Article de M. Jean-Pierre Chevènement, ministre de l'intérieur, président du Mouvement des citoyens, président d'honneur et fondateur du club République Moderne et de M. Yves Le Hénaff, économiste, dans "La Lettre de la République Moderne" de septembre 1999, sur les orientations politiques et économiques en France comme au niveau international sur les 16 dernières années, intitulé "16 ans de République Moderne".

Prononcé le 1er septembre 1999

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Média : La Lettre de République Moderne

Texte intégral

Avec la précédente livraison de sa Lettre – n° 100 de la série – République Moderne vient de fêter ses 16 ans d'analyses, de réflexion, de débats, de propositions. Le moment ma paraît propice, pour poursuivre le chemin, de jeter un bref regard en arrière.

Le choix même de son nom n'était pas seulement l'hommage de République Moderne rendu à Pierre Mendès-France, à son souci de lier la politique et la vérité, le service du bien public et l'éducation du citoyen.

L'accent mis sur la « République » avait aussi pour but de corriger ce qui d'emblée m'était apparu comme l'impasse d'une gauche dont la grille de lecture se réduisait à celle d'une vulgate marxiste sommaire, mécaniste ; marxisme de surcroît fort mal digéré et très éloigné de la conception élaborée que Gramsci voire Jaurès avaient pu en produire, particulièrement éloigné de la synthèse opérée par ce dernier entre la théorie de Marx et l'idée républicaine telle qu'elle s'était développé en France. Sous la défroque marxiste se cachait en réalité un opportunisme tout à fait étranger à l'éthique républicaine. Les proclamations tonitruantes du Congrès de Valence du parti socialiste portaient en elles le germe des renoncements futurs et de l'accommodement à venir au libéralisme dominant.

J'ai cru, un temps que la gauche manquait aussi bien de courage que de théorie. Je l'ai dit à François Mitterrand. Je me trompais. Celui-ci s'était, je crois, assez vite rallié à la théorie de Lampudesa : « il faut que tout change pour que tout demeure », son habileté fut de fatiguer le poisson assez longtemps pour que le tournant de 1983 apparût comme l'échec de la gauche et de son programme tel que celui-ci avait été conçu, et non pas comme l'échec de la politique concrètement menée par le gouvernement.

Bien placé comme ministre de l'industrie pour voir ce qu'il en était de la volonté politique réelle de faire quelque chose, j'avais choisi, en me retirant du gouvernement, de ne pas m'associer au tournant de 1983.

Il s'agissait dans mon esprit de reconstituer une pensée de gauche autour du paradigme républicain et c'est en particulier au sein de « république Moderne » que nous commençons à réfléchir au problème de l'école.

Dans le même temps François Mitterrand opérait une reconversion de longue portée en substituant aux thèmes historiques de la gauche, « changer la vie » - celui d'une Europe présentée comme la finalité suprême de sa politique. Hubert Vedrine a bien décrit dans « Les mondes de François Mitterrand » ce changement de paradigme et comment l'année 1983 devint véritablement l'année fondatrice du double septennat.

Ces choses là ne sont devenues évidentes qu'avec la conclusion du traité de Maastricht.

Pour porter un regard objectif sur la période de seize années qui va de 1983 (n° 1 de République Moderne) à 1999 (n° 100) il faut évidemment s'éloigner des justifications que les politiques tentent de donner eux-mêmes à leur action.

Cette période, de 1983 à 1999, est «évidemment caractérisée par deux événements majeurs, qui ne sont d'ailleurs pas indépendants l'un de l'autre : la globalisation économique libérale et la dislocation du bloc communiste.

Ces deux événements donnent leur sens à toutes les questions politiques posées à la France : la physionomie de la construction européenne, la faible croissance économique et le chômage de masse, la participation aux interventions militaires sous contrôle américain, etc.

Le bouleversement de l'équilibre politique de ces vingt dernières années a sa face idéologique. D'une part, le marxisme lui-même a été emporté par le naufrage de l'URSS. D'autre part, les idéologies millénaristes, entretenant la peur des catastrophes écologiques et promettant la fin de la croissance, la fin de l'Histoire, la fin des Etats-Nations ont émergé, se sont renforcées, pour finalement être prises en défaut. Le déterminisme historique hégélien qui avait tant marqué l'idéologie marxiste a paru un moment devoir être pris en héritage par les libéraux. La fin de l'Histoire annoncée par Francis Fukuyama (1) n'était rien d'autre que la promesse du triomphe définitif du libéralisme dans une société postindustrielle.

Pendant ces seize années le monde a basculé. Jusqu'en 1991, le débat majeur est celui de la « parenthèse » libérale ouverte en 1983 et de ses implications sociales et européennes. Cette période se termine par la chute du mur de Berlin et l'offensive américaine d'affirmation d'un leadership sans partage avec la guerre du Golfe, la dislocation du bloc communiste. Après ces bouleversements majeurs, tout se passe comme si la France, par une obstination politique assez rare, faisait l'impasse sur les changements intervenus et maintenait le cap antérieur.

