Interview de M. Bruno Mégret, délégué général du Front national, à Europe 1 le 9 décembre 1997, sur l'annonce du projet d'installation d'une usine Toyota près de Valenciennes, les contacts entre la droite et le Front national en vue des élections régionales de mars 1998 et sur les propos de M. Le Pen sur les chambres à gaz.

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Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach : La mondialisation peut profiter à la France, contrairement à ce que répète le Front national. Toyota s’installe à Valenciennes, Toyota mérite donc le tapis rouge ?

B. Mégret : Certainement pas. Moi je suis assez agacé par ces courbettes. On a l’impression d’être les colonisateurs qui accueillent leurs colonisés. Toyota s’installe en France, moi je pose deux questions : combien y a-t-il d’usine Peugeot, Renault qui se sont installées au Japon ? Et combien de fermetures d’usine Citroën, liées à l’arrivée de l’entreprise Toyota sur notre territoire ? Comment se fait-il que la mondialisation, ça se passe toujours dans un sens ? »

J.-P. Elkabbach : Mais alors vous négligez 2 000 emplois ?

B. Mégret : Mais ces 2 000 emplois qui sont créés, ils vont détruire combien d’emplois dans les autres usines françaises ?

J.-P. Elkabbach : Dans deux élections partielles, à Mulhouse et en Meurthe-et-Moselle, les candidats Front national sont éliminés. Un UDF et un RPR s’en sont débarrassés. Est-ce que c’est une première défaite pour le Front national ? Est-ce la décrue ?

B. Mégret : Pas du tout ! Je trouve assez pitoyable de voir le RPR et l’UDF se féliciter de conserver deux des sièges qu’ils avaient sauvés la dernière fois. En réalité, aux élections partielles, le Front national fait toujours moins bien parce que ce sont des troisièmes tours qui jouent entre les invalidés et les invalidants. Il y a une grosse abstention et cela joue contre le Front national.

J.-P. Elkabbach : Vous trouvez toujours une explication. M. Barre a résumé ce que pensent beaucoup de gens : « C’est un coup d’arrêt à la progression du Front national ».

B. Mégret : Qu’ils le pensent si ça peut les rassurer. Je pense qu’ils auront de graves désillusions.

J.-P. Elkabbach : La droite est aujourd’hui hantée par vous, mais en majorité contre vous. Aux régionales, le Front national l’aidera-t-il à garder des présidences qui sont menacées ou la fera-t-il battre ?

B. Mégret : Notre politique, elle est très simple : c’est la carotte et le bâton. La carotte, en ce sens que nous sommes tout à fait d’accord pour des accords ponctuels, électoraux avec le RPR, l’UDF, à condition qu’ils soient réciproques. Et le bâton, c’est que nous sommes tout aussi résolus à les laisser se faire battre par la gauche s’ils refusent ces accords, comme ils se sont fait battre pour les législatives passées.

J.-P. Elkabbach : – Donc, comme dit Monsieur Pasqua : vous êtes dans la majorité ?

B. Mégret : Oh Monsieur Pasqua ! Je le trouve parfois touchant, parce qu’il me fait penser à ce petit garçon en culotte courte qui a fait une grosse bêtise et qui vient de dire à sa maman : ce n’est pas moi, c’est lui. Alors, c’est vrai, Monsieur Pasqua, que vous avez fait une grosse bêtise en dissolvant l’Assemblée nationale et en vous faisant battre. Et maintenant, vous venez dire aux français : c’est pas nous, c’est le Front national. Cela mérite une grosse fessée que les Français vont lui donner.

J.-P. Elkabbach : Vous parlez de contacts : y a-t-il beaucoup de contacts locaux, même s’ils ne sont pas tous très connus – si vous pouvez dire la vérité ?

B. Mégret : Non, ce n’est pas comme ça que ça se passe. Les choses sont beaucoup plus simples. Je prends un exemple : si, en région Provence-Alpes-Côte d’Azur, le Front national arrive en tête, si dans la région Île-de-France, le RPR et l’UDF perdent la majorité, eh bien pourquoi ne pas faire en sorte qu’à Marseille, le Front national assume les responsabilités de l’exécutif et que le RPR et l’UDF les gardent à Paris ?

J.-P. Elkabbach :  F. Léotard disait hier : « Le Pen n’a aucune chance de président la région PACA ».

B. Mégret : Oui, mais M. Léotard est complètement hystérique sur cette question. Et je dois dire qu’annoncer à l’avance qu’il fera voter pour un président de gauche plutôt que pour le Front national, ça veut dire qu’il fait savoir à ses électeurs que s’ils votent pour lui, c’est bien pour un candidat de gauche à la présidence de la région qu’ils peuvent voter. Ils aviseront en conséquence.

J.-P. Elkabbach : Dans certains cas, quand vous en aiderez un certain nombre, si vous les aidez, ça sera sans contrepartie ou avec des échanges ?

B. Mégret : Ça ne peut être qu’avec contrepartie. La politique, c’est du donnant-donnant, surtout avec ces gens-là. Et moi, il y a une chose qui me semble…

J.-P. Elkabbach : C’est incroyable que vous, vous parliez d’eux, en disant : « ces gens-là ». Permettez-moi de vous le dire !

