Texte intégral
Message de Monsieur Philippe Douste-Blazy, Ministre de la culture
Chers Amis,
Jusqu’au dernier moment j’ai espéré pouvoir être présent parmi vous pour cette soirée unique, mais je suis contraint au repos par mes collègues médecins. Grâce à eux, je me rétablis rapidement et j’y suis aidé par les témoignages de solidarité et d’amitié qui me sont parvenus de toute part. En attendant de pouvoir vous retrouver, j’ai demandé à Jeanne Moreau de vous transmettre mon salut le plus chaleureux.
Le cinéma est une des formes majeures de notre culture ; depuis deux ans, nous avons tous travaillé à rénover ses méthodes et à consolider les bases de ses métiers.
Ce cinéma nous réunit, au-delà de nos différences, au-delà des frontières. Cannes en témoigne en rassemblant chaque année une communauté de créateurs venus du monde entier, un monde qui n’a cessé de s’élargir.
Je vous propose de faire de ce cinquantenaire un symbole. Symbole d’un cinéma reflétant la vitalité et la diversité de nos cultures, symbole de la liberté d’expression, et du refus des extrémismes.
À leur haine, à leur violence, le cinéma oppose son amour de la vie et ses images qui parlent toutes les langues du monde.
J’espère bien être des vôtres, dimanche prochain, pour la fête du cinquantenaire. Salut aux artistes et à tous ceux qui font le cinéma, salut au public de Cannes et de toute la France.
France 2 : dimanche 11 mai 1997
M.-P. Farkas : Dans ces cas-là, en général, on dit : comment ça va ?
P. Douste-Blazy : Ça va, j’ai reçu un choc psychique surtout. Je m’en remets, je récupère doucement, comme n’importe qui aurait reçu un choc comme celui-là. Il me faut encore un peu de temps, et je mets ce temps à profit pour ma réflexion personnelle.
M.-P. Farkas : Est-ce que vous pensez que votre médecin vous donnera l’autorisation d’aller à Cannes avant la clôture ?
P. Douste-Blazy : Pour une fois, j’ai envie de dire que ce n’est pas moi qui déciderai, ce sont les médecins qui décideront si je peux aller à la clôture du Festival de Cannes. Mais ce sont mes médecins qui décident.
M.-P. Farkas : Vous n’êtes pas un petit peu déçu ?
P. Douste-Blazy : J’ai reçu des marques non pas d’amitié, mais d’affection, des marques de sympathie de tous les artistes, C’est cela qui m’a, peut-être le plus bouleversé. Ça a été d’un très grand réconfort, pour moi. C’est peut-être avec d’autant plus de regrets que je ne partagerai pas cette journée et cette soirée exceptionnelle qui est le cinquantième anniversaire du Festival de Cannes. Je leur souhaite, pour ce soir, une très grande, une très belle soirée. Mais ce qui me paraît encore le plus important, c’est que les Français, ceux qui ne sont pas à Cannes, les Français renouent avec le cinéma et avec le cinéma français : plus de 36% de Français ont choisi des films français cette année.
M.-P. Farkas : Vous avez une sorte de recul forcé. Comment vous voyez ce qui se passe dans la campagne et ce qui se passe à Paris ?
P. Douste-Blazy : Pour moi, cette campagne électorale, elle ne dit avoir qu’un seul thème : celui de l’emploi des Français. Or, aujourd’hui, je crois que nous devons dire très fort, avec beaucoup de conviction, que l’on ne veut plus de société du tout-État, le tout-nationalisé, ou du tout-fric, l’ultra-libéralisme. Je crois, avec beaucoup d’autres, des millions de Français, on croit à une troisième voie où il y a pour les plus démunis, ceux qui en ont vraiment besoin, une protection ; et puis aussi, pour ceux qui ont envie d’entreprendre, plus de liberté. C’est cela le thème de la campagne électorale : c’est l’emploi. Ce n’est pas avec des ministres communistes, c’est pas avec plus de dépense publiques, plus de fonctionnaires que l’on arrivera à répondre à cette question. Pour moi, c’est cela le choix.
M.-P. Farkas : P. Douste-Blazy, vous ne voulez pas parler de vous, des idées qui peuvent naître d’un homme qui est passé tout près du mot « fin ». Vous préférez adresser un message de remerciements à tous ceux qui vous ont envoyé des petits mots de soutien.
P. Douste-Blazy : C’est M. Mastroianni qui avait dit une phrase magnifique sur la reconnaissance : « que l’on soit mélancolique, triste ou heureux, c’est probablement le sentiment de reconnaissance qui est le plus important pour un homme. » C’est mon cas aujourd’hui.