Le traité de Maastricht consacre une monnaie unique conçue dans une Europe encore marquée par la guerre froide et la division de l'Allemagne. Il intronise un dogmatisme monétaire à l'origine d'un million de chômeurs supplémentaire dans notre pays. Alors que la fin de la guerre froide a fait perdre à l'OTAN sa justification, l'Alliance s'en cherche une autre qu'elle croit trouver au Kosovo. Le nouveau concept stratégique de l'OTAN renvoie l'ONU à un rôle d'alibi et « l'Europe de la défense » à un poncif  du discours dominical. La déstabilisation des Balkans implique l'élargissement de l'Union Européenne vers le Sud Est du continent et sa probable dilution dans une grande zone de libre échange.

1983-1991 : les peurs écologistes, la fin de la croissance, la fin de l'industrie

Au printemps 1983, la création de République Moderne répond au besoin de tirer les leçons de la renonciation à une politique de croissance, et de l'asservissement de l'Europe à une République Moderne est alors de définir le logiciel républicain qui permettrait à la France de relever ces nouveaux défis.

L'année 1979 avant été dans les grands pays occidentaux celles des choix économiques majeurs qui déterminent encore le cadre de l'action politique. Au Royaume-Uni, le triomphe du conservatisme tatchérien ouvre ma voie à une affirmation sans fard de la déréglementation. Le sommet de Tokyo du G5 durant l'été décide de donner la priorité à la désinflation lorsqu'arrive le second choc pétrolier. En Europe continentale, le SME se met en place et avec lui une zone mark asservie à l'orthodoxie monétaire.

Aux Etats-Unis, Paul Volker prend la même année les rênes de la Fed pour y affirmer un monétarisme doctrinaire qui fera monter les taux d'intérêt dans les pays occidentaux autour de 20 %. Aboutissant à un dollar surévalué, cette politique incitait de facto les multinationales américaines à délocaliser leur production et à donner au phénomène de mondialisation son impulsion décisive. Parallèlement, le décrochage de compétitivité qui en résultait bénéficiait essentiellement au Japon dont les performances technologiques remettaient en cause le leadership américain. En 1984, le commerce international des pays du Pacifique dépassait pour la première fois celui des pays de l'Atlantique.

La victoire de François Mitterrand le 10 mai 1981 était venue à contre-courant de l'évolution de la situation internationale. Malgré la convergence de conseils d'horizons variés - le gouverneur de la Banque de France ou moi-même - le nouveau Président et son premier ministre s'accrochèrent à la parité du franc et refusèrent de se donner l'espace d'une franche dévaluation. Les mesures de relance sociale sont alors l'objet de critiques au nom de la contrainte externe. Malgré une politique monétaire inadaptée, le déficit extérieur ne dépassait pourtant pas 2,2 % du PIB en 1982 et le déficit public 3,1 % en 1984 soit des niveaux plus faibles que pour les Etats-Unis à la même époque (respectivement 3,4 % pour le déficit extérieur en 1986 et 4,1 % pour le déficit budgétaire en 1983).

Le rouleau compresseur de la pensée unique prend forme petit à petit. Un coup d'accélérateur décisif lui est donné sur le Continent par le changement d'alliance des libéraux allemands qui font tomber le chancelier Schmidt pour porter au pouvoir Helmut Kohl en 1982. Le point nodal de cette rupture est la politique budgétaire allemande. Pour compenser les effets récessifs du SME sur les autres économies européennes, les sociaux-démocrates s'étaient engagés à assurer une stimulation budgétaire. Le déficit apparu à partir de 1980 était trop hétérodoxe pour le conformisme du Bundestag. L'arrivée de Kohl est une prémisse de l'idéologie qui allait s'épanouir ultérieurement avec les critères de Maastricht et le Pacte de stabilité.

Le débat sur l'ouverture d'une parenthèse, pour reprendre l'expression employée par les dirigeants du PS en mars 1983, est très révélateur. Déjà, en février 1983, la question de la finalité des nationalisations avait été posée. La gauche avait nationalisé. Pour quoi faire ? La réponse, donnée par François Mitterrand, fut d'accorder une totale autonomie de gestion aux dirigeants du secteur public. Ces derniers n'avaient plus de compte à rendre à personne : ni à un actionnaire privé ni à l'Etat. Cette ambiguïté originelle des nationalisations ne faisait au fond que préfigurer la suite… Les privatisations balladuriennes de 1986-88 à travers des noyaux durs croisés allait encore renforcer cette triste tendance. Ceci éclaire tout à la fois la crise du Crédit Lyonnais et les pertes de positions stratégiques des entreprises françaises, financières ou industrielles, sur l'échiquier mondial.

Le choix de 1983 fut évidemment celui des premières concessions à la logique de la mondialisation libérale. En décidant d'arrimer le franc au mark alors même que l'Allemagne venait de durcir son orthodoxie financière, la France s'engageait dans la voie d'un ajustement réduisant l'emploi à un solde. L'emploi n'était plus un objectif et son évolution n'était plus maîtrisée. La gauche tournait ainsi le dos à l'engagement fondamental de 1981 : d'abord l'emploi.

