Texte intégral
L’Est Républicain : Avez-vous, ou non, pris vos distances avec Martine Aubry ?
Dominique Voynet : Évidemment pas ! Le problème, c’est qu’on m’a coupé à deux reprises la parole à ce moment de l’émission, ce qui m’a empêchée d’exprimer complètement ma pensée. En déclarant que les mesures de Martine Aubry ne changeraient rien sur le fond de la question, je voulais rappeler que le véritable problème, c’était la résorption du chômage. Et que c’est sur ce seul résultat que le Gouvernement serait jugé, pas sur des attributions de primes ponctuelles. Je ne critiquais donc pas les autres dispositions qu’elle était conduite à prendre, mais je les resituais dans leur contexte général. En les relativisant, mais sans opposer les deux parties en présence.
L’Est Républicain : Mais vous vous êtes aussi affirmée proche de tous les chômeurs qui occupent les antennes de l’ASSEDIC, alors que Martine Aubry a – de son côté – souligné l’illégalité de leur action…
Dominique Voynet : C’est vrai que cette occupation est illégale et il n’était pas davantage dans mon intention de prendre mes distances sur ce point. Quand je me dis proche de ces hommes et de ces femmes, c’est parce que je comprends leur exaspération face à l’insouciance que leur oppose un pays riche et qui étale son luxe de façon insolente en cette période de fêtes. Le Gouvernement, dans son ensemble, partage ce sentiment. Et la lutte contre le chômage et l’exclusion s’avère la priorité commune de tous ses ministres.
L’Est Républicain : La solidarité gouvernementale reste donc intacte et vous demeurez proche de Martine Aubry…
Dominique Voynet : Je le suis d’autant plus qu’elle tient ferme ce cap des 35 heures qui constituait l’un des points essentiels de notre accord Verts-PS et qui fonde ma participation personnelle au Gouvernement ! Et je comprends très bien que Martine Aubry réclame qu’on la laisse travailler sur le fond, au-delà de cette revendication d’une prime de Noël qui ne changera pas la nature des difficultés des demandeurs d’emploi. Mais je pense que si aucun gouvernement n’est malheureusement en situation, quelle que soit sa tendance, d’apporter de réponse immédiate au drame du chômage, ceux qui en sont victimes doivent être écoutés.
L’Est Républicain : Que pensez-vous des propos de Nicole Notat qui considère ces chômeurs manipulés ?
Dominique Voynet : Je trouve insupportable qu’on ose parler de manipulation. Même s’il est vrai que leurs mouvements ont des proximités avec certains partis politiques. Comme les autres mouvements sociaux, d’ailleurs, puisque les chômeurs, isolés, déprimés, ont besoin d’être soutenus, aidés dans la défense de leurs intérêts. On ne peut quand même pas faire semblant de le découvrir aujourd’hui…
L’Est Républicain : Le problème de leur représentativité va dorénavant se poser avec davantage d’acuité…
Dominique Voynet : C’est évident ! Tant qu’on imaginait le phénomène du chômage se résumerait à un accident de quelques mois ou de quelques années, la question ne se posait pas. Mais elle est désormais d’actualité. Et plus le temps passe, plus je doute que les syndicats de salariés soient en mesure de prendre en charge les problèmes des chômeurs. Leur domaine normal est celui des conditions de travail dans l’entreprise, de la protection des salariés. La gratuité des transports publics pour les demandeurs d’emploi, les aides au logement pour les gens en fin de droits, sont autant de secteurs spécifiques qui ne ressortent pas de leur champ habituel d’intervention.
L’Est Républicain : Les syndicats peuvent-ils abandonner ces revendications à des mouvements spontanés mais qui n’ont pas de légitimité juridique ?
Dominique Voynet : Ils sont souvent validés de facto par le rassemblement qui se crée autour d’eux. Comme les grandes marches organisées par AC ! En France, on a des représentants élus de tout : des élèves, des locataires, des copropriétaires… Il serait paradoxal que 3,5 millions de nos concitoyens ne puissent pas élire de délégués, être associés à l’élaboration de leur destin. Il me paraît dès lors possible d’imaginer que des élections puissent être organisées. Ce serait une évolution logique car on ne peut pas, tout à la fois, regretter leur récupération par des partis politiques et leur refuser les moyens de se prendre eux-mêmes en charge. Il faut se montrer cohérent.
L’Est Républicain : Ce réveil des chômeurs autrefois passifs, n’est-ce pas le cauchemar absolu de tout homme ou femme politique ?
Dominique Voynet : Bien sûr que c’est une menace ! Et elle sera encore plus lourde si les promesses ne sont pas tenues et si les espoirs sont déçus.
Cet enjeu est parfaitement clair dans l’esprit de Lionel Jospin. C’est sur l’emploi que notre Gouvernement sera jugé, je le répète, et qu’il aura soit réussi, soit échoué.