Déclaration de M. Alain Bocquet, président du groupe communiste à l'Assemblée nationale, à l'Assemblée nationale le 6 avril 1999 et interview à RMC le 7, sur la situation au Kosovo.

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Texte intégral

Question au Gouvernement - 6 avril 1999

Monsieur le Premier ministre,

Les images, les témoignages de ce qui se passe dans les Balkans, sont chaque jour de plus en plus insoutenables. Les vieillards, les femmes, les enfants qu'on chasse, qu'on brutalise, qu'on sépare, qu'on tue. Rien n'a servi d'ajouter la guerre à la guerre, la haine à la haine ! Il faut arrêter cette escalade meurtrière et folle.

Aucun signal ne doit encourager le dictateur Milosevic dans son oeuvre destructrice et lui permettre d'atteindre son objectif : vider le Kosovo de sa population. Les bombardements répétés de l'OTAN sont pour lui, et c'était notre crainte dès le début, un alibi de taille dont il use et abuse.

L'urgence humanitaire s'impose, la France doit faire son devoir. La France doit être au premier rang de la solidarité pour ces centaines de milliers d'êtres humains bafoués qui vivent un véritable calvaire.

Certes, on ne peut accepter le principe des déportations organisées populations mais il faut aider pleinement et écouter les réfugiés. Il faut écouter les organisations humanitaires quant à la destination de ceux-ci et faciliter la mission de ces organisations.

La position de la France va devenir intenable si elle continue de s'engager dans la logique de guerre. D'autant que les véritables mobiles apparaissent de plus en plus clairement. L'OTAN commandité par les dirigeants américains, installe un foyer de guerre durable en Europe dans la région des Balkans dont l'histoire nous a appris tous les risques. Il est grand temps de s'affranchir de cette tutelle américaine cynique et dangereuse.

L'engagement massif de troupes au sol dans un conflit qui ne pourrait être que long et meurtrier ne manquerait pas d'exacerber tous les nationalismes et toutes les instabilités pour des décennies. Des opinions très diverses s'expriment à propos de ce conflit. Quoi de plus normal ! Chacun pense et parle avec sa conscience et ses convictions. Quand la situation est aussi dramatique et grave, il n'est vraiment pas de mise de sombrer dans la médiocrité politicienne franco-française. La hauteur de vue et le respect mutuel s'imposent.

Nous sommes nous députés communistes, on le sait, attachés de toutes nos fibres aux idéaux de paix. Nous sommes, en même temps, responsables et avons une trop grande idée des valeurs humaines pour ne pas nous laisser aller à quelque polémique que ce soit.

Devant cette situation très complexe, nous nous voulons résolument force de proposition. Ce qui nous anime profondément c'est aider, pour notre modeste part, à trouver une issue politique, pacifique et humaine à ce conflit. Il est plus que jamais urgent, et cela comme nous le proposons depuis le début du conflit, de créer les conditions permettant le déploiement d'une force européenne d'interposition sous l'égide de l'ONU afin de protéger les populations.

Notre pays a la possibilité de demander une réunion rapide du conseil de sécurité et de proposer le vote d'une résolution instituant une zone humanitaire protégée sur l'ensemble du Kosovo dont la mise en place se conjuguerait avec l'arrêt des frappes aériennes et le désarmement des belligérants, permettant ainsi le retour des réfugiés.

Une conférence européenne sur les Balkans réunissant, sous l'égide de l'OSCE, l'ensemble des Etats et parties concernés, pourrait alors être mise sur pied. De très nombreuses voix s'expriment dans le même sens tant en France, qu'en Europe et dans le monde.

Monsieur le Premier ministre, le temps presse, les tous prochains jours peuvent marquer un tournant réellement décisif du conflit. Si la fuite en avant devait prévaloir, cela serait très grave et très dangereux pour l'avenir.

Mais la France, en coopération avec ses partenaires européens, a les moyens, et surtout se doit de relancer ces démarches pour favoriser une issue durable, qui ne peut être que politique.

Quelles initiatives entend prendre le gouvernement dans cette perspective ?


