Texte intégral
Le Figaro
Le 7 septembre 1999
LE FIGARO. – Pourquoi vous êtes-vous décidé à sauter le pas ?
François FILLON. - Après avoir fait le tour des fédérations et des élus, après l'université d'été de notre mouvement, j'ai acquis la conviction que les militants du RPR attendent beaucoup de cette élection. Celle-ci ne doit pas favoriser un combat de personnes, des alliances de circonstance, mais un vrai débat d'idées. Au fond, la logique de la réforme des statuts entreprise par Philippe Séguin, c'est la confrontation démocratique de tous les courants de pensée qui composent le RPR. Dans cette élection à la présidence de notre mouvement, chacun doit rester fidèle. à ses convictions et doit pouvoir les exprimer sans accords d'appareil, en toute transparence.
LE FIGARO.- A-t-on parlé à tort d'un ticket Sarkozy-Fillon ?
- L'idée d'un ticket sous-entend celle d'un verrouillage. C'est un symbole dont les militants ne veulent plus.
LE FIGARO.- On ne peut imaginer que Philippe Séguin ne soutienne pas votre candidature ?
- Effectivement, on ne peut l'imaginer...
LE FIGARO.- Pourquoi rompre l'alliance entre séguinistes et balladuriens qui, depuis 1997, structurait le RPR ?
- Il y a ·eu une alliance entre Philippe Séguin et Edouard Balladur jusqu'à la décision de Philippe Séguin de quitter la présidence du RPR. Lors des élections européennes, j'ai totalement soutenu Nicolas Sarkozy. Mais, maintenant, personne ne comprendrait que le courant de pensée que je représente - celui qui refuse la fracture sociale et qui veut promouvoir un patriotisme ouvert sur le XXIe siècle - ne participe pas à la campagne pour la présidence du RPR. Comment trancher, enfin, la question qui empoisonne l’existence du RPR depuis des années : sommes-nous un parti de droite conservateur dont le destin est de se fondre avec les autres formations de l'opposition, ou, comme je le pense, avons-nous un rôle spécifique à jouer dans la politique française ? Est-ce que les trois principes qui ont fondé le gaullisme - la souveraineté nationale, la prééminence de l'État, la stabilité institutionnelle - peuvent trouver une traduction dans la société française d'aujourd'hui, ou, comme le pensent certains, ces principes n'ont-ils plus leur place dans un monde dominé par le libéralisme et la construction européenne ?
LE FIGARO.- Pensez-vous que Nicolas Sarkozy puisse maintenant entrer en lice ?
- Je souhaite que Nicolas Sarkozy soit candidat, parce que je souhaite que la sensibilité qu'il représente, s'exprime. Plus il y aura de candidats, plus la démocratisation du RPR deviendra une réalité.
LE FIGARO.- Pour que la démocratisation ne dégénère pas en pugilat, quelles règles devraient respecter les candidats ?
- La première règle, c'est de ne pas transformer le débat d'idées en combat de clans, ce qui suppose d'accepter à l'avance le verdict des urnes. S'il s'avère que les idées que je défends sont minoritaires, j'en tirerai les conséquences, je m'inclinerai. Cette élection est une élection à deux tours. Au premier, chacun doit défendre ses idées, son projet, une stratégie. Au second, les électeurs choisiront le président du mouvement.
LE FIGARO.- En quoi votre projet pour le RPR se différencie-t-il de celui que voudrait incarner Nicolas Sarkozy, de celui que pourrait porter Jean-Paul Delevoye ?
- Outre ma conception du gaullisme, mon projet s'articule autour de deux idées forces : pour redevenir une véritable force politique, le RPR doit bénéficier d'une large autonomie. La cohabitation a troublé son image. Face à un PS triomphant et hégémonique, notre devoir est de reconstituer une opposition crédible et combative. L'objectif immédiat est la victoire aux municipales et aux législatives. Seconde idée forte : je ne me résous pas au départ de Charles Pasqua et de ceux qui se réclament de lui. Je place ma candidature sous le signe du retour de toutes les composantes gaullistes dans une seule et même structure.
LE FIGARO.- Quand on est séguiniste, n'est-ce point présomptueux d'être candidat à la présidence du RPR après le constat effectué par Philippe Séguin de son impossibilité à honorer cette fonction ?
- La difficulté rencontrée par Philippe Séguin résidait dans le lait qu'il était en permanence suspecté de préparer sa candidature contre Jacques Chirac à l'élection présidentielle de 2002. Il n'a pourtant cessé de proclamer, de prouver le contraire ! Mais, enfin, c'est dans ces suspicions qu'il faut rechercher la cause de son demi-échec à la présidence du RPR, puis de son départ de celle-ci. C'est un procès qui ne peut m'être fait.
RTL – le 8 septembre 1999
RTL – Vous avez décidé de vous présenter à la présidence du RPR. Vous n'étiez pas dans cet état d'esprit auparavant. C'est P. Séguin qui vous a convaincu ?
