Texte intégral
LE DAUPHINE LIBERE - lundi 17 novembre 1997
Q. Nous sommes maintenant à quatre mois des élections régionales. Le président de Rhône-Alpes est-il déjà entré en campagne ?
R. La gestion d’une collectivité, je dirai même d’une nation, exige aujourd’hui de la part des responsables politiques d’expliquer en permanence le pourquoi et le comment de leurs décisions, les répercussions qu’elles auront sur la société, les efforts qu’elles nécessiteront ainsi que les avantages qu’elles pourront apporter à la population. Entre une période électorale et une période normale, il y a en réalité de moins en moins de différence. En effet, l’opinion publique est attentive à ce qui se passe dans la vie publique et très inquiète, en raison notamment du chômage. Elle n’attend pas d’un homme politique qu’il soit un sauveur, mais un élu responsable capable de répondre à ses préoccupations.
Q. Vous êtes, en somme, toujours en campagne ?
R. On peut effectivement décrire les choses ainsi. Le développement de notre région exige une écoute et un engagement permanents.
Q. Le fait d’avoir perdu les législatives est-il à votre sens un handicap pour les leaders de l’actuelle opposition qui briguent, comme vous, un nouveau mandat à la tête d’une région ? Le contexte politique national va-til vous compliquer la tâche comme les sondages semblent déjà l’indiquer ?
R. C’est vrai qu’il est toujours plus agréable de gagner une élection que de la perdre... Mais ne mélangeons pas tout. Les élections nationales et régionales ont des objectifs différents. Pour les régionales, deux facteurs se conjugueront. Il y aura d’abord un choix de méthode avec, d’un côté, ceux qui privilégient une intervention permanente et coûteuse de la collectivité, et de l’autre, ceux dont je suis, qui préfèrent favoriser l’initiative et la prise de responsabilités au service de chaque Rhônalpin, sans augmenter le poids des impôts. Par-delà ce choix de société, l’identité régionale devra aussi s’affirmer à l’occasion de ces élections. Cela signifie la prise en compte des politiques menés collectivement depuis maintenant quinze ans, en matière de formation et d’éducation, mais aussi en matière de promotion des moyens de transports, d’aménagement du territoire et de développement économique.
Q. Quand vous parlez de politiques « menées collectivement », quels partenaires incluez-vous ?
R. Tous les Rhônalpins ! Lorsque nous avons lancé certains projets innovants, tels le permis de réussir et l’organisation du temps de travail, que n’a-t-on entendu des critiques de toute part ! Passées les polémiques, je me réjouis de voir que nos initiatives sont désormais partagées et reprises par beaucoup de partenaires : État, collectivités locales, associations, entreprises. Je souhaite qu’il en soit de même dans les années à venir, et que toutes les énergies soient mobilisées pour répondre à d’autres défis, notamment dans les domaines de l’emploi ou de la culture pour lesquels existent des conceptions très différentes. Il faut que nos concitoyens le sachent et que des choix clairs soient faits. Pour ma part, je prends l’engagement de continuer à ne pas augmenter la fiscalité les prochaines années, comme c’est le cas depuis 1994. Car la France est arrivée à un niveau de pression fiscale maximale. Si l’on veut préserver l’initiative des entreprises, il est clair que les collectivités territoriales comme l’État, devront prendre des éléments semblables vis-à-vis de nos concitoyens.
Q. Vous avez évoqué l’emploi des jeunes en parlant des actions prioritaires de Rhône-Alpes. Quelle différence faites-vous entre les emplois du plan Aubry, contre lequel vous avez voté, et toutes les actions incitatives de la région comme le plan d’accès à une première expérience professionnelle ?
R. Premier point : ce sont les entreprises qui créent les emplois et la richesse. Les administrations ne peuvent créer des emplois que grâce aux impôts qui sont prélevés sur les particuliers et les entreprises. À partir de là, la grande différence entre la démarche de la région et celle impulsée par le gouvernement, c’est que nous avons privilégié les emplois privés par rapport aux emplois publics ou semi-publics. Pour nous, le plan emplois-jeunes de Martine Aubry ne peut être qu’un instrument parmi d’autres. Notre objectif consiste à créer les conditions favorables au développement de l’entreprise et à l’épanouissement des personnes en accompagnant les initiatives des élus et des entreprises sur le terrain. Ce n’est pas en développant une administration tentaculaire que nous y parviendrons.
