale, tout le monde parlant l'américain... »
Q - Ça y ressemble, sur Internet par exemple !
– « ...mangeant des hots-dogs, portant des jeans et chantant les mêmes chansons. Ce n'est pas ça l'avenir. L'avenir c'est que chacun... »
Q - C'est le présent en tout cas !
– « ...mais c'est pas l'avenir. Enfin "le présent", ce n'est, pas le présent en Chine, en Inde. Si vous totalisez la population du monde ce n'est pas le présent. L'Afrique. Je crois que l'avenir c'est que chacun va revendiquer sa personnalité davantage et c'est un élément de la liberté. C'est ça le livre que j'ai voulu écrire, j'ai voulu écrire un livre dans lequel je dis : "L'avenir dans les dizaines, d'années qui vont venir, dans le XXIe siècle, sera beaucoup plus une affaire de différences revendiquées que d'uniformité générale. »
Q - C'est quoi la mauvaise différence ?
– « La mauvaise différence par exemple c'est le racisme, c'est un des exemples de la mauvaise différence. La mauvaise différence ça peut être aussi le fait que, de par le monde tout en disant qu'il y a une Organisation mondiale du commerce il y a des régions ou des pays où les enfants travaillent à l'âge de 6 ans, où les règles de l'environnement ne sont pas respectées, voilà de mauvaises différences."