Sans doute, la situation des entreprises française en 1983, avec des marges atteignant un niveau historiquement très bas, nécessitait-elle impérieusement d'être restaurée. Mais ceci eût pu être fait par une amélioration de la compétitivité externe et non pas par la limitation
 du pouvoir d'achat des ménages et de la croissance. Ce choix fut donc aussi celui du malthusianisme sous le vernis des idéologies millénaristes. Le club de Rome avait annoncé dix ans auparavant la fin de la croissance et le début des années 80 était la période où la fin de l'industrie était proclamée autant par Alain Touraine que par Alain Minc. L'ère postindustrielle était annoncée avec sa faible croissance alors que 15 ans plus tard, la mondialisation apparaît avant tout comme un immense défi technologique et industriel. Le mouvement écologiste commençait alors à émerger en intégrant dans ce paradigme millénariste, à la fois la peur du progrès et les valeurs libertaires de 1968.

La dégradation sociale provoquée par la chute de la croissance n'a pas manqué d'avoir rapidement des effets sur la société civile. Les valeurs républicaines qui fondent la solidarité nationale et qui avaient déjà été sévèrement ébranlées par le septennat giscardien ont connu leurs premières fissures. Le Front National est devenu une force significative en 1983-84, profitant à ce moment de l'espace ouvert par les campagnes démagogiques de la droite parlementaire. La gauche lui oppose, non sans arrière pensée une spontanéité généreuse plutôt que des choix politiques, une relance sans perspective réelle du débat sur le vote des immigrés venant à point nommé pour attiser l'extrême-droite et en tirer parti tactiquement.

C'est à cette époque-là que se cristallise l'idéologie d'une gauche a-républicaine, se disant libérale-libertaire, tempérant à peine l'exacerbation de l'individualisme par un discours de compassion à l'égard des « exclus », oublieuse de l'intérêt général et des valeurs d'effort et d'abnégation que suppose son service, camouflant son hostilité aux valeurs républicaines sous des discours à la mode : le politiquement correct contre la liberté, l'oecuménisme contre la laïcité, l'éloge de la différence contre l'égalité, le remords social plutôt que la fraternité.

Dans l'Ecole cette idéologie se traduisait par la vogue du pédagogisme : sous prétexte d'ouvrir l'Ecole et d'intéresser l'enfant (but louable), on oubliait l'héritage des valeurs et des connaissances que l'Ecole a pour vocation de transmettre : l'Ecole de la République ne formait plus de citoyen depuis que dans la foulée de mai 68 on y avait supprimé l'éducation civique.

Quand les idées cessent de sous-entendre l'action des institutions, ne reste plus que le corporatisme. Le projet de grand service public unifié laïque de l'Education Nationale (GSPULEN) était la grande affaire des années 1981-1984. Ce pauvre remake des guerres de religion aura eu surtout pour effet d'éluder le débat véritable sur les missions de l'Ecole dans les années 80 : transmettre aux générations futures le savoir qui leur permettrait de maîtriser leur destin ; élever le niveau de formation, faire de l'éducation un facteur de la capacité de la France à relever les défis du monde. L'idéologie libéral-libertaire conduisait au contraire à substituer à cette mission essentielle un simple devoir d'accompagnement social des difficultés de l'enfant. Ce tropisme pédagogiste est plus que dangereux. L'Ecole cesse alors de concourir à l'intégration républicaine et devient un instrument de gestion sociale de l'exclusion de masse. Les mesures simples et pratiques prises dès le 28 août 1984 permirent d'ouvrir de nombreux chantiers qui avaient, pour beaucoup d'entre eux, été conçus au sein de République Moderne : élévation à 80 % d'une classe d'âge du nombre des jeunes qui doivent recevoir une formation du niveau du baccalauréat, création des baccalauréats professionnels, décentralisation des lycées et des collèges, révision des programmes de l'école primaire et des collèges, réintroduction de l'éducation civique, création des magistères dans les universités, introduction de l'informatique et de l'éducation à l'image notamment au collège, etc.

Le second septennat de François Mitterrand s'ouvrit dans un contexte très favorable. La croissance étant stimulée par le contre-choc pétrolier de 1986, l'équilibre financier des entreprises était restauré. La priorité pouvait être donnée à la lutte contre le chômage. Par manque d'imagination, par inertie, la politique économique menée depuis 1983 fut malheureusement poursuivie sous le label de la « désinflation compétitive ». La désinflation consistait toujours à peser sur les salaires et donc sur la consommation intérieure. Dès 1991, l'échec apparaît patent. Alors que le partage de la valeur ajoutée n'avait jamais été aussi défavorable aux salariés, la compétitivité extérieure des entreprises se dégradait à nouveau. Le franc fort accroché au mark était trop pénalisant pour nos entreprises exportatrices. La consommation intérieure fléchissait à nouveau puisque le cycle de croissance ne pouvait être auto-entretenu. C'est dans ce contexte que survinrent les deux ruptures majeures de la nouvelle de la décennie.