Q. Vous avez créé la surprise, y compris dans les rangs du patronat, en lançant fin 1996 une démarche d’aménagement du temps de travail. Est-ce que vous êtes satisfait des premiers résultats ? Comptez-vous aller plus loin ?
R. La grande différence entre les propositions faites au niveau national et ce que nous avons accompli en Rhône-Alpes, c’est le respect de la liberté de choix de l’entreprise. D’un côté existe le système uniforme de l’État, et de l’autre notre système, adapté au cas par cas. Par ailleurs, ma conviction est que l’on va vers une nouvelle organisation du temps, que ce soit le temps de travail, de loisirs, de formation, etc. Et qu’il est donc nécessaire de la préparer, dans le cadre d’une démarche concertée.
Q. Êtes-vous prêt néanmoins à être encore plus incitatif financièrement ?
R. Je pense que nous le sommes suffisamment, et nous l’avons démontré puisque plus de 400 entreprises ont sollicité l’aide de la région pour étudier et mettre au point leur organisation du temps de travail. Plus de 80 d’entre elles ont mis en œuvre avec notre soutien des accords pour aménager le travail de leurs salariés. Plus de 500 emplois ont été créés depuis maintenant huit mois. Les résultats sont là. Notre démarche est pragmatique, progressive, contractuelle, respectueuse des entreprises, car l’accord passé dans une entreprise de trois salariés est différent de celui passé dans une entreprise de 50, de 300 ou de 1 000 salariés. C’est la richesse des initiatives prises par des collectivités décentralisées comme la région Rhône-Alpes qui sont plus proches des gens, des entreprises et des salariés.
Q. On a malheureusement l’impression qu’en dépit des initiatives prises un peu partout, la courbe du chômage n’arrive pas à s’inverser ?
R. Nous avons quand même vu le chômage des jeunes baisser deux fois plus en Rhône-Alpes que partout ailleurs en France, soit moins 11,6 % contre moins 6,5 %. C’est en partie le résultat des actions régionales menées en faveur de l’emploi des jeunes avec l’aide des partenaires sociaux, du réseau d’accueil des jeunes, de l’ANPE, des autres collectivités et des services de l’État. Cela nous encourage à poursuivre notre effort et à trouver notamment des solutions adaptées aux problèmes spécifiques des petites entreprises créatrices d’emploi.
Q. Vous pensez que les 35 heures peuvent en l’occurrence créer des emplois ?
R. Plutôt qu’une réduction autoritaire, je crois davantage dans l’organisation du temps du travail librement consentie et menée dans la concertation, comme nous l’avons démontré en Rhône-Alpes. C’est la meilleure solution pour créer des emplois par une plus grande productivité, et par une meilleure répartition des tâches dans l’entreprise. De même, il me paraît plus judicieux d’utiliser pour la création d’emplois les sommes versées par les entreprises dans le cadre de l’assurance-chômage, plutôt que d’indemniser des chômeurs sans leur donner l’espérance de trouver une nouvelle activité. C’est pourquoi je souhaite vivement que l’on puisse baisser les cotisations chômage pour les entreprises qui créent des emplois.
Q. Pensez-vous que l’identité régionale existe ?
R. Cette identité apparaît à partir du moment où l’on est fier de sa région. En Rhône-Alpes, elle a pris corps à Albertville, lors des Jeux olympiques de 1992.
Ce jour-là, les Rhônalpins ont compris qu’ils vivaient dans une région tout à fait exceptionnelle, et qu’ils pouvaient participer tous ensemble à la réussite d’un grand projet régional. Depuis, d’autres moments forts, comme la réunion des plus grands États du monde au G7 à Lyon, ont renforcé ce sentiment d’appartenance.
À cette occasion, chaque Rhônalpin a pu se dire : « C’est ma région qui, à travers Lyon, reçoit les principaux chefs d’État du monde ». Tout comme les Rhônalpins savent que c’est sur leur territoire qu’il y a le synchrotron à Grenoble, le CERN dans le pays de Gex, Interpol à Lyon et les plus beaux champs de neige du monde.
