Articles de M. Pierre Zarka, membre du secrétariat du comité national du PCF, dans "L'Humanité" des 26 et 31 mars 1999, sur le conflit du Kosovo, intitulés "Sortir de l'engrenage" et "Que faire d'autre".

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Intervenant(s) : 
  • Pierre Zarka - membre du secrétariat du comité national du PCF

Média : L'Humanité

Texte intégral

L'Humanité : 26 mars 1999

On ne peut pas laisser la guerre et la violation des frontières devenir un mode de règlement des problèmes internationaux. C'est une question de civilisation. Qu'il faille ramener à la raison Miloševic, les nationalistes serbes – mais aussi les autres – est clair. Mais nombreux et divers sont ceux dont la conscience refuse la violence comme solution. Certains se demandent si l'objectif de cette « opération » est réellement celui qui est proclamé par Washington. L'expérience du jeu américain avec Saddam Hussein incite à la méfiance : à qui pourra-t-on faire croire que les missiles et les bombes n'ont touché aucun civil ? Paradoxalement, ne vont-ils pas contribuer à resserrer une partie de la population serbe autour du président yougoslave ? Plus généralement, la poursuite des bombardements va heurter l'opinion publique en Europe et affaiblir l'audience de leurs auteurs. Personne – fort heureusement – ne pouvant songer à l'anéantissement de qui que ce soit, une telle guerre n'a aucune vertu : huit ans après celle du Golfe, Saddam Hussein est toujours là et la brutalité de son régime n'a pas faibli.

Comment ne pas s'interroger alors sur cet engrenage de la tension à l'heure de la construction européenne ? La Russie, puissance nucléaire, l'Ukraine, qui demande à le redevenir, vivent l'intervention de l'OTAN comme une menace. Commencer la construction européenne par le clivage le plus marquant qui soit : la guerre ; la commencer en se rangeant derrière les États-Unis, n'est pas franchement de bon augure. Et, si les Américains ont poussé à l'usage des armes, n'est-ce pas en pensant que la raison du plus fort est toujours la meilleure ? Ils ont ignoré superbement l'ONU et essaient de tirer de l'impasse yougoslave argument pour asseoir leur présence en Europe. Ils se positionnent ainsi comme les « patrons » de la planète. Comment ne pas s'en inquiéter ? On peut d'autant moins souscrire aux applaudissements de François Hollande que, en s'engageant comme elle vient de le faire derrière la décision américaine, la France perd la possibilité de faire entendre sa propre voix et de jouer un rôle pacificateur.

Des pans entiers de l'opinion réprouvent ces bombardements et la part qu'y prend notre pays, décidée sans aucune consultation parlementaire. Nombreux sont celles et ceux qui veulent faire entendre que ce gouvernement doit vite se dégager de ce qui est pour lui un acte contre nature. Il n'est jamais trop tard pour bien faire. La France gagnerait à plaider l'arrêt de la violence et le retour aux négociations. Quand les gouvernants ne font pas ce qu'il faut, le recours peut venir des citoyens. Tout ce qui fera entendre les voix de la paix contribuera à infléchir le cours des événements.


L'Humanité : 31 mars 1999

Que faire d'autre ?

L'argument prioritaire auquel se raccrochent les promoteurs des bombardements sur la Serbie est : « Que pouvait-on faire d'autre ? » Cet argument est asséné de façon à laisser les défenseurs de la paix sans voix alors que, bien évidemment, personne n'entend rester passif devant les agissements de Miloševic. Il s'agit, au contraire, de trouver une voie efficace : créer les conditions qui conduiraient le président yougoslave à ne plus pouvoir refuser la négociation sur les droits du peuple du Kosovo. Or, les bombes le font apparaître comme l'homme fort qui symboliserait la résistance serbe face au monde. L'exode peut même favoriser l'extension de la violence et des massacres sur d'autres territoires de la région. Une situation qui permet à Miloševic de préparer la grande Serbie par la partition du Kosovo au détriment de la notion de Yougoslavie, par définition pluriethnique.

Dans la bouche de nos gouvernants, cet argument : « Que pouvait-on faire d'autres ? » est d'autant plus fallacieux que plusieurs voix – parmi elles, celles des communistes membres de la majorité – demandent l'intervention d'une force d'interposition de l'OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe). Force d'interposition : il s'agit d'empêcher les combats, de protéger les civils ce qui visiblement ne fait pas partie des objectifs de l'OTAN. L'OSCE présente deux avantages : l'Europe réapparaît et assume ses responsabilités sans se ranger derrière les Américains. De plus, elle impliquerait toute l'Europe, c'est-à-dire aussi la Russie. Cela élargirait l'éventail des États qui interpellent Miloševic. Le monde slave et orthodoxe pourrait alors jouer un rôle actif en réduisant par-là même l'aura dont les nationalistes serbes tentent de se séparer. L'unanimité diplomatique se ferait à l'encontre de Belgrade : unanimité que les bombardements de l'OTAN ont cassé comme en témoigne l'hostilité des Russes, des Ukrainiens et des Chinois, mais aussi des Grecs pourtant membres de l'alliance et la prudence des Italiens.

Bien évidemment, cela ne peut se produire sans la fin des bombardements. Voilà pourquoi l'alternative n'est pas la guerre ou rien. Mais elle est une guerre dont nombre d'observateurs annoncent l'enlisement voire l'escalade – le président Chirac, comme les dirigeants de l'OTAN, l'ont annoncée longue, ce qui veut dire meurtrière – ou une intervention concertée des nations européennes. Intervention qui permettrait de protéger les populations civiles, et de vérifier si toutes les solutions ont bien été envisagées, ce que les différents plans et propositions évoqués tant en Yougoslavie que dans d'autres pays européens, démentent.