Interview de M. Jean-Pierre Chevènement, président du Mouvement des citoyens, dans "Le Figaro Magazine" du 16 mai 1997, sur ses priorités pour les élections législatives de 1997 notamment l'emploi, l'Europe, l'immigration et la fiscalité.

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Média : Le Figaro Magazine

Texte intégral

1. L’emploi

Seul un coup de fouet à la croissance permettra de créer des emplois. Pour atteindre cet objectif, une mesure domine toutes les autres : la modification de la politique européenne. Nous devons obtenir des engagements fermes du chancelier Kohl sur ce point. Si tel n’était pas le cas, nous devrons décider de donner un ballon d’oxygène à l’économie française, en utilisant les marges de fluctuation de part et d’autre du cours pivot qui existe au sein du système monétaire européen. La Banque de France – qui doit redevenir la Banque de France – peut baisser de plusieurs points ses taux d’intérêts. Le cours du franc peut baisser, puis il remontra.

La force de la monnaie reflète toujours l’économie. L’essentiel est d’assurer la reprise de la croissance créatrice d’emplois. D’autres mesures pourront être prises ultérieurement pour réintégrer des millions de gens qui ont été exclus du circuit de la production, ou qui n’y ont jamais pénétré. Une politique conforme aux intérêts du pays est celle qui donne sa chance à la jeunesse, sinon nous nous préparons des lendemains amers.

2. La sécurité

Il faut appliquer la loi républicaine, tout simplement. Pas de démagogie, ni de surenchères imbéciles qui nourrissent les classiques cycles contestation-répression. Et surtout, l’éducation civique à tous les niveaux : l’école, dans les collectivités locales, dans les administrations publiques, notamment celles de la police et de la justice. Qu’on réapprenne aussi aux parents leurs devoirs vis-à-vis de leurs enfants, surtout les plus jeunes. Il faut redonner des repères et rappeler que la citoyenneté, c’est un ensemble indissociable de droits et de devoirs. C’est un état d’esprit, au-delà des mesures que l’on peut prendre.

3. L’Europe

Première urgence, la réunion d’un Conseil européen. L’Italie ne peut pas rester en dehors du premier cercle. C’est un grand pays industriel, ce serait trop dangereux de le laisser, avec le potentiel qu’il représente, en dehors du cercle de l’euro. Si on accepte que les règles de l’endettement ne valent pas pour la Belgique, elles ne doivent pas valoir non plus pour l’Italie. Par ailleurs, la différence du déficit à quelques décimales près n’a aucune importance. C’est un choix politique. Il faut que le statut de la Banque centrale européenne soit revu. On ne peut pas accepter l’idée d’une banque centrale complètement indépendante. C’est peut-être conforme au modèle allemand, cela n’est pas conforme au modèle français. C’est une concession majeure qui a été faite par François Mitterrand contre l’avis même de Pierre Bérégovoy. À partir de là, il va de soi que la France doit être capable de mener une politique alternative dans l’hypothèse où le chancelier Kohl ne manifesterait pas une compréhension suffisante de ce que l’Europe doit être : un compromis entre les nations et non pas l’imposition d’un modèle. Mais, même en Allemagne, ces idées font leur chemin. Nos marges de manœuvre ne sont pas nulles. La France, pour la monnaie unique, est le pays clé. On ne peut rien faire sans elle. Il suffit d’un petit peu de volonté politique.

4. L’immigration

Pas de temps à perdre pour des dispositions législatives de détail, presque toujours inefficaces. Convocation du directeur général des douanes, de celui de la police, et de celui de la population. Qu’on soit poli aux frontières avec les gens qui ont le teint un peu plus basané que le nôtre. Qu’on soit respectueux des lois, mais aussi des personnes. Pas de tracasseries abusives. La loi républicaine respecte la dignité des personnes. Une grande majorité de Français approuve une politique républicaine de l’immigration, humaine, généreuse, mais claire. Loin des poncifs : d’un côté, l’immigration zéro, de l’autre, des papiers pour tous.

