Article de M. Brice Lalonde, président de Génération écologie, dans la "Revue politique et parlementaire" de mars 1999, sur l'identite européenne, intitulé "La lente amorce d'un Etat fédéral".

Prononcé le 1er mars 1999

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Média : Revue politique et parlementaire

Texte intégral

Le monde paraît s'organiser par des convergences régionales dont l'Europe est l'un des exemples les plus achevés. C'est ainsi que l'Union européenne nous semble le moyen d'apprivoiser la mondialisation autant que l'amorce d'un Etat fédéral. Et nous y apprenons avec plaisir à comparer nos systèmes pour y trouver les plus efficaces.

L'euro marquera sans doute une étape dans la construction du sentiment d'appartenance des Européens à un ensemble solidaire, mais il est encore tôt pour en juger.

Indéniablement l'identité européenne se forge en ce moment, dans le regard des autres continents et l'adhésion ininterrompue des Etats de l'ancienne zone communiste.

Cette Europe est manifestement différente de la vision de ses fondateurs, brouillonne et imprévisible, plus syndicale et technicienne que vraiment politique, plus influencée par la mer du Nord que par la Méditerranée.

Elle s'étale et s'infiltre à la façon d'une eau paresseuse. Une motte de terre la rebute, la moindre pente l'appelle. Ceux qui l'ont pratiquée dans les affaires, les conseils, les comités en sont marqués à jamais. Or ils sont de plus en plus nombreux. Pas de doute, elle est là.

Faut-il que quelque coq de village lui plante des banderilles en lui criant des mots d'ordre virils : « Etats-Unis, Constitution, impôts, présidence ». Il semble qu'elle n'ait guère le goût des commandements, préférant suivre placidement le sentier de mulet qu'elle seule connaît. On aimerait parfois une scène politique européenne avec son train-train et ses éclats. La démission de la Commission est peut-être l'un des tout premiers actes de cette scène nouvelle créant un échelon européen de notre vie politique courante. De la même façon que certains sports modifient leurs règlements pour s'adapter à la télévision, l'Europe doit faire un effort médiatique en même temps que sa mue politique.

A coup sûr le retour du loup contribue à renforcer l'Union. Fondée sur le dépassement des nationalismes et la défaite du nazisme, l'Europe ne survivrait pas à la victoire de Milosevic, d'autant que les demi-soldes de l'ex-empire Soviétique n'attendent qu'elle pour suivre son exemple en Russie.

Génération Ecologie est de ceux qui pensent que l'intervention terrestre est indispensable pour libérer le Kosovo. Cette guerre met à nouveau en lumière la carence militaire européenne. Au fond le vrai risque avec l'Amérique est plutôt sa tentation isolationniste que son dessein impérialiste ! D'ailleurs ne sommes-nous pas atlantistes autant qu'Européens ? Est-ce si différent ? A l'heure des 6 milliards de Terriens, les sociétés démocratiques ne sont pas si nombreuses que l'on puisse aisément snober nos rejetons du Nouveau Monde…

Quoiqu'il en soit, il arrive toujours un moment où la force est nécessaire. Entre le national-socialisme des uns et l'islamisme terroriste des autres, l'angélisme européen devra disparaître. Saluons la relève de la génération de 39-45 par celle de 68 : elle ne s'est pas défilée devant Milosevic. Mais si l'Europe veut faire cavalier seul, elle devra aussi s'armer, vite.