Déclarations de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, et interview à RMC Moyen Orient, sur les relations franco-syriennes et sur la coopération entre la France, l'Union européenne, les Etats-Unis et la Russie, pour une relance du processus de paix au Proche-Orient, Damas, les 12 et 13 janvier 1998.

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Circonstance : Voyage de M. Védrine au Liban, en Jordanie et en Syrie du 11 au 13 janvier 1998-en Syrie les 12 et 13

Média : Emission Forum RMC FR3 - RMC

Texte intégral

Visite au Proche-Orient propos du ministre des Affaires étrangères, M. Hubert Védrine, à son arrivée à l’aéroport (Damas, 12 janvier 1998)

Q. Monsieur le ministre, nous vous souhaitons la bienvenue au nom de l’agence de presse syrienne. Nous aimerions que vous évoquiez les sujets que vous allez aborder avec les autorités syriennes. Y a-t-il des propositions françaises pour donner une impulsion au processus de paix ?

R. Je dirais simplement que pour moi cette visite à Damas est très importante. La France est très engagée, comme chacun de vous le sait, dans la recherche d’une solution aux problèmes du Proche-Orient et à la question israélo-palestinienne, qui est l’un des problèmes liés aux relations entre Israël et la Syrie, et le Liban. Tout cela forme une vaste question, à propos de laquelle la France estime, pour de nombreuses raisons, historiques et politiques, qu’elle ne doit jamais relâcher ses efforts pour essayer, avec d’autres, de réenclencher la recherche d’une solution, aujourd’hui, malheureusement, entravée et bloquée. Dans ce contexte, les dirigeants français, que ce soit le président de la République ou le gouvernement, tiennent essentiellement à avoir un dialogue très dense avec les responsables syriens. C’est un dialogue régulier. D’ailleurs, le vice-président et le ministre des Affaires étrangères sont venus, il y a quelques jours à Paris, et chaque fois, il s’agit d’évoquer par les relations bilatérales qui sont bonnes, mais qu’il faut toujours essayer de renforcer, de dynamiser, les problèmes de la région et tout autre sujet d’intérêt commun, car nous connaissons l’importance de la Syrie et de la politique qu’elle mène. Voilà dans quel état d’esprit je viens.

Visite au Proche-Orient, point de presse du ministre des Affaires étrangères, M. Hubert Védrine (Damas, 13 janvier 1998)

J’ai abordé toutes les questions qui sont importantes pour nos pays. Nous avons abordé les questions en rapport avec les relations bilatérales. Comme je l’ai dit dès mon arrivée, elles sont bonnes et notre vœu est de les renforcer encore et de les dynamiser. Nous les avons donc passées en revue dans cet esprit.
 
D’autre part, j’ai pu aborder, avec le président et le ministre, la situation dans la région et les diverses conséquences locales de l’enlisement du processus de paix. La France est animée par l’idée de faire tout ce qui est en son pouvoir pour contribuer à un déblocage de cette situation.

Dans le cadre de cet effort, le dialogue politique qu’elle a avec la Syrie a une très grande importance à ses yeux et donc mon pays a l’intention de développer encore ces relations. J’étais d’ailleurs porteur d’un message du président Chirac au président syrien dans cet esprit et maintenant je vais laisser mon collègue, le ministre syrien, peut-être dire ce qu’il a pensé de cette journée.

(...)

Q. M. Chirac a parlé d’une initiative française dans un cadre européen pour une relance du processus de paix au Proche-Orient. Sur quel niveau reposera une telle initiative et quand annoncera-t-on cette initiative ?