- « Pas du tout, c'est plutôt moi qui ait dû convaincre P. Séguin de me soutenir dans cette aventure. »
RTL – Ah bon ! Il était réticent ?
- « P. Séguin a démissionné comme vous le savez de la présidence du RPR, parce qu'il avait le sentiment qu'il ne pouvait pas y exercer, y atteindre les objectifs qu'il s'était fixé. Je crois qu'il n'a pas changé d'avis de ce point de vue. Ma candidature, c'est celle d'un courant de pensée, c'est la mienne, ce n'est pas celle de P. Séguin. »
RTL – Vous pouvez réussir là où il a échoué ?
- « Je crois qu'il y a d'abord une différence fondamentale entre P. Séguin et moi, il était en permanence accusé ou soupçonné de vouloir préparer sa candidature à la prochaine élection présidentielle. Vous conviendrez que c'est un soupçon qui ne pourra pas peser sur moi. »
RTL – Contre qui, allez-vous vous battre ? Contre la tonalité libérale de N. Sarkozy ?
- « Je crois que ce n'est un secret pour personne, le RPR est dans une situation extraordinairement difficile et au fond tout le monde se pose la question de savoir à quoi il sert ? Et si cette élection à la présidence du mouvement n'est pas l'occasion de répondre à cette question, le RPR est sans doute condamné. Si le RPR poursuit son évolution pour devenir un parti de droite conservateur comme les autres, la réponse est claire : il ne sert à rien. Le RPR ne sert à quelque chose que s'il a un message différent des autres formations de droite, des autres formations de l'opposition. »
RTL – Quelles différences ?
- « Ce message repose sur trois idées qui ont été sans doute mal actualisées dans le passé : l'idée de la souveraineté nationale qui doit maintenant être, j'ai envie de dire "corrigée", du fait de la construction européenne, adaptée, à la construction européenne. L'idée de la stabilité institutionnelle qui est quand même sérieusement mise à mal par la cohabitation et il est troublant que les gaullistes n'aient pas encore trouvé de réponse à cette question. Et puis l'idée du rôle de l'Etat, du rôle de l'Etat en particulier dans la régulation de l'économie. »
RTL – N. Sarkozy, lui, est trop libéral ? Il est en contradiction avec ces principes fondamentaux du gaullisme, que vous -venez d'énoncer ?
- « Il est clair que ces principes fondamentaux du gaullisme, nous les avons répétés un peu bêtement toutes ces dernières années, sans les actualiser, sans les confronter au changement de la société. La société a changé profondément, il n'y a plus de division du monde en blocs. L'Union européenne a pris maintenant un rôle considérable dans la construction dans le monde. Les nouvelles technologies bouleversent complètement la façon dont l'économie se déroule. »
RTL – Alors « actualiser », moi, j'ai envie de vous demander : quand vous lisez dans Le Monde de la semaine dernière une interview du responsable des jeunes du RPR, F. Giovanucci qui dit : « Il serait peut-être temps quand même d'arrêter de s'adresser aux beurs comme si on ne les prenait pas vraiment comme des Français .Je suis pour le Pacs, dit-il, je suis pour l'ouverture d'un débat sur les drogues douces », vous vous sentez en phase avec cette génération ?
- « Il ne faut pas non plus exagérer et faire du marketing politique... »
RTL – Il est jeune et il est RPR.
- « ... vouloir faire plaisir à tout le monde, en tenant des discours qui n'ont pas de consistance. La vérité c'est que le RPR doit s'adresser à tout le monde. Ça aussi c'est quelque chose qu'il n'a pas fait ces dernières années. Il s'est adressé à une clientèle, il s'est adressé à une partie seulement de l'opinion française. Il faut que le RPR s'adresse à tout le monde. Le RPR ne peut pas seulement être le parti des chefs d'entreprises ou le parti des agriculteurs, il doit s'adresser à toute la société française. Mais ce n'est pas pour autant qu'il doit apporter à cette société française des réponses qui sont des réponses à la mode, comme celles que vous venez d'évoquer à l'instant. »
RTL – Par un RPR, jeune.
- « Il y a un débat au sein du RPR, c'est pour ça d'ailleurs que les élections à la présidence sont très importantes. Jusqu'à maintenant les débats chez nous n'étaient jamais tranchés. On cherchait plus ou moins des solutions de synthèse, des motions de synthèse, qui finalement ne satisfaisaient personne. Pour la première fois – grâce à P. Séguin, d'ailleurs - il va y avoir une élection. Si cette élection s'était déroulée avec un seul candidat, ou des candidats qui passent des accords entre eux, elle n'aurait pas servi à déterminer une nouvelle ligne politique. Aujourd'hui, elle servira à déterminer une nouvelle ligne politique et une nouvelle stratégie politique. »
RTL – Mais un parti pour vivre doit se régénérer. Alors tout de même pour un jeune d'aujourd'hui qu'est-ce que ça peut représenter la nation ? Les jeunes d'aujourd'hui sont nés dans une Europe où il n’y a plus de frontière, ce mot n'existe plus ?