Le Journal du Dimanche : 11 mai 1997
Jean-Claude Maurice : Vous aviez envisagé d’être aujourd’hui à Cannes. Vous y renoncez. N’avez-vous pas voulu reprendre trop tôt vos activités ? On vous a vu très affaibli jeudi à Lourdes ?
P. Douste-Blazy : J’essaie de me rétablir rapidement, mais, c’est vrai, j’ai peut-être voulu allez trop vite…
Jean-Claude Maurice : Viendrez-vous pour la clôture ?
P. Douste-Blazy : Tout dépendra de l’évolution de la convalescence. Soyez assuré que je ferai tout ce que je peux pour être présent.
Jean-Claude Maurice : Quels sentiments vous inspire l’attentat dont vous avez été victime ?
P. Douste-Blazy : Je ne vous cacherai pas que cette agression a représenté pour moi un choc. Mes premiers sentiments sont ceux de la reconnaissance, particulièrement envers les médecins qui m’ont sauvé la vie ! Un sentiment en solidarité aussi, après les milliers de témoignages de sympathie et d’affection qui m’ont été adressés. Un sentiment plus générale enfin concernant la tentation de la violence. La société pour laquelle nous nous battons admet les conflits et les divergences, qui font partie du débat démocratique, mais elle refuse la violence et la haine. C’est essentiel. Ce refus de la haine et de la violence est un des principes fondateurs du pacte social.
Quant à mon agresseur, c’est un grand malade comme je l’ai déjà dit. Je ne ressens pas d’amertume à son égard. Je suis médecin, je sais ce que doit être sa souffrance psychique. Pour résumer mes sentiments, j’emprunterai à Marcello Mastroianni une de ses plus belles phrases : « Je suis optimiste, je vous jure que je crois beaucoup à la générosité de la vie. Bien sûr, avec des moments de drame et de mélancolie, mais mon attitude, c’est la reconnaissance ».
Jean-Claude Maurice : Quel message adresseriez-vous pour le 50e anniversaire du festival ?
P. Douste-Blazy : Cette année, Cannes est plus que jamais la capitale mondiale du cinéma avec une sélection internationale de grande qualité où l’Europe, les États-Unis, l’Afrique et l’Asie sont représentés. Le festival écrit une page exceptionnelle de l’histoire du cinéma, avec la présence des plus grands réalisateurs qui ont eu la palme d’or depuis sa création : Antonioni, Wenders, Kusturica, Lelouch, Coppola et Scorsese pour ne citer qu’eux.
C’est tout le talent, la créativité, l’émotion que ces maîtres du cinéma ont dispensés depuis cinquante ans, qui vont être symboliquement réunis en présence de Jacques Chirac. Cette présence, pour la première fois à Cannes, d’un président de la République est un geste politique très fort adressé au monde entier vis-à-vis de la création et du cinéma. Je regrette naturellement de ne pouvoir être à ses côtés pour cette réunion exceptionnelle, pour cet instant privilégié.
Jean-Claude Maurice : Vendredi, un film français – Western, de Manuel Poirier – a été ovationné en compétition. Y voyez-vous un signe ?
P. Douste-Blazy : Oui, absolument. Il faut dire avec force que notre cinéma, pour lequel j’éprouve une véritable passion, n’a pas à avoir de complexes. Depuis deux ans, il est récompensé dans tous les festivals et, surtout, sa part de marché en France s’accroît régulièrement avec plus de 37% en1996. Notre cinéma est en train de prouver que « l’exception culturelle » européenne et française existe, témoignant de l’efficacité du travail quotidien que nous effectuons avec les professionnels. Ce 50e festival est celui d’un cinéma français en plein renouveau et en pleine expansion. C’est un cinéma qui peut être subtil, intimiste et brillant, mais aussi un cinéma capable de rivaliser avec les plus grandes productions américaines comme le montre le très grand succès auprès du public du film de Luc Besson le "Cinquième élément".
