Interview de M. Charles Millon, président de La Droite, à RMC, le 31 août 1999, sur la nécessité de refonder la droite pour dépasser ses dissensions internes et créer une formation pluraliste.

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Texte intégral

Q - Qu'avez-vous pensé du discours de rentrée du Premier ministre, L. Jospin à la Rochelle, de son assurance, de ses projets à 10 ans ? Sur le chômage.

- « L. Jospin ferait bien de se méfier. Il est dans une position actuellement dominante, il n'a pas d'opposition et il va se heurter à la montée de protestations ou de critiques catégorielles, il va se heurter à une opposition socialo-syndicale. Aujourd'hui, le problème de l'absence d'opposition de droite est, pour L. Jospin, un véritable danger. »

Q - Beaucoup auraient aimé avoir ses taux de popularité après deux ans de pouvoir.

- « Oui, mais un taux de popularité après deux ans de pouvoir ne signifie pas que le lendemain, on ne va pas avoir de graves difficultés. Je crois que L. Jospin a mangé son pain blanc, on le constate aujourd'hui avec les revendications paysannes, on le constate aujourd'hui avec la grogne qui apparaît dans les entreprises, par la mise en oeuvre de la loi sur les 35 heures, on le constate aujourd'hui, avec les revendications des mouvements familiaux, L. Jospin n'ayant pas d'opposition, l'opposition est en train de se déplacer dans des mouvements catégoriels, dans des mouvements syndicaux. Et il aura, en fait, à faire face à cette critique et à cette opposition, qui est beaucoup plus dure à gérer. Et c'est la raison pour laquelle, aujourd'hui, le problème politique français, c'est l'organisation politique de la droite face à une gauche qui devient dominante et arrogante. »

Q - Le RPR donc va se donner un président dans trois mois. M. Sarkozy, qui a mené la liste et qui a subi un grave échec le 13 juin dernier aux élections européennes, semble vouloir être président du parti. Est-ce que ça serait une bonne solution pour vous, que M. Sarkozy soit élu, président du parti gaulliste ?

- « C'est le problème du RPR, je pense que le problème ne se pose pas du tout ainsi. »
Q -
Mais ça intéresse tout le monde.

- « Non, ce qui intéresse tout le monde, c'est de savoir si l'opposition va être capable de dépasser ses querelles de personnes, ses problèmes de structures, pour enfin aborder les problèmes politiques de fond. Ce qui est le plus frappant, c'est le silence étourdissant de l'opposition durant tout cet été. Il y a eu pleins de problèmes posés : le problème du financement des entreprises, le problème des OPA, le problème de la politique énergétique, le problème. de la révolte paysanne, et on n'a jamais entendu un leader de l'opposition dire clairement quelle était la "position de l'opposition. La démocratie est devenue hémiplégique, on a une gauche, un côté gauche qui se porte bien, et puis un côté droit qui est, complètement paralysé. Je pense, qu'une démocratie hémiplégique est une démocratie très préoccupante. »

Q - Est-ce que l'opposition devrait prendre exemple sur le mode disfonctionnement de la majorité plurielle actuelle ?

- « L'opposition devrait prendre exemple sur les grands partis qui ont su organiser le pluralisme. Et le Parti socialiste, au Congrès d'Epinay, en 1971, a posé les bases d'un pluralisme organisé. Si l'opposition ne met pas en oeuvre cette méthode d'organiser ses familles dans une grande formation, c'est-à-dire arrivé à respecter la diversité, les identités particulières, avec des procédures et des lois d'organisation à l'intérieur d'une grande formation, l'opposition continuera à se réduire comme un plat sur un feu. »

Q - Mais, pour faire Epinay, il faut un M. Mitterrand, c'est-à-dire qu'il faut un chef d'orchestre.

- « Non, pour faire Epinay, il faut des procédures, car F. Mitterrand est le résultat ... »

Q - Il faut aussi un chef d'orchestre.

- « Non, mais F. Mitterrand est le résultat du Congrès d'Epinay, il n'est pas en fait le point de départ. Le point de départ c'est un certain nombre d'hommes - Mollet, Chevènement, Savary, Poperen - qui ont décidé, vu l'échec de la gauche à l'époque -, il faut se rappeler que la gauche avait fait 60 % des voix aux élections présidentielles - de rebondir. Et je crois que la droite est dans cet état-là."

Q - Il faut des états-généraux de la droite ?

- « Pas du tout, il faut en fait deux familles de la droite au minimum, qui disent : "On a dépassé notre esprit de chapelle pour rentrer dans une cathédrale de la droite." Et, à partir de ce moment-là, se mettent ensemble pour effectivement dire aux Françaises et aux Français : « Nous, on est passé sur nos ambitions personnelles, sur nos problèmes de personnes, sur nos querelles de structures. Voilà, on a un tronc commun au niveau des convictions, au niveau des valeurs, au niveau de  l'analyse de la société. On a des tempéraments différents, mais on est ensemble pour répondre à vos attentes. »

Q - L'Elysée vous avait snobé à une époque, après votre élection à la présidence de la région, est-ce que votre invitation à la garden party du 14 juillet était un signe politique pour-vous ?

- « Non, c'est une régularisation d'une situation. Cela signifie que l'Elysée a compris, qu'en République, il n'y a pas d'ostracisme. »

Q - Vous avez considéré que ça vous ouvre des portes, cette invitation ?