1991-1997 : la fin du travail, la fin de l'histoire, la fin des Etats-Nations

L'un des effets géostratégiques de la chute du prix des matières et notamment du pétrole à partir de 1982 – effet parfaitement recherché d'ailleurs par l'administration Reagan – fut d'accentuer rapidement les difficultés de l'Union soviétique. Gorbatchev tenta de sauver le système à travers une « perestroïka » désespérée. Le 19 novembre 1989, la chute du mur de Berlin marqua le début d'un processus achevé par la disparition de l'Union soviétique deux ans plus tard. Pendant que le bloc communiste s'écroulait, les Etats-Unis prenaient leurs quartiers et s'installaient massivement dans le Golfe. Ainsi naquit la thèse de la fin de l'Histoire. Le monde devait être dorénavant et à tout jamais soumis à un marché dont les mouvements étaient assimilés par le libéralisme à ceux du suffrage universel.

La guerre du Golfe a dessiné ce que devaient être les modalités de domination de la seule des Superpuissances restée en place. L'adversaire est identifié à travers une instrumentalisation de la référence aux droits de l'Homme, déconnecté du droit des citoyens, comme si le droit pouvait exister entre ciel et terre. L'intervention est massive. Décoré de prétextes humanitaires le droit d'ingérence vise à installer durablement le contrôle américain sur la région, et s'appuie sur des alliés qui donnent une caution internationale à l'action militaire. Pour le reste, cette intervention répondait essentiellement à la volonté de contrôler une région où se trouvent concentrés les deux tiers des réserves pétrolières mondiales ainsi qu'à d'autres objectifs géostratégiques assez évidents. Les rocambolesques opérations de l'UNSCOM, en 1998 et la poursuite d'une guerre que l'ONU n'a pu arbitrer ont montré l'hypocrisie régnante dont la première victime a été et reste le peuple irakien.

Pour la France et pour l'Europe, la guerre du Golfe a été une occasion ratée. Alors que pouvait naître à ce moment un véritable monde multipolaire, l'alignement de la France derrière la Grande-Bretagne et les Etats-Unis a sonné le glas de ceux qui avaient des espérances d'affirmation de l'Europe. Pourtant, ses intérêts ne rejoignaient pas ceux des Etats-Unis. La politique choisie ne pouvait que susciter un ressentiment profond des pays du Sud, fouetter l'intégrisme d'un bout à l'autre du monde méditerranéen et augmenter les risques de déstabilisation, notamment en Algérie.

A cet alignement atlantiste et à ce ralliement à l'ordre international qui prétendait lui être attaché, s'est ajoutée la soumission aux contraintes de la mondialisation.

 Lorsque le Comité Delors fut mis en place en 1988, le projet de monnaie unique visait à rééquilibrer l'Europe monétaire. Le refus de l'Allemagne d'appliquer les règles du SME définies en 1979, qui l'aurait obligé à aligner le mark sur la valeur moyennes des devises européennes, a conduit, au contraire, les autres pays européens à adopter des politiques inutilement restrictives. Cette asymétrie du SME était créatrice de chômage et potentiellement déstabilisatrice pour l'Europe.

C'est à cet égard que le projet de monnaie unique devait se comprendre. Il avait été l'objet d'un débat important de République Moderne, lors d'un colloque tenu début avril 1989. Avec les participants, nous avions conclu au rejet de cette proposition. En effet, soit la monnaie unique répondait aux critères orthodoxes de région monétaire et la fameuse asymétrie était, au contraire du but recherché, gravée dans le marbre, soit un rééquilibrage avait lieu mais il faisait porter l'effort sur l'Allemagne avec des risques non négligeables de rupture. Une démarche plus progressive alliant une monnaie commune et des monnaies nationales qui préserveraient une flexibilité économique avait été proposée en conclusion de ces travaux.

Une vague idée d'échange d la monnaie allemande contre l'arsenal nucléaire français  était avancée par la France mais l'opinion allemande y paraissait définitivement rétive. Ensuite, la réunification allemande a évidemment radicalement changé la donne. L'Allemagne fédérale se trouvait devoir assumer l'intégration des Länder orientaux, ce qui constituait un choc économique et financier de très grande ampleur. Une politique monétaire très restrictive fut adoptée par la Bundesbank pour sauvegarder les préceptes orthodoxes qui était les siens, mais aussi pour attirer les capitaux nécessaires à l'intégration de l'ex RDA.

Une hausse du mark étant prévisible, les Allemands proposèrent que leur devise soit mise en congés du SME. Erreur historique, les Français refusèrent. Sans doute, le parcours filandreux de la diplomatie française face à la dynamique de la réunification allemande explique-t-il pour une part au moins la perte de lucidité qui marqua cette époque. Il fallait pour ligoter l'Allemagne accepter que la France fut saignée par une surévaluation monétaire et des taux d'intérêt exorbitants.