- « Justement, vous voyez bien que les jeunes d'aujourd'hui ne se reconnaissent plus dans la nation, telle que nous la décrivons, telle que nous en parlons. Mais en même temps, ils ont des élans nationalistes extraordinairement forts, vous l'avez vu par exemple à l'occasion de la Coupe du Monde. Donc la question qui se pose pour le RPR, c'est : comment proposer une nouvelle définition de la nation, qui prend en compte l'Union européenne ? Une sorte de patriotisme éclairé, qui s'appuie... »
RTL – C'est possible, ce n'est pas la quadrature du cercle ?
- « Je crois que c'est possible. Et quand je regarde ce qui se passe dans les autres nations européennes : il y a un vrai nationalisme allemand ; il y a un vrai sentiment d'appartenance en Angleterre - on ne parle pas de nation en Grande-Bretagne - au Royaume. Il y a vraiment, chez nous, un effort à faire, un travail intellectuel à faire pour adapter des principes, qui sont toujours aussi forts, à une situation mondiale nouvelle. »
RTL – Qu'est-ce qui vous sépare de C. Pasqua dans ce que vous dites actuellement ?
- « Finalement, il y a beaucoup de choses qui nous rapprochent de C. Pasqua. Et c'est une autre raison de ma candidature. Moi, je ne me résous pas à cc qu'on abandonne C. Pasqua et les idées qu'il représente. Je ne suis pas en accord avec lui sur la construction européenne - je l'ai manifesté, notamment à l'occasion des élections européennes -, mais pour autant le RPR ne sera plus le mouvement utile à la société qu'il était, si on laisse partir en dehors de nos structures, C. Pasqua… »
RTL – Vous lui dites : « Charles revient à la maison ! » ?
- « ... et je place ma candidature sous le signe du retour de toute la famille gaulliste dans les mêmes structures à terme… »
RTL – Donc de C. Pasqua ?
- « Donc de C. Pasqua. »
RTL – C. Pasqua a quand même lancé une croisade contre la cohabitation, ce qui implique une critique vive du Président de la République, qui lui-même s'accommode de l'action du gouvernement Jospin. Comment allez-vous faire ?
- « Je crois qu'il faut distinguer deux choses. Critiquer la cohabitation, je crois que ce n'est pas critiquer le Président de la République. Le Président de la République n'a pas voulu la cohabitation. Il est placé dans cette situation par le choix des électeurs. Maintenant qu'on s'interroge sur la manière demain, de mettre un terme à la cohabitation, c'est-à-dire de réformer nos institutions pour que cette situation ne se reproduise plus, c'est un autre sujet. »
RTL – Mais vous serez en porte-à-faux par rapport au Président de la République, quand même, quand il dira : « Telle décision gouvernementale est une bonne décision » et que vous, à l'Assemblée, vous direz : « C'est une mauvaise décision. »
- « C'est ce que le parti socialiste a fait avec bonheur, chaque fois que F. Mitterrand était placé en situation de cohabitation. Nous ce que nous voulons, c’est que le Président de la République soit réélu. Mais pour que le Président de la République, soit réélu... »
RTL – Donc J. Chirac est votre candidat à l'élection présidentielle ?
- « Ecoutez, comment est-ce qu'un parti politique pourrait ne pas souhaiter avoir le Président de la République. Et nous, nous avons comme candidat J. Chirac qui est à la fois le fondateur de notre mouvement et qui est Président de la République. Seulement la meilleure manière de l'aider c'est de lui apporter des victoires. Et pour le moment, les victoires qu'on doit lui apporter c'est aux élections municipales et aux élections législatives. Or, jusqu'à maintenant, nous ne lui apportons - avec la stratégie qui devrait soi-disant être la bonne, selon certains, liée à la cohabitation – que des échecs. »
RTL – Alors président d'un parti, c'est aussi parfois mettre les mains dans le cambouis. Tiberi-Toubon à Paris, vous allez régler cette question ?
- « Il y a peut-être un avantage à choisir des hommes nouveaux pour diriger le RPR aujourd'hui, parce qu'ils auront peut-être une autre façon de regarder les choses »
RTL – Exit Tiberi à Paris ?
- « Je pense qu'il est indispensable, si les partis politiques veulent retrouver leur crédibilité, qu'ils soient extrêmement sévères, avec tous ceux, qui se sont mis en faute. Alors je ne cite ici personne. Je dis simplement que nous avons un certain nombre d'affaires qui ont empoisonné la vie du RPR, il faudra trancher et trancher de la manière la plus brutale qui soit. »