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Le Parisien : Vous lancez une réforme de l'enseignement professionnel. Quelles en sont les grandes lignes ?
Claude Allègre : Nous allons intégrer l'entreprise au lycée. Plus question que les professeurs ne sachent pas ce qui se passe lorsque l'élève est en stage. De même, il n'est plus concevable que, lorsque les lycéens sont en cours, l'entreprise n'ait pas son mot à dire sur ce qui est enseigné. Le problème est encore trop souvent le décalage entre la réalité économique et l'enseignement. Il n'y a pas si longtemps, dans un lycée professionnel des métiers du livre, on donnait des cours sur la photogravure, un métier qui n'existait déjà plus à l'époque !
Le Parisien : Comment cela va-t-il se passer sur le terrain ?
Claude Allègre : Des négociations sont en cours, au cas par cas, entre les lycées et les entreprises. Chacun y trouvera son compte. J'ai changé les règles administratives : un enseignant va pouvoir travailler dans une entreprise, y compris plusieurs années, et revenir à son corps d'origine sans perdre son poste. Nous allons aussi mettre en place des plates-formes technologiques. Dans les lycées professionnels, il existe souvent des équipements formidables qui ne servent qu'un tiers de l'année. Les PME-PMI vont pouvoir les utiliser, cela va aider énormément le développement économique local. C'est naturellement donnant-donnant : en contrepartie, l'entreprise s'engage à prendre des élèves en stage, voire à les embaucher.
Le Parisien : Et qu'est-ce qui va changer maintenant pour les jeunes ?
Claude Allègre : À la rentrée de janvier, il n'y aura plus d'horaires déments et excessifs qui pouvaient atteindre 42 heures par semaine ! La règle est claire : dans deux mois, pas plus de 35 heures par semaine et jamais plus de 8 heures par jour. De nouvelles grilles horaires seront annoncées en mars et mises en place à la rentré 2001. Les professeurs, qui ont des horaires plus lourds que leurs collègues des enseignements généraux, vont eux aussi bénéficier de ces réductions.
Le Parisien : Vous aviez parlé d'une possible rémunération de ces lycéens ?
Claude Allègre : Il n'a jamais été question que l'éducation nationale paye ses lycéens ! Mais je souhaite que ces jeunes, qui effectuent des stages professionnels longs – au moins 16 semaines sur deux ans d'études –, reçoivent une gratification comme les apprentis. Rien n'obligera cependant les entreprises à les rémunérer. Mais je ne souhaite pas qu'ils se sentent exploités.
Le Parisien : Comment allez-vous répondre au manque de professeurs, point noir de ces filières professionnelles ?
Claude Allègre : Effectivement, cela a été un de mes petits problèmes de rentrée. Il y a des spécialités où les professeurs manquent. Beaucoup, avec la reprise économique, ont préféré rejoindre le privé. Mais je viens de donner l'autorisation de recruter des professeurs associés. Ils travailleront à mi-temps dans une entreprise et donneront en même temps des cours. Évidemment, nous les formerons pour cela.
Le Parisien : Autre problème, les jeunes se plaignent de ne pas toujours obtenir de place dans la filière de leur choix ?
Claude Allègre : Il faut un compromis. Il faut choisir sa voie en fonction de ses goûts, mais aussi des débouchés. On ne peut plus se satisfaire de voir des filières saturées, comme le secrétariat, et en voir d'autres, comme le bâtiment, l'électricité ou l'hôtellerie, où les besoins en emplois ne sont pas satisfaits. Dans le XIIIe arrondissement, un lycée professionnel forme au métier de prothésiste dentaire. C'est un métier bien rémunéré, qui a des débouchés. Et pourtant, le lycée pourrait accueillir le double des candidats ! On ne va pas résoudre ce souci en claquant des doigts, mais il faut s'y atteler. Surtout, je souhaite que, d'ici à quelques années, les jeunes s'orientent vers ces filières en se disant : « je vais là car je veux avoir un métier et un emploi ». Aujourd'hui, hélas, beaucoup sont là car ils ont été refusés dans l'enseignement général.
Le Parisien : Vous pensez que cette réforme va satisfaire les lycéens qui ont exprimé leur malaise lors des manifestations d'octobre ?
Claude Allègre : Vous savez, le mouvement lycéen de cette année était d'ampleur limitée. La raison profonde tenait au sentiment des lycéens professionnels de toujours passer après. Ils se sont dit : comme d'habitude, on ne s'occupe pas de nous.
Le Parisien : Vous donnez une grande place à l'entreprise dans l'école. Pour vous, l'institution est faite pour former des citoyens ou des salariés ?
Claude Allègre : Les deux, bien sûr ! Je n'ai pas d'état d'âme dans ce domaine. Un citoyen au chômage, c'est très préoccupant et cela ne me plaît pas…