Jean-Claude Maurice : Cannes est aussi sous le choc de la disparition de Marco Ferreri…
P. Douste-Blazy : C’est sans doute un signe du destin et une ironie du sort de voir Marco Ferreri nous quitter en plein milieu du festival. Paradoxalement, cet homme – il avait un esprit de refus de toutes les règles établies, des conventions et des institutions – a toujours eu un lien particulier avec Cannes. À de nombreuses reprises, il y déchaîna les passions, parfois l’enthousiasme comme avec "Rêves de singes", parfois le scandale comme avec "la Grande Bouffe". C’est avec douleur et tristesse que je vois disparaître un des grand maître du cinéma italien qui a fait jouer les plus grands acteurs de notre époque dans des films inoubliables comme "le Lit conjugal, les Contes de la folie ordinaire" ou "la Dernière femme"… Je n’oublierai jamais notre dernière rencontre. C’était lors du festival franco-italien de cinéma avec mon ami Walter Veltroni, vice-président du Conseil italien, ministre de la Culture. Marco Ferreri était littéralement habité par son art.
Jean-Claude Maurice : Allez-vous participer à la campagne électorale ?
P. Douste-Blazy : Comme dirigeant de Force démocrate, je pense que cette campagne doit être l’occasion de bien montrer le choix proposé aux Français. Le choix de la clarté en nous battant très fort pour nos convictions, en luttant contre tout compromis, en disant haut et fort que nous refusons la société du « tout fric » ou du « tout-État ». Je crois – pour moi, c’est tout l’enjeu de cette campagne – en une société qui soit à la fois au rendez-vous des plus démunis mais aussi de ceux qui veulent davantage entreprendre. Ne pas donner l’impression à ces derniers qu’ils ne pourront jamais y arriver parce qu’ils paient pour les autres. En même temps, ne pas accepter une société qui ne soient pas au rendez-vous de la vraie solidarité. Ce n’est pas en augmentant les déficits publics, comme le propose le Parti socialiste, que nous pourrons y arriver. Pour moi, il y a un vrai choix car la situation de l’emploi dans notre pays dépend de cela. Il y a enfin le choix de l’efficacité, en évitant une longue cohabitation qui ne peut-être qu’immobilisante pour le pays.
RTL : mercredi 21 mai 1997
RTL : Comment allez-vous trois semaines après l’agression dont vous avez été victime dans une rue de votre ville de Lourdes ?
P. Douste-Blazy : Je vais mieux. Cet épisode douloureux est maintenant définitivement terminé, la page est tournée. J’ai envie de vous dire que j’ai envie de regarder devant moi et rentrer enfin en campagne électorale à la fois sur le plan local et sur le plan national.
RTL : Est-ce que vous avez tiré des enseignements personnels de cette épreuve ?
P. Douste-Blazy : Non, si vous voulez me demander ce que je pense de mon agresseur, je vous dirais que je suis, avant tout, un médecin et qu’il s’agit d’un malade et je mesure sa solitude psychique et psychologique. Je n’ai aucune amertume vis-à-vis de lui.
RTL : Vous avez été un peu ému en retrouvant votre place en conseil des ministres, ce matin ?
P. Douste-Blazy : Oui, depuis trois jours, je suis sorti de ma chambre, j’ai rencontré des amis et j’ai reçu des milliers et des milliers de marques de sympathie et de solidarité et d’amitié et, croyez-moi, cela n’a pas de prix. En particulier, j’en ai reçu beaucoup de la table d conseil des ministres et, en premier lieu, de la part du Président et du Premier ministre.
RTL : Spectateur forcé de cette campagne pendant ces premières semaines, comment la voyez-vous, comment l’analysez-vous ?
P. Douste-Blazy : C’est vrai que j’ai été placé dans une situation qui m’a fait prendre du recul. Je suis persuadé, aujourd’hui, que les Français vont choisir en fonction d’un seul critère, qui est la crédibilité des programmes. Ils ont connu une longue expérience socialiste qui a été soldée par un double échec économique et social, ils n’ont pas envie de revenir au socialisme. En même temps, ils ont l’impression que cette majorité a répondu à beaucoup de questions mais pas à toutes leurs questions. Donc, sur les trois « e » de la campagne – l’emploi, l’Europe et l’État- je crois que nous avons des programmes qui sont tout à fait différents et qui s’opposent à ceux du Parti socialiste et à ceux du Parti communiste, il ne faut pas l’oublier. Je crois que nous pouvons parler de ces trois sujets qui me paraissent importants. Il faut clarifier le débat. Il faut que le débat soit clair pour que les Français puissent voter en toute confiance, dimanche.
RTL : L’Europe, justement, J. Lang qui était l’invité, ce matin d’O. Mazerolle, évoquait une cohabitation en disant que cette cohabitation pourrait être fructueuse pour la construction européenne.
