Texte intégral
Europe 1 : Sans préjuger des conséquences judiciaires, Dominique Strauss-Kahn n'a-t-il pas fait preuve de courage et de dignité hier ? Pour un politique, est-ce que c'est un exemple dans un cas pareil ?
Jean-Paul Delevoye : Le départ de Monsieur Strass-Kahn amène, de ma part, plusieurs commentaires. Les commentaires à caractère économique : j'étais très frappé de voir que le départ d'un ministre important sur le plan des finances n'avait entraîné aucune réaction sur les marchés financiers.
Europe 1 : C'est comme un boomerang : il a participé à l'euro.
Jean-Paul Delevoye : C'est important par rapport à ce qui se serait passé, il y a une dizaine d'années. Deuxièmement, c'est une décision politique qui, elle aussi, mérite commentaire car l'on s'aperçoit qu'aujourd'hui, la décision qu'a prise Monsieur Strauss-Kahn, c'est par rapport à une puissance d'émotion médiatique où la condamnation médiatique est, aujourd'hui, en train de l'emporter sur le jugement judiciaire. Il faut que nous réfléchissions, aujourd'hui, sur la relation entre la politique, les médias et la justice.
Europe 1 : Vous ne m'avez pas répondu : est-ce que, d'une certain façon, pour les politiques, un exemple ou comme un exemple ?
Jean-Paul Delevoye : La démission de Strauss-Kahn s'imposait à partir du moment où, en tant que ministre, le doute et la suspicion naissaient par rapport au faux. Il n'y avait pas d'autre décision à prendre.
Europe 1 : Quand vous dites : « la démission s'impose parce qu'il y avait suspicion et doute », voulez-vous dire que cela concerne maintenant tous les élus ?
Jean-Paul Delevoye : Absolument. Aujourd'hui, nous avons une exigence de la part de la population sur une éthique et une morale de la conduite politique.
Europe 1 : Est-ce qu'il suffit d'un doute ? Qu'attend, par exemple, Jean Tibéri ?
Jean-Paul Delevoye : En ce qui me concerne et en tant que président du RPR, je ferai en sorte que, pour les prochaines échéances électorales, chaque candidat soit porteur d'une moralité en conformité avec l'attente de nos concitoyens.
Europe 1 : Ce sera le cas ?
Jean-Paul Delevoye : Ce sera le cas partout.
Europe 1 : Cela veut-il dire que si vous êtes président du RPR, le sort de Jean Tiberi est réglé ?
Jean-Paul Delevoye : Ce sera le cas partout et les principes s'appliqueront quel que soit le niveau de la personnalité et de la collectivité concernées. »
Europe 1 : Je n'aime pas insister sur tel ou tel cas mais, tant qu'on n'a pas une réponse précise… Est-ce que, par exemple, vous lui demandez de décider, de lui-même, de partir ?
Jean-Paul Delevoye : Il y a aujourd'hui une prise de conscience de la responsabilité individuelle et des conséquences du mouvement ou des causes auxquels on adhère. Aujourd'hui, tout homme politique responsable doit, aujourd'hui, en son âme et conscience, mesurer les conséquences positives ou négatives de son action par rapport au mouvement auquel il adhère. J'ai cru comprendre que M. Strauss-Kahn avait agi par solidarité à l'égard de son gouvernement. Je crois que cette décision s'imposait.
Europe 1 : S'il suffit d'un doute, ne croyez-vous pas que la menace dépasse l'actuel maire de Paris et qu'elle plane au-dessus de Jean Tiberi ?
Jean-Paul Delevoye : Nous avons à réfléchir et nous avons clairement posé la question, notamment concernant les élus locaux, sur la dérive de la démocratie qui fait qu'aujourd'hui, le débat politique est quelquefois moins efficace que le débat médiatique. C'est une déviation de notre démocratie qui est particulièrement préoccupante.
Europe 1 : Que faut-il faire contre ?
