Interview de Mme Ségoléne Royal, ministre déléguée à l'enseignement scolaire, à RTL le 18 octobre 1999, sur le projet de loi sur les 35 heures, les manifestations de lycéens sur les effectifs d'enseignants et la sécurité dans les établissements scolaires.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

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RTL : La manifestation du Parti communiste. François Bayrou, qui était hier soir au « Grand Jury RTL-Le Monde-LCI », disait que le gouvernement se trouvait dans une situation d'équilibriste, entre les félicitations adressées à Robert Hue pour son succès personnel et la politique qu'il mène et qui n'est pas du tout celle réclamée par le Parti communiste.

Ségolène Royal : Cela ne m'étonne pas que la droite dise cela parce qu'elle a du mal à comprendre qu'un parti politique ou que des forces politiques puissent fonctionner autrement que de façon monolithique et immobile. La gauche plurielle, donc, elle s'exprime de façon variée. Elle s'est exprimée dans la rue pour l'emploi, pour exprimer aussi une certaine inquiétude face à la mondialisation, et les différentes composantes de la gauche ont des façons différentes de s'exprimer. Le travail au gouvernement va aussi dans le sens de ce qui s'est dit hier dans la rue.

RTL : Ça n'instaure pas la confusion, quand même ? On a du mal à s'y retrouver, entre ceux qui sont pour et ceux qui sont contre.

Ségolène Royal : Je ne crois pas. C'est au contraire l'expression que la gauche plurielle favorise le débat et le mouvement. À aucun moment d'ailleurs, Lionel Jospin n'a cherché à minimiser ou à empêcher cette manifestation. Il y a un certain nombre de forces politiques qui étaient hier dans la manifestation qui sont aujourd'hui au gouvernement ; d'autres qui préfèrent concentrer toute leur énergie dans le gouvernement, c'est le cas du Parti socialiste. C'est ce qui fait la force de la gauche aujourd'hui, une gauche plurielle dont les différentes composantes se respectent les unes, les autres, à la fois dans leur façon de voir les choses et dans leur façon de les exprimer.

RTL : Tout de même, au fur et mesure que les mois vont passer, Lionel Jospin ne risque-t-il pas de se retrouver confronté à une situation qui l'amène à parler à gauche et à mener une politique qui, au contraire, respecte les exigences de la mondialisation ?

Ségolène Royal : Gouverner n'est pas facile, surtout lorsqu'en face, on a parfois des crocs-en-jambe, et même de la part du président de la République…

RTL : Des crocs-en-jambe du président de la République ? Il est bien seul, pourtant, non ?

Ségolène Royal : Il a la liberté de s'exprimer, mais il ne facilite pas la tâche du gouvernement, c'est le moins qu'on puisse dire. Prenons l'exemple des 35 heures, qui seront votées cette semaine par toute la gauche plurielle. C'est une des réformes les plus fondamentales que la société française doit aborder, actuellement et pour les prochaines années. On aurait pu penser que certains esprits éclairés à droite soutiennent aussi ce mouvement.

RTL : Ils trouvent que c'est très mauvais.

Ségolène Royal : C'est extrêmement grave, parce que les 35 heures constituent à la fois une chance pour la société française, une des conditions aussi de la société de plein-emploi. Il s'agit de s'organiser autrement, de voir la vie autrement. Il s'agit aussi de maîtriser ce qui est en train de se passer, y compris dans la mondialisation qui ne voit pas que le progrès technologique remplace déjà aujourd'hui un certain nombre d'emplois. Cette diminution du temps de travail est donc une chance formidable à saisir parce que, lorsque le temps sera libéré, lorsqu'il faudra aussi de la culture, de l'éducation, s'occuper de sa famille, il y aura là aussi des potentialités de nouveaux emplois dans des secteurs qui vont émerger. Toute une société devrait donc jeter toutes ses forces dans la bataille pour maîtriser la diminution du temps de travail.

RTL : Ça n'est pas le cas. Les lycéens à présent : ils manifestent demain à Paris. Ils réclament un maximum de 25 élèves par classe. C'est un objectif qu'il est possible d'atteindre ?

Ségolène Royal : Tous les lycéens ne réclament pas cela parce qu'ils sont aussi réalistes et qu'ils voient que les lycées fonctionnent bien. Il y a, dans la prise de parole lycéenne, une revendication qualitative qui est écoutée, à laquelle nous répondons, puisque la plupart des problèmes sont aujourd'hui réglés, notamment par rapport au nombre d'enseignants au moment de la rentrée, ce qui est normal quand 12,5 millions d'élèves font leur rentrée, contre 1,2 million d'enseignants.