Plongée dans ses problèmes, l'Allemagne ne se prêta à aucune concession. Maastricht couronne une monnaie unique à l'opposé du rééquilibrage souhaité. La France allait payer ce choix d'un gonflement exorbitant du chômage et des déficits publics. C'était plus que jamais la fin du travail sublimée par Jeremy Rifkin (2) en laquelle certains responsables socialistes virent un projet lumineux pour cette fin de siècle.

La terrible dépression de la première partie des années 90 amplifia « la fracture sociale » à laquelle République Moderne avait consacré un colloque dès 1992 et dont le thème fut victorieusement repris par l'un des candidats à l'élection présidentielle de 1995. Le ralliement de celui-ci aux contraintes de la monnaie unique six mois plus tard entraînera la plus grande grève que la France a connue depuis mai 1968. Son gouvernement, désormais champion toute catégorie de la fracture sociale ; sombra alors dans une dérive irréversible qu'allait sanctionner dix-huit mois plus tard l'échec de la dissolution de l'Assemblée Nationale hasardée par le Président de la République.

La fracture sociale a évidemment encouragé les comportements politiques les plus négatifs. D'une part, l'extrême droite a semblé, à trop de nos concitoyens parmi les plus démunis, constituer la seule réponse à la précarisation sociale et aux problèmes de sûreté quotidienne qu'ils rencontraient. D'autre part, à l'opposé, une démarche obscurantiste a gagné certains de ceux que l'on appelle les intellectuels de gauche. Ils ont alors substitué au traitement des questions de fond qui font prospérer l'extrême-droite, une rhétorique de diabolisation  fermée sur elle-même. Le combat contre l'extrême-droite était mis en scène, il devenait un spectacle, et même un alibi à la résignation.

Pendant que Maastricht coûtait un million de chômeurs à la France et six fois plus à l'Europe, les Etats-Unis jouaient de la mondialisation. A la suite de la dépression économique consécutive à la guerre du Golfe, le dollar était volontairement affaibli par la Fed pour lancer un cycle de croissance d'une durée historique qui se poursuit encore. Les Américains faisaient simultanément pression pour une plus grande ouverture internationale au commerce, avec l'accord de Marrakech et la constitution de l'OMC en mars 1994. La globalisation financière n'était pas en reste. La pression des fonds de pension américains a conduit à une déréglementation généralisée des flux de capitaux, à la constitution de bulles spéculatives successives et à la multiplication des crises locales ou régionales. Le Japon à partir de 1989 et plus récemment les pays émergents en ont fait les frais. Mais la pression des fonds américains est omniprésente. Ils détiennent aujourd'hui de 35 à 50 % des principales sociétés françaises et peuvent réduire de moitié leur capitalisation en quelques heures, comme ce fût le cas pour Alcatel en septembre 1998.

La fin de l'Histoire, la fin de a croissance, la fin de l'industrie, la fin du travail, c'est aussi évidemment la fin des Etats, la fin des Nations. Les Etats démocratiques sont l'expression de la souveraineté des Nations : ils sont donc autant d'entraves au libre cours des intérêts du Capital mondialisé. La déclaration des droits de l'Homme est du Citoyens du 26 août 1789 rappelle elle-même à son article 3 que la souveraineté réside dans la Nation. Cette grande idée, clef de la démocratie, n'est à l'évidence plus au goût du jour.

Le bon fonctionnement de ce qui ressemble de plus en plus à l'Empire dominé par une seule superpuissance requiert qu'à l'expression démocratique soit substituée une administration, si possible éclairée ; qu'à la délibération politique par le vote soit substituée la délégation de représentants dont les décisions ont couvertes par des instances sans responsabilité politique. Il en est ainsi tant de la Banque centrale européenne que de la Commission de Bruxelles. Cette déliquescence de l'ordre démocratique est accompagnée de la valorisation à outrance des particularismes à connotation ethnique au nom de la défense des droits de l'Homme, dès lors que ces particularismes dissolvent la Nation, et donc effectivement la souveraineté des Etats qui en sont l'expression.

Dans cet ordre nouveau, le champ est ouvert à l'affrontement des civilisations dépeint par Samuel Huntington (3) dont on ne sait si l'ouvrage a une valeur analytique ou décrit un dessein permettant  à la Superpuissance d'assurer la pérennité de sa position.

1997 : la fin des fins ? la volonté politique

Le fatalisme des gouvernements face à la fracture sociale qui a accompagné le processus de mondialisation a entraîné un désintérêt croissant des citoyens pour le débat public. L'abstention électorale a régulièrement augmenté. L'affaiblissement permanent de la participation aux élections européennes, supposées permettre l'ancrage démocratique du Parlement de Strasbourg, a été le symbole depuis 1979 de la rupture entre le souhait technocratique de voir naître un « peuple européen » et la réalité sociale de chacune des nations de l'Union.