- « Pas du tout, c'est simplement un signe de la part de l'Elysée. Personnellement je l'ai pris tel qu'il était, maintenant je crois que je dois, dans le cadre de mon action politique, tout faire pour que le pluralisme... »

Q - Quel rôle vous vous donnez dans les semaines qui viennent ?

- « Catalyseur. C'est-à-dire obliger les gens à se poser le problème du pluralisme organisé et de savoir si on est capable de faire émerger une grande formation pluraliste. »

Q - Est-ce que celui qui a été « puni » peut être catalyseur ?

- « Celui qui a été puni par qui ? »

Q - Par l'ensemble des partis !

- « Par le politiquement correct, par un certain nombre de personnes qui ont peur de dire ce qu'ils pensent… »

Q - Par le RPR, par l'UDF, par la présidence de la République...

- « Bien sûr ! Mais ils ont tous eu peur : ils ont peur du politiquement correct, ils ont peur du jugement, ils ont peur, en réalité, des commentaires, ils ont peur des calomnies. »

Q - Vous ne regrettez pas, à titre personnel, d'avoir accepté le soutien du Front national pour être élu président de la région ?

- « J'ai accepté des voix sur un projet. »

Q - Mais vous ne regrettez pas...

- « Je ne regrette rien et je dis que la politique, c'est une politique de projets, ce n'est pas une politique d'alliances, je suis contre toute alliance, et la droite continue à raisonner en termes d'alliances : alliance RPR/UDF/DL, alliance ou contre alliance, avec untel ou untel. Je pense que le problème politique français, ce ne sont pas les alliances, c'est de savoir si on a un projet politique et si, autour de ce projet politique, on est capable de réunir, eh bien toutes celles et tous ceux qui sont prêts à le soutenir. F. Mitterrand, puisque vous l'avez cité tout à l'heure, l'avait bien compris : il a présenté un projet politique et toutes les voix qui venaient, il les prenait, il prenait  même les voix trotskistes, il faut s'en rappeler et personne, à l'époque, a failles mouvements de bras qu'on a vus dans la droite il y a quelques semaines. »

Q - On dit que vous avez déjeuné, récemment avec M. Pasqua au Conseil général des Hauts-de-Seine. Est-ce que vous désirez un rapprochement avec son mouvement, le Rassemblement pour la France, est-ce que c'est à l'ordre du jour ?

- « Comme catalyseur, je déjeune avec tous les leaders politiques qui le souhaitent. J'ai déjeuné avec A. Madelin, j'ai rencontré D. Perben, j'ai déjeuné avec C. Pasqua évidemment, et je leur explique ce que je viens d'expliquer maintenant, à vous-même, et aux auditeurs. Je leur dis : "si vous ne faites pas le pluralisme organisé vous pouvez rester dans l'opposition encore des décennies, mais pire, vous êtes en train actuellement de détruire une démocratie équilibrée, entre une droite et une gauche, entre une opposition et une majorité." J'ai expliqué ça à C. Pasqua et je dois avouer que C. Pasqua est, parmi mes interlocuteurs, celui qui est le plus ouvert. »

Q - C'est-à-dire qu'il est possible qu'il y ait un rapprochement entre votre mouvement « La droite » et le RPF ?

- « Je suis ouvert à tout rapprochement pour faire une formation de pluralisme organisé, c'est-à-dire une formation où il y aura plusieurs familles politiques, dont l'identité sera respectée. »

Q - On dit à Lyon que vous seriez éventuellement intéressé par la mairie de Lyon, lorsque les élections se présenteront dans deux ans.

- « Le mouvement  "La droite" s'intéressera à toutes les élections municipales et on fera tout pour qu'il y ait, comme dans la politique nationale, une majorité et une opposition, une gauche et une droite, et je ferai tout pour éviter que, à Lyon, il y ait la confusion entre un socialisme et un centrisme, entre tel et tel courant. Donc je prendrais les décisions qui s'imposeront en tant que président de "La droite" quand il le faudra. »

Q - Vous avez envie d'être maire de Lyon ou non ? Parce que pour être candidat, il faut en avoir envie...

- « La politique c'est pas des envies, la politique c'est une analyse puis, ensuite, c'est des décisions. Aujourd'hui, je dis que j'observe ce qui se passe dans toutes les grandes villes, à Paris comme à Lyon, à Bordeaux comme à Montpellier, et que pour ce qui est de Lyon, eh bien j'empêcherai qu'il y ait des dérives que je trouve condamnables. »

Q - Mme Comparini échoue où réussit ?

- « Au niveau de la région ? »

Q - Oui.

- « Elle ne fait rien parce qu'elle ne peut rien faire. Ce n'est pas de sa faute, c'est de là faute de la situation... »

Q - On ne peut pas avoir des contre-alliances ?

- « Non, moi je le dis tout à fait clairement sur votre antenne, je suis prêt à aider A.-M. Comparini pour pouvoir mettre en oeuvre le projet politique sur lequel elle a été élue, puisqu'elle était troisième de ma liste. Elle sait que c'est notre projet, c'est le sien comme le mien. Donc si elle veut mettre le projet politique sur lequel on a été élu, en marche, je suis prêt à l'aider. »