R. Pour le moment, ce que je peux vous dire à ce sujet c’est de rappeler l’action continue de la France. Quand il y aura plus de choses à dire dans le détail, nous le ferons. À ce stade, je rappelle que la France agit en permanence et même les jours où on ne met pas de propositions en avant, même les jours où il n’y a pas de visites de ministres dans cette région. La France travaille chaque jour, d’abord dans sa relation avec les États et les parties prenantes de la région et, d’autre part, au sein de l’Union européenne, avec ses partenaires. D’autre part, avec les États-Unis comme avec la Russie. Elle travaille dans le sens que j’ai indiqué tout à l’heure qui est celui d’une relance du processus de paix. Nous travaillons à faire en sorte que les actions des uns et des autres et les éventuelles propositions des uns et des autres aillent toutes dans le même sens. Un de nos champs d’actions prioritaires est précisément l’Union européenne. Les interlocuteurs syriens ont donc souhaité que l’Europe joue un rôle accru. C’est tout à fait notre conception et nous y travaillons, et je ne peux pas aller au-delà pour le moment.

Q. Avez-vous évoqué avec le président Assad les problèmes avec la Turquie et les responsables syriens ont-ils demandé à la France de faire une médiation avec la Turquie, puisque la France est la meilleure amie de la Turquie et de la Syrie parmi les autres pays européens ?

R. II n’a pas été question de médiation au sens propre du terme. Je me suis rendu récemment en Turquie, pour d’autres raisons, mais j’ai quand même pu m’entretenir avec des responsables turcs, j’ai tenu informé mes interlocuteurs à Damas des conversations que j’ai eu à Ankara sur ce sujet. La France, dans ce cas d’espèce, n’est pas un médiateur mais un partenaire important des deux pays, pour aider l’un comme l’autre à faire une meilleure analyse de la situation et en parler.

Q. Monsieur le ministre, quelle est la portée du protocole que vous avez signé ce matin, le premier depuis dix ans ?

R. Je crois que la portée de ce protocole est contenue dans les termes de votre question. C’est le premier depuis dix ans et il va permettre, nous l’espérons, une relance très importante de notre coopération bilatérale. Un protocole, c’est un cadre. À l’intérieur de ce cadre, après il faut que les projets s’ajustent au mieux entre les besoins des pays concernés et les propositions qui peuvent être faites notamment par les entreprises. Cela fait partie du suivi dont a parlé le ministre des Affaires étrangères tout à l’heure.

Q. On sait, que le commerce d’Israël se fait surtout avec l’Union européenne et la plupart des pays européens ont reconnu que M. Netanyahu entravait le processus de paix. Pourquoi les pays européens ne passent pas du stade des revendications verbales au stade de l’action dans ce processus, à savoir par exemple l’imposition de sanctions à l’égard d’Israël, comme cela a été le cas pour l’Afrique du Sud ?

R. Ce n’est pas forcément une bonne idée de mélanger les choses. D’abord, Israël a des relations commerciales avec le monde entier. Donc c’est une question que vous pourriez poser à des tas d’autres responsables. D’autre part, quand ce commerce a lieu, il a lieu parce qu’il est profitable de part et d’autre. D’une façon générale, l’Europe n’est pas très favorable, comme vous le savez, à l’utilisation des armes commerciales, des armes économiques pour régler les problèmes politiques. C’est même un sujet sur lequel il y a, disons, des différences d’approche entre l’Union européenne et les États-Unis. Donc, ce n’est pas tout fait dans les positions européennes, ce qui n’empêche pas une action politique et diplomatique très déterminée.

Q. Après les dernières déclarations israéliennes, quelle est votre conception de l’application de la résolution 425 ?

R. Il ne peut pas y avoir de conception française spéciale sur l’application d’une résolution. À propos, là vous parlez de la question du Liban-Sud qui a été traitée par deux résolutions très anciennes, la résolution 425 et la résolution 426 que la France avait voté en tant que membre permanent du Conseil de sécurité. Nous n’avons pas de conception spéciale sur ces résolutions. Elles parlent d’elles-mêmes, il suffit de relire les textes. Tout ce que nous avons noté à propos des déclarations récentes auxquelles vous faites allusion, c’est que pour la première fois un ministre israélien se réfère à cette résolution en la citant, mais l’assortit pour son application éventuelle d’une série de conditions qui ne sont pas contenues clans le texte. Ceci laisse à penser qu’on n’est pas tout à fait à la veille de son application.