RMC : mercredi 7 avril 1999

Q - L'offre de cessez-le-feu de S. Milosevic à l'occasion de la Pâques orthodoxe a été refusée unanimement par tous les gouvernements et pays de l'Otan ? Est-ce que vous approuvez ce refus ?

- « Je pense que c'est une erreur grave, et une fois de plus, on a pu le voir, hier soir, à peine y avait-il cette suggestion des dirigeants serbes que de la Maison Blanche, un porte-parole de Bill Clinton refusait sine die cette proposition de cessez-le-feu et tous les alliés se sont malheureusement et curieusement alignés. C'est la preuve, une fois de plus, que ce sont les dirigeants américains qui dirigent cette opération grave et dangereuse alors que, dans le même temps, j'ai cru comprendre que, y compris du côté du Vatican, on pensait que cette proposition était une ouverture et que les dirigeants russes annonçaient que c'était une chance à saisir. Moi, je pense que la France, la France de Jaurès, aurait dû prendre une initiative. C'est une porte qui s'entrebâillait, une porte de la paix qui s'ouvrait. Il fallait aider à l'ouvrir complètement. Or, on a fermé la porte. Or, cela nous emmène à une escalade supplémentaire dans cette guerre dont on peut imaginer les conséquences dramatiques pour l'avenir. »

Q - C'est peut-être un peu facile aussi, quand même, que de mettre 300 000 personnes à la porte en brûlant leurs maisons, et en tuant et en massacrant les gens et puis d'offrir un cessez-le-feu dans les jours qui suivent ?

- « Vous savez très bien que nous condamnions avec une grande fermeté les exactions et les méthodes du dictateur Milosevic – cela est sans problème de ce point de vue – mais force est, néanmoins, de constater que depuis qu'on a engagé les frappes aériennes, ce sont des centaines de milliers de personnes qui sont jetés hors du Kosovo. Auparavant, il y en avait 60 000 à 200 000. On parle aujourd'hui de 400 000. On va aller vers 1 million de personnes qu'on va chasser du Kosovo. C'est absolument intolérable. »

Q - Qui va chasser du Kosovo ?

- « Evidemment Milosevic et sa police. Cela dit, il a trouvé un alibi de taille dont il use et dont il abuse avec les frappes aériennes. Plus on continuera, plus on va créer dans cette région du monde et d'Europe une catastrophe humanitaire qui fait réfléchir beaucoup de monde. »

Q - Vous êtes donc en désaccord, ce matin, avec le Président de la République et le Premier ministre ?

- « C'est un secret pour personne. C'est net : nous l'avons dit et nous affirmons notre position dans cette affaire depuis le début. Nous étions contre les frappes aériennes. Nous sommes toujours contre les frappes aériennes. Nous pensons que rien ne sert d'ajouter la guerre à la guerre, la haine à la haine. »

Q - Est-ce qu'il faut par exemple négocier avec Milosevic, aujourd'hui ?

- « En tout état de cause, il faudra négocier avec des dirigeants serbes. Or, il apparaît que, curieusement, au lieu d'affaiblir Milosevic, on l'a renforcé. J'entendais, hier, y compris à la Commission des Affaires étrangères, l'ancien Président de la République française, M. V. Giscard d'Estaing, déclarer que ce n'était pas seulement une question de Milosevic mais que les Serbes de gauche ou de droite se retrouvaient resserrés autour de lui pour défendre leur pays et leur patrie. Alors c'est un constat évident et il faudra bien négocier. Si on veut trouver une solution politique il faudra bien négocier avec les dirigeants que les Serbes se seront donnés. »

Q - Je vous dis cela parce que, hier, on a eu le sentiment, à l'Assemblée nationale, dans la voix de M. Jospin et le soir à la télévision dans la voix du Président de la République, que M. Milosevic devrait être un jour traduit devant les tribunaux internationaux ?

- « C'est ce qu'on annonce. »

Q - Que c'est un dictateur.

- « C'est un dictateur sans conteste. »

Q - Avec lequel il ne serait pratiquement plus possible de négocier ?

