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Le Monde : Avec le recul, que vous inspire l'élimination précoce des bleus ?
Lamour : Une grande déception, à la hauteur des espoirs que nous avions mis dans cette équipe. Les Bleus sont passés totalement à côté de la Coupe du monde. C'est un gâchis.
Le Monde : Était-ce prévisible ?
Lamour : Nous n'avons marqué aucun but, alors que nous disposions des meilleurs buteurs européens. Mais les réglages n'étaient pas au bon niveau. Pour juger ce genre d'échecs, il faut être un vrai professionnel du football. Je ne suis pas expert.
Le Monde : Les Français ont stigmatisé l'état d'esprit de cette équipe, accusant les joueurs d'avoir consacré trop de temps à leurs affaires ...
Lamour : Bien payés, les Bleus l'étaient déjà en 1998 et en 2000. Cela ne les avait pas empêchés d’obtenir les résultats que l'on sait. L'autre réaction, c'était de dire : « Ils n'ont plus faim ». Ce n'est pas vrai. Un second titre mondial, on a tout aussi envie d’aller le chercher que le premier. Il va falloir que les joueurs fassent une sorte de débriefing individuel.
Le Monde : Êtes-vous tenté d'ordonner une enquête administrative pour trouver les raisons d'un tel échec ?
Lamour : Je ne crois pas qu'une telle enquête soit nécessaire. La Fédération française de football devrait savoir décrypter la situation. Il n'y a pas eu de faute, mais peut-être des choix mal adaptés à la situation. Cela ne mérite pas une enquête. L'Euro 2004 est là, il ne faut pas gamberger. Je compte rencontrer Claude Simonet quand il rentrera d'Asie. Je suis disposé à lancer une mission de réflexion si la direction technique nationale est intéressée.
Le Monde : Selon vous, Roger Lemerre doit-il démissionner ?
Lamour : La décision est repoussée au 5 juillet. Je ne suis pas un censeur, ni un super-sélectionneur, je ne jette pas la pierre. Roger Lemerre nous a ramené un titre européen. Il ne faut pas l’oublier.
Le Monde : Son éventuel successeur doit-il venir forcément de la DTN ?
Lamour : Que le président Simonet défende sa filière, c'est tout à fait normal. Mais si des compétences extérieures existent, pourquoi ne pas les étudier ?
Le Monde : Les joueurs sont apparus fatigués. Êtes-vous pour une refonte du calendrier international ?
Lamour : Il y a un paradoxe : les joueurs, même s'ils critiquent ce calendrier, l'acceptent, car il y a au bout un certain nombre de contrats. Il existe un syndicat ces joueurs. Dans ce genre de négociations, il y a deux parties, l'employeur et l'employé, et ce dernier a ses intérêts à défendre. Or, semble-t-il, tout cela avance en ordre dispersé. Je serai très vigilant sur la protection des équipes nationales.
Le Monde : En Corée, les Bleus n'ont jamais semblé à l'aise ...
Lamour : Sur le terrain, ils ne donnaient pas l'impression de se trouver. Cela m'a marqué. On avait l'impression qu'ils ne savaient plus se positionner. Les joueurs sont majeurs, ils peuvent se prendre en charge, adapter leur jeu à une situation donnée. C'est le joueur qui a les clés, pas forcément l'encadrement. La machine a perdu en adaptivité, en réactivité.
Le Monde : Les joueurs ne sont-ils pas trop accaparés par les sponsors ?
Lamour : L'argent ne pervertit pas le foot. Le problème des flux financiers dans le football, c'est que cela assèche les autres sports. Le foot capte 90 % des flux, laissant des miettes aux autres. C'est énorme, c'est monstrueux.
Le Monde : La bulle spéculative est-elle sur le point d'éclater ?
Lamour : Avec la direction nationale de contrôle de gestion, il y a une transparence des comptes, même si on peut lui demander un peu plus de rigueur. Le gros problème des clubs professionnels, c'est la masse salariale. Certains commencent à parler de « salary cap ». On peut se demander si ce n'est pas mettre le doigt dans l'engrenage des championnats fermés. Le système des licences à la mode américaine, on n'est pas prêts à ça. On ne va pas commencer à tout mettre en l'air ...
Le Monde : L'introduction des clubs en Bourse est-elle souhaitable ?
Lamour : Ce n'est pas une priorité. Cela ne semble pas être la panacée. Hormis Manchester United, ce n'est pas brillant. A titre personnel, je n'y suis pas favorable. Les clubs n'ont aucun actif, comment passeraient-ils à travers le filtre de la Commission des opérations de Bourse ? Je suis prêt à réfléchir à des évolutions maîtrisées, sur la propriété des droits de la marque ou les droits TV. De plus, il faut toujours être vigilant, comme à Nice, avec le recyclage d'argent dont on ne connaît pas la provenance.
Le Monde : Le statut fiscal des joueurs peut-il évoluer ?
Lamour : Je ne suis pas favorable à un statut fiscal spécifique des footballeurs. Ce n'est pas pensable. Le président Chirac a annoncé une baisse de 5 % de l'impôt sur le revenu : que les clubs s’en emparent. Il est hors de question que je casse quelque chose. Je ne veux pas révolutionner le système du sport français, qui est excessivement fragile.
Le Monde : Quelles sont vos priorités pour les cinq années à venir ?
Lamour : Développer les synergies. Si les fédérations ne s'arment pas pour rester proches de leurs clubs, elles deviendront des coquilles vides. Côté lutte antidopage, on a eu des petits ratés au niveau des contrôles. Et puis il y a le suivi longitudinal : aucune fédération ne sait faire. Ce n'est pas une remise en cause, mais il faut l'appliquer de manière efficace. Quand on est efficace, on est crédible.