Q. Tout ce que vous dites de flatteur sur la région laisse entendre que vous ferez campagne sur votre bilan. En avez-vous réellement l’intention ?
R. Le bilan constitue la démonstration que l’équipe qui a géré la région depuis plusieurs années est en mesure de mener les projets annoncés. Mais le plus passionnant, c’est de prévoir la construction de notre futur, et je souhaite proposer de nouveaux projets aux Rhônalpins.
Q. Avez-vous un nouveau projet précis, comme celui de Normale Sup ?
R. Il faudra que Rhône-Alpes continue à développer son potentiel de formation pour que tous les Rhônalpins aient accès au savoir. Nous sommes ainsi disposés à porter un grand projet universitaire, avec la rénovation de tous les campus pour en faire un pôle de références pour la France.
Nous sommes prêts aussi à accompagner une politique de décentralisation des grandes écoles et nous continuons à travailler en faveur de la délocalisation en région de diverses grandes institutions, universitaires ou pas. À cette occasion, je dois rappeler que s’il n’y a pas de région digne de ce nom sans un pôle universitaire de formation et de recherche au meilleur niveau, il n’y a pas non plus de région forte sans un réseau de liaisons performantes. C’est pourquoi nous avons établi un schéma de liaison ferroviaire, pour que Rhône-Alpes devienne véritablement l’espace des Rhônalpins. Nous devons aussi nous préoccuper des liaisons ferroviaires internationales, comme Lyon-Turin et la liaison Rhin-Rhône et faire de Satolas l’aéroport d’équilibre du sud-est européen.
Q. La gare de Satolas qui prétend répondre à cette ambition semble pourtant peu fréquentée…
R. À ceux qui ironisent sur le fait que la gare de Satolas est un équipement surdimensionné, je donne rendez-vous dans quinze ans. Quand un jeune couple construit sa maison et prévoit deux ou trois chambres parce qu’il compte avoir des enfants, on ne peut le lui reprocher. C’est exactement la même chose. Avec Satolas, je dis aux Rhônalpins qu’ils ont fait un pari d’avenir dont je suis très fier.
Q. Pensez-vous pouvoir mobiliser les électeurs sur tous ces thèmes quand ils sont tentés par le Front national ?
R. Je leur dis de ne pas se tromper d’élection. Je leur demande de ne pas effectuer un vote de protestation par rapport à des politiques qui ont pu être menées au niveau national, mais de se prononcer sur ce que nous avons fait en région, qui justifie les engagements que nous avions pris au début de cette mandature et les projets que nous leur proposons pour l’avenir.
Q. Vous êtes optimiste pour cette campagne ?
R. Je suis confiant dans l’enthousiasme et la sagesse des Rhônalpins.
Q. Y aura-t-il des listes communes RPRUDF ?
R. Quand on a géré une région en équipe, il est logique et nécessaire de continuer ensemble.
Q. Êtes-vous toujours pour la fusion des deux grandes formations de l’opposition ?
R. Je suis convaincu que le paysage politique français devra évoluer, et qu’en face du PS, RPR et UDF devront constituer la grande formation de la droite républicaine.
Q. Devra-t-elle se faire sous la bannière du président de la République ?
R. Jacques Chirac en serait évidemment la référence. Mais étant donné sa fonction de chef de l’État, il ne peut en être partie prenante.
Q. Quelle est votre position par rapport au cumul des mandats ?
R. Je suis contre le cumul des fonctions exécutives. Car pour renforcer la décentralisation, il est souhaitable que les élus se consacrent pleinement à leurs responsabilités.
Q. Comment délimitez-vous une fonction exécutive ?
R. Président ou vice-président d’une région, d’un conseil général, maire d’une commune de plus de 20 000 habitants, adjoint au maire d’une ville de plus de 100 000 habitants, c’est une fonction exécutive. Et j’assimile aussi le mandat de député ou de sénateur à une fonction exécutive.
Q. Ah bon ? Et que choisiriez-vous entre la région et l’Assemblée nationale ?
R. Je choisirais d’être président du conseil régional Rhône-Alpes.