RMC - 13 janvier 1998

Q. La Syrie souhaite, d’après les responsables syriens, des relations stratégiques avec la France. Pensez-vous que c’est possible dans cette conjoncture ?

R. La France a des relations importantes avec la Syrie. Les relations bilatérales sont bonnes et nous sommes déterminés à les développer. Par exemple, j’ai signé aujourd’hui à Damas un protocole financier dans cet esprit, et d’autre part, il y a un dialogue politique qui est tout à fait important aux yeux de Paris, puisque la France est très engagée dans cette région du Proche-Orient, elle est très engagée dans la recherche d’un déblocage, d’un désenlisement du processus de paix, et cela ne peut passer que par un dialogue soutenu avec les différents pays et tous les protagonistes de la région. Comme chacun peut l’observer, la France parle soit parce que le président de la République ou un ministre se rend dans la région ou à Paris très souvent, ou à New York, soit enfin dans d’autres instances, avec la Syrie, avec Israël, avec le Liban, la Jordanie, avec l’Autorité palestinienne, avec l’Égypte. C’est un travail continu tous les jours, même quand il n’y a rien de particulièrement visible à un moment donné. C’est vrai que dans ce contexte, la discussion politique avec la Syrie, compte tenu de sa situation, de son poids, de l’histoire de toutes une série de données, est un élément très important.

Q. Monsieur le ministre, la France répète tout le temps que son rôle dans le processus de paix est complémentaire avec le rôle américain. La France est-elle pour une initiative commune avec les États-Unis ? Pourrait-elle relancer une initiative commune avec ce pays ou l’Europe, dans un cadre européen ?

R. Votre question m’amène à dire qu’il faut se méfier du mot initiative parce que cela donne l’impression que, de temps en temps, il y a une initiative, et qu’entre deux initiatives, il ne se passe rien. Cela ne se passe pas du tout comme cela. Ce qui se passe, c’est que le problème du Proche-Orient, l’enlisement dangereux du processus de paix avec ses multiples répercussions sous ses différents aspects, que ce soit les dimensions israélo-palestiniennes ou les dimensions israélo-syro-libanaises, cet enlisement dangereux nécessite une action de tous les jours. Donc, ce n’est pas uniquement en faisant des propositions très visibles toutes les quelques semaines ou les quelques mois que l’on fera avancer les choses. C’est un travail constant qui se fait à différents niveaux dans la région et avec les responsables de l’ensemble des pays et protagonistes de cette situation, un travail qui se fait donc au sein de l’Union européenne et qui se fait à New York au sein du Conseil de sécurité, au sein de l’ONU, et naturellement avec tous les autres grands pays qui peuvent avoir à intervenir dans cette région : les États-Unis, que vous citiez, mais aussi la Russie, par exemple. Donc, quand nous parlons d’action commune avec les États-Unis, c’est parce que nous pensons que cela n’a pas de sens que tel ou tel d’entre eux, que ce soient les États-Unis, la Russie ou l’Europe, la France en particulier, agissent dans son coin. Ce qui est intéressant, c’est de constituer une vision d’ensemble, une sorte d’analyse commune de toutes les puissances qui peuvent intervenir, de tous les pays qui veulent agir pour qu’il y ait une analyse commune, une convergence des actions, des propositions, des incitations, des déclarations, pour aller vers le résultat que nous voulons, qui est, encore une fois, le déblocage du processus, le redémarrage de la recherche d’une solution qui est la seule solution, un jour, à terme, à la stabilité dans la justice. Il y a la dimension euro-américaine qui est très importante parce qu’il faut essayer d’éviter une rivalité gratuite sur ce sujet, mais cette idée de convergence des actions extérieures plus large que cela encore enveloppe dans notre esprit tous les acteurs. Et c’est pour cela que nous y travaillons en permanence.