La montée de l'abstention pèse évidemment sur la légitimité des responsables politiques. Plus généralement, elle a reflété une « crise de la représentation ». Les citoyens se sont sentis de plus en plus étrangers à une élite prisonnière d'une pensée unique guidée par des intérêts mondialisés. Les syndicats ont également été touchés par ce désengagement, leur base étant de plus en plus réduite. Beaucoup cherchent une nouvelle légitimité dans la reconnaissance par l'autre partie, le patronat, ce qui est souvent plus aisé que la voie militante. La confrontation sociale prend alors des formes d'explosions de mécontentement, comme en 1995.

L'alternance de 1997 en France marque un moment important de cette évolution lourde. Comme à chaque élection générale depuis la création du SME, le gouvernement sortant a été battu. Les particularités de cet échec, consécutif à une dissolution, en font un événement historique. Une telle mésaventure n'était pas arrivée dans la vie politique française depuis 120 ans.

L'ampleur du désastre de la droite est aussi un avertissement pour le gouvernement de la gauche plurielle. Il doit trouver une autre voie. Sa force est d'en être conscient. Il ne peut se satisfaire de la consécration de la fin de tout et doit justement dessiner un projet d'avenir. République Moderne a, dans cette nouvelle phase, contribué à la recherche de réponses constructives et cohérentes.

La seule fin annoncée est celle de ce millénaire, dans quelques mois d'id. La Nation, dont on annonçait la fin, doit au contraire d'autant plus être valorisée que l'âpreté de la mondialisation pèse sur la réalité sociale quotidienne. Deux millions de jeunes issus de l'immigration, et dont l'horizon est la France, sont à accueillir pleinement au sein de cette Nation qui est désormais la leur. La Nation est la base des solidarités. Son occultation signifie toujours un repli identitaire régressif comme on le voit évidemment en Yougoslavie mais aussi, heureusement sous des formes moins dramatiques, en Espagne, en Belgique, en Italie. L'éclatement qui menace le corps social pourrait avoir des conséquences politiques dramatiques. C'est à la Nation que retient la mission de répondre à ce défi. Pour ce faire, il y a deux conditions préalables.

La première est que les acteurs de la vie politique et sociale soient conscients de la tâche qui leur incombe. Le discours de Lionel Jospin le 19 juin 1997 à l'Assemblée Nationale est sur ce point majeur : en tout domaine, le retour à la République.

 L'Ecole, la Justice, la Police ont évidemment un rôle primordial dans cette entreprise. Elles doivent résister au discours compatissant à l'égard des dérives qui sèment le doute sur la réalité des règles, et des valeurs qui fondent la République et la démocratie.

L'Etat doit évidemment avoir le comportement exemplaire sans lequel un tel projet n'aurait pas de crédibilité. Le respect des règles, l'égalité devant la loi s'impose à tous. A ceux qui ont le pouvoir comme à tous ceux qui habitent des régions, des départements français qui ont la chance d'avoir un héritage culturel vivant. La sûreté touche aussi aux questions de santé publique. Là aussi, l'Etat a un rôle exemplaire à jouer. Face au progrès technique qui contribue à l'amélioration de nos conditions de vie, il est indispensable que les pouvoirs publics disposent des outils adaptés à la maîtrise des nouveaux risques.

Dans cette nécessaire clarification, l'évolution européenne récente n'est pas négative, notamment en Allemagne. l'introduction du droit du sol dans le droit de la nationalité y modifie profondément la définition de la nation allemande, la républicanise en quelque sorte, par opposition à un droit du sang qui sous-tend une approche ethnique de la nation. On peut espérer que, malgré les vicissitudes de la vie politique qui montrent, en Allemagne comme ailleurs, que les électeurs ne sont pas complètement indifférents aux promesses qui leur ont été faites, ce tournant fondamental sera confirmé.

La seconde condition d'un redressement national est qu'évidemment la situation de l'emploi cesse de créer les conditions de l'exclusion de masse et de la précarisation sociale. Le premier facteur d'ordre, c'est la réduction du chômage. La première étape dans cette voie était un infléchissement substantiel de l'orientation de la construction européenne. Lors du Congrès de Saint-Nazaire du Mouvement des Citoyens de novembre 1996, j'en avais défini les conditions que Lionel Jospin a acceptées d'intégrer pendant la campagne législative. La question cruciale était celle de l'administration de l'Italie dans l'euro. La France et l'Italie ont tenu bon et l'Allemagne l'a finalement accepté. La parité de l'euro par rapport au dollar reflète en partie le rapport de force politique et économique ainsi créé. Avec un recul très sensible pendant son premier semestre d'existence, l'euro ainsi dessiné a montré un autre visage que celui de Maastricht. On il pas assez remarqué que depuis 1997, la pertinence des critiques portées contre « la seule politique possible » s'est trouvée - discrètement il est vrai - vérifiée.

