Texte intégral
Les Échos : Pourquoi lancer une grande revue des programmes quand chacun des états-majors procède régulièrement à cet exercice ?
Alain Richard : Permettez-moi d’abord de situer notre budget de matériel de défense dans une démarche politique d’ensemble. On ne peut pas demander au citoyen de financer sans comprendre. Chacun ressent qu’il y a des menaces variées, même lointaines, auxquelles il faut se préparer efficacement. Pourquoi la France a-t-elle une problématique originale quant à son industrie de défense ? Parce qu’elle a choisi de rester dans les pays de tête en termes de capacités technologiques. C’est un moyen d’expression de sa politique internationale et de garantie de sa sécurité, avec un souci intense d’autonomie. Ces objectifs majeurs, je dois les servir avec un maximum d’efficacité et n’ai pas à les remettre en cause. La revue des programmes doit actualiser des données techniques et financières sur lesquelles s’est basée la programmation. Elle doit intensifier la recherche d’un optimum coût-efficacité sur chacun des objectifs, et exprimer des variantes possibles sur les différents éléments du dispositif de défense permettant de s’adapter aux moyens disponibles.
Les Échos : La revue des programmes va-t-elle suggérer des étalements, des révisions de cible, voire des annulations ?
Alain Richard : Le but recherché est de réaliser le dispositif souhaitable au meilleur coût. Aucune solution n’est à écarter pour l’atteindre, y compris des alternatives soit dans les matériels eux-mêmes, soit dans les techniques d’acquisition des équipements prévus.
Les Échos : Qui va exprimer les choix qui découleront de cette revue des programmes ?
Alain Richard : Dans notre Constitution, ce choix est celui du Président de la République et du Premier ministre, qui ne peuvent qu’être d’accord. Puisqu’il s’agit de clarifier des choix, voire d’ouvrir des alternatives partielles dans notre système de défense, cette réflexion doit aussi s’adresser au Parlement et à l’ensemble de l’opinion.
Les Échos : Le Rafale va passer au crible. Est-il menacé ?
Il est hors de question de le remettre en cause, pour une raison simple : la France va, dans la décennie qui vient, remplacer ses avions de combat par une nouvelle génération, et personne n’envisage que la France n’ait plus de force aérienne. La question n’est pas de savoir si on achètera des avions, mais si nous achèterons celui que nous avons développé, le Rafale. Son développement, nous l’avons payé, et cet avion et techniquement performant. C’est pourquoi nous n’allons pas arrêter la série là où elle est. Cela ne ferme pas le débat sur la coopération européenne en matière d’aviation de combat, mais en reporte les effets pratiques à la génération d’avions de combat suivante, qu’il est bientôt temps de préparer. Cela ne modifie pas non plus nos objectifs de structuration de l’aéronautique française.
Les Échos : Que pensez-vous des performances des industriels de l’armement ?
Alain Richard : Tout un travail de réorganisation est engagé qui a pour objectif d’assurer à la France une industrie de défense durablement adaptée au nouveau contexte international. Ce qui est facilité par les efforts d’ouverture à l’exportation déjà consentis par les entreprises. Ce travail vise à atteindre une modération substantielle des coûts et à stimuler ce qui fait leur plus grande valeur : la dualité technologique et l’effet d’entraînement scientifique et industriel que ce secteur suscite.
Les Échos : Cela est-il vrai pour le Giat et la DCN, critiqués pour leur manque d’efficacité ?
Alain Richard : Il ne peut pas y avoir deux règles du jeu. S’agissant de Giat Industries et de la DCN , les deux ensembles industriels les plus liés à l’État, la ligne de conduite du gouvernement est de les rendre, dans la durée, industriellement solides, pérennes et suffisamment réactifs face à la demande réelle de matériels de défense.
Les Échos : N’était-il pas prévisible que ces deux entreprises éprouvent des difficultés pour s’adapter à une charge toujours revue à la baisse ?
