Texte intégral
Q - A gauche, tout le monde plaide pour une Europe plus sociale. Qu'est-ce qui vous différencie des autres listes ?
C'est vrai que l'Europe sociale est à la mode. Encore faut-il savoir comment, concrètement, on arrive à la mettre en place. Pour faire l'euro, il a fallu des critères de convergence. Aujourd'hui, l'Europe a besoin de critères de cohérence. Il faut que le Parlement européen et le Conseil définissent des objectifs contraignants à moyen-long terme, comme la réduction du temps de travail réel de 10 % en cinq ans ou encore la création d'un SMIC européen en dix ans. Il faut également des critères de cohérence pour arriver à l'harmonisation fiscale et à l'harmonisation de la législation sur le travail parce que sinon l'Europe ne pourra pas fonctionner. Quelque chose vient de se produire aux Etats-Unis qui m'a beaucoup frappé : la Cour de justice américaine a condamné treize Etats, dont la Californie, parce que celle-ci disait : les gens qui viennent s'installer chez nous et qui ont déjà une protection sociale dépendront pendant un an du régime d'où ils viennent. La Cour a jugé que cette décision était contraire au principe de l'égalité de s'établir, qui est le fondement de l'unité des Etats-Unis. Pour moi, la question qui se pose aujourd'hui est bien celle-ci : combien de temps va-t-on mettre, en Europe, pour aller vers l'unité ? Je sais que le processus prendra du temps, mais c'est ça l'objectif.
Q - Vous parlez d'étendre la réduction du temps de travail à travers l'Europe. Mais êtes-vous convaincus par le bilan des 35 heures en France ?
Ce qui est intéressant dans le processus français, c'est que les salariés ont leur mot à dire sur l'organisation du travail. Pour moi, les 35 heures sont un vecteur pour travailler mieux mais c'est vrai qu'elles créent peu d'emplois. Pour arriver à un véritable partage du travail, il faudrait aller vers les 32 heures et la semaine de quatre jours.
Q - Trouvez-vous sain que des aides massives de l'Etat, soient versées aux entreprises pour réduire le temps de travail ?
Dans la période d'urgence que l'on connaît, la solution de l'aide de l'Etat ne doit pas être exclue. J'aimais bien la proposition Rocard qui consiste à réduire fortement les cotisations sociales patronales jusqu'à 32 heures par semaine et à les augmenter au-dessus. C'était très intelligent. Celle qui a été retenue a le mérite de chercher à créer une dynamique. Ce qui m'énerve dans l'attitude de tous les patronats, qu'ils soient français ou allemand, c'est qu'ils sont contre tout.
Q - Sur toutes ces questions sociales, le Parlement européen a très peu de pouvoir. Comment convaincre l'électeur que son vote aura un impact ?
En règle générale, le Parlement européen est en pouvoir de codécision mais c'est vrai que sur le social, il n'a pour le moment que des possibilités de proposition. C'est pourquoi nous attachons beaucoup d'importance à la future réforme des institutions européennes. Il faut absolument donner le pouvoir d'initiative législative au Parlement européen. Cela obligerait le Conseil à être à la remorque de ses propositions et non l'inverse...
Q - Ce-qui frappe aussi, c'est la difficulté des gouvernements de gauche, actuellement majoritaires en Europe, à s'entendre sur une politique sociale commune.
Le terme de gauche ne veut pas dire grand-chose, notamment quand on voit les propositions de Tony Blair. En outre, la plupart des gouvernements de l'Union sont des gouvernements de coalition. La seule chose qu'on puisse dire d'eux, c'est qu'ils sont la réponse des électeurs au néolibéralisme. Les électeurs ont davantage dit non au libéralisme que oui à un projet vraiment clair et défini.
Q - Quel jugement portez-vous sur le syndicalisme européen ?
Il est en train de se constituer. Un pas important a été l'intégration de la CGT dans la Confédération européenne des syndicats. C'est important parce que, pour le moment, le patronat n'a qu'une idée en tête : la dérégulation. La tradition en Europe, c'était celle du capitalisme rhénan, régulé sous l'effet de la lutte des classes. On est en train d'évoluer vers un capitalisme dur, à l'anglo-saxonne, La vraie bagarre politique et syndicale, c'est cela : résister à cette évolution, imposer un modèle européen axé sur la solidarité face au modèle américain.
Q - L'autre grand axe· de votre campagne, c'est l'Europe fédérale. Ne craignez-vous pas d'abandonner des pans de souveraineté à une Europe somme toute mal comprise ?
Le grand axe de notre projet, c'est de renforcer les institutions démocratiques dans l'espace souverain européen. Cela passe par un processus constitutionnel dont le point de départ est une déclaration des droits fondamentaux du citoyen européen. Il faut ensuite revoir tous les traités pour les fondre dans une constitution européenne.
Q - Vous êtes pour un gouvernement économique européen, pour des impôts européens, et même pour un président de l'Europe élu au suffrage universel. Mais que restera-t-il aux nations ?
Je vous pose à mon tour une question : quelle était la souveraineté de la Banque de France face au mark ? Un dixième de seconde, le temps que les ordinateurs traduisent les décisions de la Bundesbank. Aujourd'hui redonner de la souveraineté aux Etats, c'est renforcer les structures fédérales, la participation des pays européens aux décisions économiques et financières européennes, au lieu de les obliger à être suivistes.
Q - Le conflit du Kosovo a semé le trouble au sein de la gauche, pacifiste. Cela ne vous empêche pas de défendre résolument l'intervention de l'Otan. Pourquoi ?
Je ne fais pas campagne pour la guerre mais pour la défense des valeurs européennes. L'idée de purification ethnique est monstrueuse. C'est une idée d'extrême droite. Moi je me bats pour l'Europe multiculturelle, pour l'Europe de la convivialité. Ce qui s'est passé en Bosnie doit nous servir de leçon.