- « Il faudra quand même négocier avec quelqu'un. Si on veut trouver une issue politique pacifique et humaine, il faudra négocier avec quelques uns, avec les dirigeants serbes, quels qu'ils soient, que ce sera donné le peuple serbe. C'est une évidence. Or, ce n'est pas le chemin qu'on prend et pour cause on veut aller jusqu'au bout dans cette guerre et il est assez évident que dans les jours qui viennent se prépare une intervention terrestre, tout y conduit. Les Américains la souhaite, cette intervention terrestre. Sauf qu'ils ont déjà dit qu'il n'était pas question que leurs propres hommes aillent sur place et qu'on enverrait donc les troupes européennes. Moi, j'ai un avis sur cette question. Je l'ai déjà dit à plusieurs reprises à l'Assemblée nationale, je l'ai dit lors de la rencontre la semaine dernière avec le Premier ministre. Les Américains ont leur propre stratégie, leur propre intérêt et tout compte fait, ils ne sont pas complètement mécontents qu'en Europe il y ait un foyer de guerre qui perdure car les Balkans c'est une zone particulièrement dangereuse. »

Q - Sur le fond, est-ce que vous condamnez la légitimité d'utiliser la force s'il le faut, si on a épuisé les possibilités de paix possibles contre un dictateur aussi sanguinaire et déterminé que Milosevic ? Car c'est cela le problème !

- « Sur le fond, je ne le condamne pas dans la mesure où cela est efficace. Or, il faut quand même vérifier aujourd'hui que ce qui s'est fait n'est pas efficace. Cela a renforcé Milosevic, cela ne l'a pas affaibli. »

Q - Provisoirement mais attendons la suite ?

- « Mais écoutez, vous n'avez pas vu le drame humanitaire ? Rien qu'en Serbie, il y a eu 300 morts, 3 000 blessés. »

Q - On ne peut pas changer de stratégie. Si on utilise la force, il peut y avoir des phases et des moments.

- « Une déstabilisation totale est en train de se réaliser là-bas dans les Balkans. Les arrivées en Macédoine, en Albanie, au Monténégro de ces réfugiés. »

Q - Il fallait laisser faire ?

- « Il fallait faire autrement. En tout état de cause, la guerre n'est pas la solution parce qu'on sait où cela commence et on ne sait pas où cela va finir. Et je crains malheureusement fort que cela finisse dans un drame total. Et sans doute l'opinion publique réfléchit et réfléchira. »

Q - Et dans cette optique-là, cela ne vous gêne pas de participer à un Gouvernement où la décision est prise, comme l'avait rappelé avec beaucoup de détermination, hier, M. Jospin, de continuer jusqu'au bout, jusqu'à ce que les résultats soient acquis ? Cela n'est pas un peu gênant ?

- « Non, nous sommes dans cette majorité, nous sommes au Gouvernement ; nous y sommes pour apporter notre point de vue. Chacun dans une affaire aussi grave réfléchit, agit et pense en fonction de sa conscience, en fonction de ses convictions. C'est accepté mutuellement. »

Q - Je ne parlais pas de votre expression mais cela ne vous gêne pas de participer à un gouvernement qui décide le contraire de ce que vous dites ?

- « Ecoutez, nous représentons ce que nous représentons dans ce gouvernement, sauf que j'ai cru comprendre, quand même, même avec des nuances, que des idées que nous avons lancées il y a une semaine et qui ont été reprises d'ailleurs par d'autres – je pense à M. Quilès -, hier, j'ai senti quand même une allusion dans le discours du Premier ministre qui était une légère inflexion dans ce domaine. Nous, nous sommes là, pour essayer de faire bouger les choses. Et si on n'est pas dedans, on peut être moins entendu que si on est dehors. »

Q - Est-ce que pour les réfugiés, pour finir, est-ce qu'il faut les accueillir en masse ou bien approuvez-vous la décision, du Gouvernement et du Président, de ne pas accueillir en masse les réfugiés ?

- « De ce point de vue, il faut que la France soit à la tête de la solidarité mais cela doit se faire avec des valeurs humaines et on doit accueillir d'abord sur la base du volontariat parce que ce qui se passe là-bas, où l'on voit des familles complètement divisées – on envoie certains en Allemagne, d'autres en Turquie ; ils ne savent pas où ils vont – nous, nous sommes pour que cela se fasse sur la base du volontariat. Et de ce point de vue, la position du Gouvernement me semble raisonnable. »