Jean-Paul Delevoye : La réponse est simplement la transparence et probablement de réfléchir sur des procédures comme la mise en examen ou la mise en « examination » qui fait que la transparence la plus totale permettrait de gommer les doutes et les suspicions.
Europe 1 : Pour Mme Guigou, la MNEF n'a pas servi à financer le PS – elle n'est pas la seule à le dire au niveau du gouvernement et du PS –. Est-ce que le RPR va utiliser la MNEF comme une arme anti-Jospin ?
Jean-Paul Delevoye : Il faut que nous soyons conscients les uns et les autres que tout ce genre d'agitation ne sert pas la classe politique et qu'aujourd'hui, notre réflexion c'est sur la restauration de la classe politique.
Europe 1 : C'est-à-dire que vous demanderiez à l'opposition, au RPR, de ne pas s'en servir ?
Jean-Paul Delevoye : Le gouvernement – et Monsieur Jospin – a fait de la morale une action politique. Aujourd'hui, il y a un effet boomerang. Il faut que nous soyons conscients, les uns et les autres, qu'aujourd'hui l'opinion a besoin de retrouver la confiance dans sa classe politique. C'est un travail auquel il faudra que nous nous attachions les uns et les autres.
Europe 1 : Cela veut dire que vous pourriez être d'accord les uns et les autres, majorité et opposition ?
Jean-Paul Delevoye : C'est une obligation pour faire en sorte qu'aujourd'hui, la perte de confiance dans la classe politique ne soit plus quelque chose de tout à fait préoccupant. Deuxième préoccupation, c'est qu'aujourd'hui la condamnation médiatique vaut une condamnation bien pire que l'analyse par la justice, de la réalité des faits.
Europe 1 : Dans le cas de Dominique Strauss-Kahn, c'est avant même la mise en examen. Est-ce que Lionel Jospin, avec cet acte de sacrifice de son ami et ministre si doué, sort renforcé ce matin ?
Jean-Paul Delevoye : C'est un mauvais coup pour toute la classe politique.
Europe 1 : Aujourd'hui, apparemment, il suffit d'un juge ou de deux juges pour qu'un exécutif soit affaibli et un gouvernement remanié. Est-ce que c'est sain ?
Jean-Paul Delevoye : Non. Nous avons un vrai problème de la relation entre le pouvoir politique, le pouvoir judiciaire et le pouvoir médiatique. La chose publique mérite la plus grande transparence, car n'oublions pas quand même que, dans cette affaire, il faudra qu'on m'explique comment une entreprise a pu, sous quelque influence que ce soit, mettre vingt millions pour sauver quelque chose qui était en faillite – là, il y a quand même un problème –.
Europe 1 : Vous parlez de la CGE ?
Jean-Paul Delevoye : Et de la MNEF. La deuxième chose, c'est qu'il faudra aussi regarder pourquoi il y a des déplacements de magistrats. Y a-t-il coïncidence ? Y a-t-il une relation dans ces affaires ? Et troisièmement, aujourd'hui, si nous cédons le pas à la pression médiatique, le débat démocratique sera diminué.
Europe 1 : Ma dernière question sur ce thème ce matin : le président de la République a convoqué, à certaines conditions, le Parlement en congrès à Versailles, le 24 janvier, pour adopter la réforme Guigou de la justice. Est-ce que vous la voteriez ce matin ?
Jean-Paul Delevoye : J'ai toujours été très réservé. J'estime que tout pouvoir mérite un contre-pouvoir.
Europe 1 : C'est-à-dire, vous pensez…
Jean-Paul Delevoye : Je suis plutôt réservé sur cette révision constitutionnelle.
Europe 1 : Et donc vous pensez qu'elle pourrait ou pas recueillir les votes des trois cinquièmes des parlementaires, aujourd'hui ?
Jean-Paul Delevoye : Dans l'état actuel, je n'en suis pas sûr. Je pense qu'il faut une totale indépendance du siège, mais qu'il faut une dépendance du parquet par rapport au pouvoir politique.