Nous avons rompu à la fois avec la surévaluation monétaire née de l'arrimage au mark - grâce à la remontée du dollar - et avec les taux d'intérêt assassins qui avaient bridé la croissance de 1991 à 1996.

Ne diminuons pas complètement les mérites d'une politique économique qui a su faire de l'euro large un euro compétitif et qui a redonné à la consommation intérieure le rôle moteur qu'elle avait perdu dans la période précédente.

L'Europe gagnerait à ce que la réorientation, à laquelle il a été procédé, se traduise institutionnellement dans les statuts de la banque centrale européenne dont les objectifs devraient, outre la surveillance de l'évolution des prix, porter sur la croissance et l'emploi.

Mais cette évolution de l'euro, il faut le dire, est aussi le signe de la faible croissance de l'Europe, la France étant relativement épargnée par cette dégradation. Le Pacte de stabilité entériné à Amsterdam est sur ce plan un mauvais point. Les risques liés aux divergences économiques entre pays de la zone euro ne seront surmontés que si la croissance est au rendez-vous et si le chômage régresse. Les déficits publics se réduiront alors naturellement comme le cycle de croissance américain vient de le montrer.

L'alternance allemande a naturellement facilité les choses. Mais la faiblesse de la croissance sème le doute chez les responsables sociaux-démocrates. Le nouveau Chancelier avait proposé pendant sa campagne la conclusion d'un Pacte européen pour l'emploi faisant pendant au Pacte de stabilité. L'idée était bonne. Le résultat est pourtant décevant, la proposition française d'y inscrire un objectif quantitatif et contraignant de croissance n'ayant pas été acceptée.

Mais il but rester lucide sur la crise économique que traverse l'Europe. Si le taux de change est un élément essentiel de la croissance, celle-ci ne doit pas être par trop dépendante des exportations. Le Japon l'a montré pour son grand malheur. Une croissance équilibrée nécessite qu'il y ait aussi un ressort intérieur fort. Celui-ci ne peut pas, non plus, provenir exclusivement des finances publiques. La clef reste la consommation des ménages. Les excédents extérieurs de la France ou de la zone euro témoignent des capacités qui peuvent encore être explorées.

Cette nouvelle dynamique de la croissance, que le gouvernement de Lionel Jospin a su préserver malgré la crise asiatique, doit être confortée dans notre pays et, si possible, étendue à l'Europe. Une gestion pragmatique de la loi sur les 35 heures peut y contribuer pourvu que le projet ne soit pas réduit à une vision malthusienne de partage du travail qui en provoquerait le rejet général. Bien entendu la croissance, si essentielle soit-elle, ne suffit pas. A l'actif du gouvernement de gauche il faut mettre la formule des emplois jeunes et tout ce qui à travers la négociation sociale contribue à enrichir la croissance en emploi.

Sur l'avenir des retraites qui fait et fera longtemps l'actualité, on se bornera il trois types de remarques :

L'alternative entre capitalisation et répartition ne concerne que le mode de calcul des droits à pension. Elle est indifférente au montant du produit il répartir. L'accumulation des titres ne peut tenir lieu de production des biens. En définitive c'est la croissance économique, la création d'emplois productifs, qui gagent seules le montant des retraites. La capitalisation ne dispose, sur ce plan d'aucun avantage sur la répartition. D'une façon ou d'une autre, ce sont toujours les actifs qui payent.

Aucune démonstration n'a été apportée de ce que l'importance de la capitalisation doperait la croissance du revenu global. Le Royaume-Uni, qui dispose dl' quelques-uns des "fonds" les plus anciens et les plus riches, a eu, sur la longue période, des performances de croissance médiocres, comparées à celles des autres nations européennes. Mais les « fonds » sont des instruments privilégiés de la puissance des milieux financiers, qui s'en font les plus actifs propagandistes. C'est une autre question que l'insuffisance des fonds propres des entreprises françaises, liée à une culture où nombre d'entrepreneurs préféraient avoir des dettes plutôt que des actionnaires ainsi qu'à un régime fiscal encourageant systématiquement les titres de dette au détriment des titres de fonds propres.

La répartition, n'est pas seulement une technique de distribution du revenu, mais un principe de lien social, de solidarité entre générations, Elle est donc une des bases du Pacte républicain moderne. Une chose est de toucher sa retraite comme salarié, une autre d'avoir sa pension versée conne actionnaire. Il n'est pas inutile de souligner qu'aux Etats-Unis, où seuls 40 % des salariés sont couverts par des fonds de pension, les « prestations définies » (les seules qui fixent il l'avance, indépendamment des fluctuations de la Bourse, le montant de la retraite) concernent moins d'un sur cinq d'entre eux et pour un « taux de remplacement » du salaire d'activité qui tourne entre 30 et 37 %.

A côté de l'emploi et de l'avenir des retraites, il existe un autre enjeu majeur : la préservation de notre liberté de décision. A cet égard, l'intervention du gouvernement de Lionel Jospin pour mettre un terme au projet de l'AMI (Accord Multilatéral sur l'Investissement) qui faisait primer le droit des multinationales sur la souveraineté des Etats, le tout sous le contrôle d'une juridiction privée, a été décisive et exemplaire. Le renforcement d'un gouvernement économique face à la banque centrale européenne irait également dans la bonne direction.