B. Mégret : Oui, mais écoutez, il y a une chose qui me paraît essentielle : c’est que j’ai entendu dire plusieurs fois que la stratégie du RPR ou de l’UDF, c’était ni accord, ni alliance, ni diabolisation. Alors, je les mets au pied du mur. Que M. Séguin, par exemple, dise maintenant, clairement – puisqu’il ne veut pas diaboliser le Front national – que le Front national est un grand mouvement politique, républicain, démocratique, représentatif, légitime, ayant toute sa place dans les institutions.

J.-P. Elkabbach : Vous demandez beaucoup.

B. Mégret : C’est ça, la dédiabolisation du FN.

J.-P. Elkabbach : En fait, vous chercher à effrayer la droite, la détruire, qui voulez-vous remplacer ?

B. Mégret : Je crois qu’avec l’élection législative, il y a une nouvelle donne politique en France. Il y a maintenant clairement trois grands pôles politiques : la gauche, RPR-UDF, FN. Et quand on arrive là, sur une scène politique, c’est qu’il y a un déséquilibre, il y a un pôle de trop, c’est le RPR et l’UDF qui est au centre, qui n’a plus rien à dire, qui est coincé stratégiquement, qui ne peut plus constituer de majorité.

J.-P. Elkabbach : Donc, vous essayez de les balayer, de les faire partir ?

B. Mégret : Je crois qu’ils n’ont plus que deux solutions : ou bien ils se tournent vers la gauche – certains d’entre eux le font – ou bien ils se tournent vers le FN. Je crois que la vocation du FN, c’est vrai, c’est d‘occuper l’espace qu’ils vont libérer.

J.-P. Elkabbach : Le diable a encore déclenché un nouvel écœurement, J.-M. Le Pen a récidivé sur les chambres à gaz : détail, dit-il, de l’histoire de la Deuxième Guerre mondiale. Alors, détail ?

B. Mégret : C’est une affaire qui a déclenché une polémique nationale, il y a dix ans. On ne va pas recommencer aujourd’hui le scénario.

J.-P. Elkabbach : Pourquoi recommence-t-il ? Il va se faire condamner de la même manière.

B. Mégret : Il recommence parce que J.-M. Le Pen a répondu à des journalistes et que c’est ça son mérite, il fait toujours les mêmes réponses aux mêmes questions. Mais moi, ce qui me paraît important dans cette affaire, c’est qu’on tourne la page, qu’on ne se trompe pas de siècle. Moi, je ne me trompe pas de siècle, ce qui m’intéresse, c’est le XXIe siècle.

J.-P. Elkabbach : Pour vous, Mégret Bruno, les chambres à gaz sont-elles aussi un détail ?

B. Mégret : Symboliquement, je ne veux pas répondre parce que je pense qu’il est temps de parler d’autre chose que de la Seconde Guerre mondiale.

J.-P. Elkabbach : Je suis d’accord mais c’est votre patron qui ouvre la voie.

B. Mégret : Non, il a répondu à une question.

J.-P. Elkabbach : Est-ce que vous trouvez qu’il a raison ?

B. Mégret : Je refuse symboliquement.

J.-P. Elkabbach : Vous vous rendez compte que vous montrez de l’embarras.

B. Mégret : Pas du tout, je refuse de répondre à votre question de manière emblématique et symbolique parce que je pense qu’il est temps de tourner la page de la Seconde Guerre mondiale, d’en finir avec ces réminiscences incessantes sur ce passé-là. Je suis pour le devoir de mémoire, je suis pour le travail de mémoire comme on dit aujourd’hui, mais un grand pays sain qui se tourne vers l’avenir doit se remémorer les périodes les plus fastes de son histoire, les plus glorieuses, les plus valorisantes et non pas, sans arrêt, de façon morbide, se tourner vers les heures les plus sombres de notre passé. Je crois que c’est très important pour la santé mentale de notre pays.

J.-P. Elkabbach : Mais au moment où le Président de ma République se recueillait devant le Mémorial et le fichier juifs, J.-M. Le Pen parlait de chambre à gaz aux côtés d’un Waffen SS et à 20 km du camp de Dachau.

B. Mégret : Le Président de la République n’est pas notre modèle, loin de là. Le Président de la République française, M. Chirac, qui se prétend gaulliste, a en quelque sorte trahi le gaullisme. Alors que de Gaulle avait placé la France dans le camp des vainqueurs, M. Chirac place la France dans le camp des coupables. Alors, ce n’est certainement pas notre modèle.

J.-P. Elkabbach : Je retiendrai votre embarras sur la réponse. Vous ne m’avez pas dit si M. Le Pen dit ce que vous pensez, vous.

B. Mégret : Je ne suis pas embarrassé du tout. Sur toutes ces questions, je suis en accord avec J.-M. Le Pen ; sur toutes les questions qui concernent l’avenir de notre pays, bien évidemment, c’est ça qui nous rassemble.

J.-P. Elkabbach : Englobant le passé ?

B. Mégret : La France ne peut exister dans l’avenir qu’en s’appuyant sur son passé. Ce qui nous intéresse, c’est son passé glorieux.