RTL : Que répondez-vous à Claude Allègre qui dit que, s'il y a tellement d'absences, c'est à cause du mythe du bébé de l'an 2000 ? Il y aurait plus d'enseignantes enceintes que d'habitude, cette année. Vous ne lui dites pas de se calmer ? Vous êtes une femme quand même !

Ségolène Royal : Mais il y a une part de vérité dans ce qui est dit. Martine Aubry a mobilisé les maternités pour le tournant de l'an 2000. Vous voyez donc qu'il y a une part de réalité. À la limite, tant mieux. C'est aussi le signe que les femmes sont optimistes à l'approche du siècle prochain. Mais pour en revenir aux lycées, plus sérieusement, il y a une demande de parole, un désir d'être reconnu. Là aussi, le gouvernement respecte cette forme d'expression collective. Il faut que la démocratisation du fonctionnement des lycées aille plus vite, que les lycéens puissent prendre la parole de façon concertée, de façon écoutée. Ce que je leur conseille plutôt, c'est de mobiliser leur énergie dans les lycées, dans les assemblées générales, dans « les heures de vie de classe », dans les espaces qui leur sont données aujourd'hui pour prendre la parole, sur les chartes des droits et devoirs dans les lycées, par exemple, sur la façon dont il faut mettre en oeuvre les heures de soutien individualisé. En deux ans, dans les collèges et les lycées, c'est-à-dire dans l'enseignement secondaire, le gouvernement a mis 25 000 adultes en plus, entre les aides-éducateurs, les personnels médico-sociaux, les répétiteurs étrangers de langue, les personnels administratifs, les enseignants aussi, dans les matières déficitaires. 25 000 adultes supplémentaires dans le second degré, jamais l'effort n'a été aussi considérable dans le système scolaire.

RTL : À la demande de plusieurs associations, dont la Croix-Rouge, vendredi et samedi prochain vont être des journées décrétées sans violence. En tous cas, on va alerter l'opinion pour lutter contre la violence. Vous-même, vous voulez que l'école soit associée à ces journées, mais de quelle façon concrètement ?

Ségolène Royal : Concrètement, c'est la semaine des initiatives citoyennes. En matière de violences scolaires, il n'y a pas de fatalité. Tout se tient. On vient d'en parler. La qualité des apprentissages, le sens de l'effort scolaire qui est demandé aux élèves, le bien-fondé des règles, la fermeté dans leur application, la réciprocité du respect. Donc, partout il doit y avoir des prises de parole.

RTL : Est-ce que cela ne va pas qu'être des mots, sur deux journées, et puis l'on oubliera ?

Ségolène Royal : Je ne crois pas parce que tout s'appuie aussi sur toute une série de mesures concrètes. D'abord, et c'est la première fois que cela se faisait, les chefs d'établissement ont reçu un guide qui récapitule clairement, pour chaque infraction, les mesures éducatives et les sanctions qui s'appliquent. Ensuite, l'éducation civique est désormais au programme tout au long de la scolarité. Je l'ai rétablie. Dans le brevet des collèges, il y a désormais une épreuve d'éducation civique. « L'heure de vie de classe » qui permet aussi le dialogue sur la discipline au sein des établissements scolaires, la participation de l'éducation nationale aux contrats locaux de sécurité aux abords des établissement scolaires, là où souvent naissent les problèmes de violence. Enfin, la mise en place de dispositifs très concrets : 250 classes-relais ont été créées, ce qui permet de retirer des classes les élèves les plus perturbateurs, ou bien ceux qui ont complètement décrochés, et la division des gros collèges. Je considère qu'au-dessus de sept-cents, un chef d'établissement ne peut pas connaître individuellement les élèves et donc ne peut pas exercer sur eux une autorité bienveillante et efficace. Le gouvernement a donc décidé de diviser par deux les gros collèges, ceux de plus de mille élèves. Il y a donc toute une série de mesures complètes. La concentration des moyens sur les zones d'éducation prioritaires fait partie aussi de la reconquête d'une sérénité scolaire. Enfin, il y aura, dans ce nouveau budget, plus de mille emplois de personnels administratifs qui jouent un rôle considérable dans les établissements scolaires par leur présence, d'infirmières, d'assistantes sociales. Il y a donc aussi tout ce travail de prévention et de lutte contre les conduites à risques ou les problèmes individuels que peuvent rencontrer les élèves et qui parfois sont source de violence.