P. Douste-Blazy : D’abord, s’il y a cohabitation, cela veut dire que la gauche a gagné, ce que je ne crois pas. Imaginons qu’elle ait gagné. Je ne vois pas comment ils puissent y avoir des ministres communistes, des ministres qui font partie du Mouvement des Citoyens de M. Chevènement, qui sont anti-européens, tout en laissant le Premier ministre, Jospin, faire une politique européenne. Nous avons la chance d’être dans un pays où, du général de Gaulle à Jacques Chirac, il n’y a eu que des présidents qui ont voulu la construction européenne. Comment voulez-vous, aujourd’hui, mettre un coup de canif dans cette construction européenne qui, pour moi, pour ma génération, est fondamentale ? L’Europe ; pour moi, c’est une nouvelle frontière ; pas de barrières entre les pays de l’Union au niveau des hommes, des idées et de marchandises. C’est également un nouvel espoir – économique, avec la monnaie unique, social avec la lutte contre le chômage, et politique avec de nouvelles institutions et surtout, pour moi, c’est un nouveau monde de paix. Eh bien, je suis désolé, qu’on ne fasse pas croire qu’avec des ministres communistes au gouvernement, on continue la construction européenne. Ce n’est pas possible. Donc la cohabitation, ce n’est pas la cohérence, aujourd’hui.
RTL : L’emploi, on ne peut pas dire que le gouvernement sortant ait réussi à stopper totalement la progression du chômage, loin de là. Donc, vous dites les deux programmes son différents mais quelle est la solution ?
P. Douste-Blazy : Vous savez, je crois que là, il y a un problème de communication majeure. Pourquoi ne pas le dire haut et fort que depuis six mois, sept mois consécutifs, nous avons une stabilisation du chômage ? Alors nous n’avons pas le remède miracle, c’est vrai, c’est aussi qu’il y a 180 000 personnes jeunes qui arrivent sur le marché du travail par rapport au nombre de retraités. C’est vrai qu’il y a un problème démographique mais c’est vrai aussi que nous avons stabilisé le chiffre du chômage, que l’économie est en train de repartir, que l’économie française est e train de créer de nouveaux emplois. Il y a aussi 40 000 jeunes chômeurs de moins depuis six mois. Pourquoi ne pas le dire ? Je ne dis pas que c’est réglé, je ne crie pas victoire, je dis qu’entre 1981 et 1993, le nombre de chômeurs s’est multiplié par trois et nous nous avons aujourd’hui stabilisé le chômage.
RTL : Quand A. Juppé ou le Président Chirac parlent d’un nouvel élan, d’élan partagé et qu’A. Juppé dit qu’il n’y aura ni rupture ni continuité, où sera le changement ?
P. Douste-Blazy : Le changement, c’est dans la durée que nous devons avoir pour, aujourd’hui, gouverner. Si vous prenez, par exemple le mot important ; le seul mot qui vaille aujourd’hui dans cette campagne électorale, c’est le mot emploi. Nous savons aujourd’hui que nous ne pouvons y arriver que si nous diminuons les charges sociales. Prenez n’importe quel artisan, n’importe quel petit entrepreneur. Il vous dira qu’il faut diminuer les charges sociales. Il est d’accord pour payer un salaire à 5 500 francs. Il n’est pas d’accord pour 5 500 plus 4 400 ; c’est-à-dire pratiquement 10 000 Francs. Il préfère ne pas employer ou embauche quelqu’un plutôt que de dépenser ces sommes. Alors vous allez me dire : pourquoi, vous ne l’avez pas fait depuis 1993 ? Oui, avec le gouvernement d’E. Balladur, puis celui de M. Juppé, nous avons diminué les charges sociales d’à peu près 13%. Ça ne suffit pas, il faut continuer. Pourquoi on n’a pas tout d’un coup ? Parce qu’il y avait tout simplement 360 milliards de déficit lorsque nous sommes arrivés aux affaires du pays, et qu’évidemment nous ne l’avons pas suffisamment dit, peut-être parce qu’il y avait des conditions dramatiques au départ, peut-être parce que M. Bérégovoy s’est suicidé, peut-être parce que nous n’avons pas osé le dire. Mais il est vrai que nous avons, pendant quatre ans, diminué les déficits de ce pays et c’est maintenant la diminution des charges sociales et la diminution des impôts qui permettra à l’énergie humaine, à la liberté d’entreprendre, de créer des emplois. Je crois beaucoup, aujourd’hui, dans ce programme du gouvernement à d’un côté, avoir une liberté d’entreprise mais de l’autre aussi partager et être au rendez-vous des plus démunis. C’est cela la société que nous proposons, aujourd’hui, aux Français.