5. La santé

Voilà un domaine qu’il faut politiser au bon sens du terme. Quels sont les besoins de santé dans notre pays ? Où sont les priorités ? Ils faut substituer le dialogue à la maîtrise comptable. Dans une société moderne, on ne doit pas faire d’économie injustifiée sur la santé. Le plan Juppé, tel qu’il est interprété, pèche par manque de dialogue. Il s’agit de questions éminemment humaines, elles ne peuvent pas être résolues avec une simple règle à calcul. Je suis favorable à une maîtrise de la progression des dépenses de santé. Mais, je ne crois pas qu’on pourra les diminuer, ou les bloquer. Ce n’est pas réaliste.

6. Les affaires

D’une part, la justice doit passer. Mais, d’autre part, les juges ne doivent pas être irresponsables. Ils ne doivent pas oublier qu’ils jugent au nom du peuple français. C’est lui le souverain, et nul autre. Il faut séparer les fonctions d’instruction de celles qui touchent à la liberté des personnes, la mise en détention provisoire, par exemple. Actuellement, près de la moitié des effectifs des détenus est constituée de simples prévenus. Des milliers de gens qui ont été emprisonnés obtiennent des non-lieux. On se préoccupe à juste titre des droits de l’Homme au Tibet et au Zaïre, il serait utile de s’en préoccuper aussi un peu chez nous. Je suis par ailleurs favorable à l’affectation de moyens supplémentaires à la justice, donc à une loi de programmation, et à la fixation d’un délai de six mois pour les instructions, le cas échéant renouvelable, mais sur décision motivée, susceptible d’appel.

7. L’État

Les fonctionnaires n’ont pas à être culpabilisés en permanence. Ils doivent être commandés et responsabilisés. Le service public est une grande chose. Pour le défendre, il faut rappeler à chacun qu’il est d’abord le service du public. Les moyens financiers doivent être utilisés en fonction de l’intérêt public ; dans certains domaines, ils peuvent être diminués, dans d’autres, augmentés, comme dans l’enseignement supérieur et la justice, deux secteurs pour lesquels une loi de programmation serait utile.

8. Les armées

Pour faire face à des risques aujourd’hui occultés (terrorisme, déstabilisation intérieure), pour fournir des volontaires aux régiments professionnels, enfin et surtout pour maintenir le lien armée-nation, il faut établir un service militaire court de six mois, moderne, éventuellement fractionné, avec mobilisation sur place des recrues, apprentissage de l’usage des armes légères, ouvert aux femmes si elles sont volontaires. Ces régiments de défense opérationnelle du territoire, constitués au ras du terrain, seront très utiles. Il faut cesser les interventions tous azimuts dans des conflits où l’intérêt de la France n’est nullement engagé, refuser la réintégration dans l’organisation militaire de l’Otan et le financement des coûteuses infrastructures que requerrait son extension à l’est de l’Europe. Il est temps d’arrêter de rogner constamment sur les moyens de la défense en faisant supporter à son budget le coût d’opérations extérieures où nous ne maîtrisons rien. La politique de la France doit se faire à l’aube des intérêts de la France.

9. L’agriculture

On doit privilégier l’exploitation familiale, mettre au premier rang la qualité es produits, refuser le diktat américain en matière de commerce extérieur. La France doit rester un grand pays agricole et exportateur. La politique agricole commune devrait davantage prendre en compte l’élevage plutôt que la betterave ou les céréales. Il faut aussi augmenter les effectifs dans l’enseignement agricole, alors que leur croissance est plafonnée à 2 % par an. C’est complètement idiot. La France a des atouts remarquables, parmi eux l’agriculture d’abord, mais aussi la mer, l’espace : tout cela est oublié.

10. L’écologie

Une aide doit être apportée aux collectivités locales pour mener une grande politique de l’environnement. Pas seulement à travers des prescriptions, mais grâce à des concours financiers, pour réaliser de nombreux objectifs : politique de l’eau, pistes cyclables, désertification urbaine, reconstruction des banlieues, protection des espaces naturels. Investir, c’est pensé à demain.

11. Impôts

Ne pas prendre d’engagement qu’on ne peut pas tenir ! Je propose d’augmenter l’impôt sur les sociétés, mais d’autoriser la déduction complète des investissements réels.