Alain Richard : Je souhaite qu’une réflexion particulière engageant l’ensemble du gouvernement établisse des objectifs concerts d’adaptation de ces deux ensembles industriels dans un esprit de concertation approfondie. Pendant ce travail nécessaire, des mesures positives sur le plan social (retraite anticipée, aménagement du temps de travail, réflexion sur l’organisation des établissements) seront mises en place, ainsi qu’une action résolue de tous les partenaires publics pour un nouveau développement économique des sites les plus concernés par la mono-industrie de défense étatique et par les variations de plans de charge. Cette étude devrait être rendue après la revue des programmes qui définira le volume des commandes de la défense.
Les Échos : Cette réflexion portera-t-elle sur les statuts ?
Alain Richard : La question des statuts des hommes ou des établissements n’est ni prioritaire ni centrale aujourd’hui. En tout cas, la concertation devra être complète. J’insisterai fortement pour que la DCN se dote de véritables comptes d’entreprises. Pour que les comptes soient crédibles et permettent une bonne utilisation des moyens, il n’est pas nécessaire de modifier les statuts de ces établissements industriels de l’État.
Les Échos : Les mesures incluses dans le plan social de Giat Industries et dans le plan social de Giat Industries et dans le plan du gouvernement précédent pour la DCN suffisent-elles ?
Alain Richard : J’ai reçu hier les organisations syndicales pour faire part de la décision du gouvernement de prendre, pour les ouvriers de l’État travaillant à la DCN et à GIAT Industries, une mesure dérogatoire autorisant, dans le respect du maintien des compétences des établissements, leur départ à 52 ans. Une attention particulière doit être portée à la pyramide des âges. Des négociations sur l’aménagement du temps de travail à la DCN seront engagées en 1998 établissement par établissement. Les négociations locales sont très importantes à mes yeux dans ce processus d’adaptation. Parallèlement, le gouvernement va redynamiser le dispositif de conversion économique des bassins d’emploi, avec un réseau d’animateurs économiques et un crédit de 500 millions, géré de manière déconcentrée et dans la transparence en association avec les élus et les organisations représentatives dans des comités de suivi organisés autour des préfets.
Les Échos : Le dossier de l’aéronautique progresse-t-il, tant au niveau national qu’européen ?
Alain Richard : Je ne les distingue pas. L’objectif du gouvernement est de fixer une perspective claire, de niveau européen, à l’ensemble des activités spatiales et aéronautiques, civiles et militaires où la France est engagée, en gardant à l’esprit que ces activités sont des fleurons de notre recherche et de notre industrie. Cela inclut les hélicoptères, les avions régionaux, le spatial et les missiles. Nous souhaitons vivement que la future société aéronautique européenne intègre l’ensemble de ces activités. Le principe de dualité civile-militaire et d’effet d’entraînement ainsi que la prise en compte de la part française très substantielle dans cette activité européenne sont les bases de notre approche, qui semble être comprise par les grands partenaires, tant politiques qu’industriels, avec lesquels nous devrons nous mettre d’accord.
Les Échos : Vous oubliez les avions de combat à dessein ?
Alain Richard : Non. Nous voulons rassembler l’aéronautique civile et militaire. Mais il va falloir gérer pendant au moins vingt ans la concurrence de deux produits européens haut de gamme – le Rafale et l’Eurofighter – sur un marché pour l’instant plutôt étroit. Si les perspectives de marché s’améliorent, les deux avions, partiellement complémentaires, trouveront mieux leur place dans un ensemble aéronautique européen. Mais, dans les conditions actuelles, cela impliquerait une gestion assez compliquée. Nous défendons donc le principe d’un élargissement d’Airbus aux avions de combat, mais restons pragmatiques sur les modalités.
Les Échos : Est-il, selon vous, nécessaire qu’Aerospatiale et Dassault se présentent groupés à l’occasion de la transformation d’Airbus ?
Alain Richard : Non. Toutefois, ce rapprochement est souhaité par le gouvernement et il et poussé par le souci d’efficacité technologique et industrielle maximale. Donc le calendrier est moins important que la cohérence qu’on arrive à créer entre les partenaires.