Enfin, pour redonner du sens à l'opinion publique, dépasser les horizons millénaristes, les responsables politiques sociaux-démocrates majoritaires en Europe ont l'impérieux devoir de formuler un projet mobilisateur pour l'Union Européenne. La crise du Kosovo pose deux questions fortes : la défense européenne, et l'élargissement de l'Union.

La défense européenne est pour l'heure un serpent de mer. Au cours des derniers mois des projets majeurs ont été abandonnés : la société européenne d'aéronautique et de défense, le projet de satellite européen de détection, le projet franco-allemand de satellite de transmission. Notre dépendance technologique à l'égard des Etats-Unis n'est pas contestée. Pour nos partenaires, l'Europe de la défense n'est qu'un échelon de l'OTAN. La nomination de l'actuel secrétaire général de l'OTAN, Javier Solana, comme premier monsieur PESC (Politique Extérieure et de Sécurité Commune) en dit long, quelles que soient ses qualités personnelles. Remettre sur les rails une coopération technologique et industrielle est aujourd'hui la priorité.

Dans le cas du Kosovo, il a fallu tous les efforts de la diplomatie pour réintroduire la Russie et obtenir une issue au conflit. L'opposition ou les réserves des Italiens, des Espagnols, des Grecs, et d'une partie de la gauche européenne à l'encontre des actions de l'OTAN ont pesé - moins il est vrai que la nécessité d'impliquer la Russie - dans l'arrêt de l'emballement militaire. Encore faut-il constater que l'ONU a fourni a posteriori l'emballage pour l'intervention de l'OTAN. Celle-ci est maintenant au pied du mur ; dans les résultats observables sur le terrain, et notamment l'exode des minorités serbe et tzigane du Kosovo, il n'y a rien qui n'était
 déjà contenu dans l'énoncé.

Si l'on veut éviter le fiasco programmé sous la forme d'une épuration ethnique à l'envers et la formation d'une grande Albanie qui déstabiliserait la Macédoine et l'ensemble de la région, il faut affirmer sans réserve la vocation des pays balkaniques à rentrer dans l'espace européen. Il faut d'abord faire la paix avec les Serbes, dont le pays a été ravagé par l'effet d'une stratégie disproportionnée, il n'y a aucune raison valable de ne pas remettre en marche sans tarder les centrales électriques, les raffineries de pétrole et les voies de communications. Tout montre - à commencer par la complaisance manifestement déployée à l'égard de l'UCK - que le Kosovo s'achemine vers une indépendance contraire au droit international et aux résolutions de l'ONU. C'est la première fois depuis la seconde guerre mondiale que des frontières auront été modifiées par la force, et cela à l'initiative des grandes puissances.

C'est à elles qu'il appartient de régler de la manière la plus réaliste le sort des minorités, de reconstruire les infrastructures de base en Serbie et de préparer l'intégration des Balkans à l'espace européen.

La volatilisation de la Yougoslavie implique que toute cette région se regroupe au moins sous l'égide de l'Union européenne et sans exclure bien sûr ni la Serbie, ni la Roumanie, ni la Bulgarie.

C'est donc une nouvelle étape de l'élargissement qui se profile. Elle conduit l'Union européenne à se distendre au fur et à mesure qu'elle s'étend. Une course poursuite épuisante a été engagée entre l'élargissement et la réforme des institutions. Il est temps de faire jouer le principe de « subsidiarité » dans le seul sens qui soit réaliste : ne faire faire à l'Union que ce qui n'est pas réalisable au niveau national. Lionel Jospin a justement rappelé que la nation reste le cadre essentiel de la légitimité démocratique et que l'Europe ne peut se construire que dans le prolongement des nations (discours de Milan - 1er mars 1999). Il va falloir maintenant passer aux travaux pratiques.

De toute évidence l'Europe s'achemine vers des coopérations renforcées à l'intérieur comme à l'extérieur vis à vis de la Russie, de la Turquie et du Maghreb. Elle ne dispense nullement la République d'exister dans son rapport au monde, bien au contraire.

L'idée républicaine et le patriotisme français peuvent s'ouvrir par des cercles de solidarité nouveaux. Ils n'ont pas à rompre leur compagnonnage biséculaire. République Moderne continuera donc à oeuvrer pour dégager en tout domaine, des solutions conformes il l'intérêt national et à la vocation universelle de la France. La tâche n'est pas mince à une époque où le fait de se déterminer à l'aune de l'intérêt national parait être devenu le comble du politiquement incorrect.


(1) Francis Fukuyama. La fin de l'histoire, Flammarion, 1989
(2) Jeremy Ritki n. La fin du travail, La Découverte, 1995
(3) Samuel Huntington. Le choc des civilisations, Flammarion, 1996