Texte intégral
Le Figaro : L’intervention du chef de l’État dans la campagne officielle vous semble-t-elle de nature à porter des fruits ?
Charles Millon : C’est en appelant les Français à avoir confiance que Jacques Chirac s’est adressé à eux et a fixé les enjeux des prochaines élections législatives. Toute sa démarche est marquée par cette volonté farouche de convaincre la France de se détourner de ses sempiternelles nostalgies, de ses combats d’arrière-garde et de ses conservatismes frileux. Maintenant que le socle du redressement a été posé et que l’ardoise laissée par les socialistes a été en partie soldée grâce aux efforts des Français, il faut aller plus loin dans les réformes. La France ne peut attendre, les Français en expriment le souhait ; le président de la République nous en montre la voie.
Le Figaro : La campagne électorale parvient à sa mi-temps. Quelle appréciation portez-vous sur sa première phase ?
Charles Millon : Dans ma circonscription de Belley, ou lors de la trentaine de déplacements de soutien que j’ai déjà faits sur le terrain, je rencontre le plus souvent des citoyens attentifs, passionnés par le débat politique, et qui attendent qu’on leur parle avec cœur et simplicité. Vue de Paris, la campagne semble parfois plus difficile à saisir. Sur le terrain, les choses sont différentes : chaque candidat fait un travail d’explication, de bilan, de proposition, au contact direct des citoyens.
Je pense que l’on commet une erreur en focalisant trop l’attention sur la campagne nationale : cette élection donnera lieu à cinq cent soixante-dix-sept combats locaux. Ne l’oublions pas !
Quant aux thèmes de campagne, ils sont sensiblement différents de ceux des campagnes précédentes. C’est une campagne faite plus de raison que de passion : le thème de la réforme y est au cœur.
Le Figaro : Cette tournure ne semble pas vous déplaire. Pour vous, le nouvel « élan », est-ce que ce doit être, prioritairement, l’esprit de réforme ?
Charles Millon : Nous ne réformons pas pour le plaisir, mais parce que la réforme est la voie indispensable pour notre pays à l’approche du XXIe siècle. Les Français ont très bien pris la mesure de l’énorme effort de redressement qui était devant nous en 1993 et en 1995. Ils n’ignorent rien du poids de la dette, de la situation préoccupante de certaines entreprises publiques – le Crédit lyonnais, le GAN, etc.
Même s’ils avaient espéré, au lendemain de l’élection présidentielle, que les fruits de la réforme et de leurs efforts seraient cueillis plus vite, ils mesurent bien aujourd’hui le chemin parcouru pour redresser les finances publiques et restaurer l’autorité de l’État.
Le gouvernement a montré notamment qu’il n’était pas disposé à la moindre concession quand il s’agit de l’unité de la République (comme en Corse) ou de la paix civile (avec le plan « Vigipirate »). Et, en choisissant comme première grande réforme de son septennat celle de la défense, le président de la République a affirmé le rôle primordial de l’État : la protection des citoyens contre les menaces extérieures et les risques de déstabilisation intérieure.
Derrière Jacques Chirac, une nouvelle étape doit s’ouvrir. Il ne s’agit pas de changer de cap, mais de rythme. La majorité présidentielle veut demain s’appuyer sur les réformes de fond déjà engagées pour pérenniser le redressement actuel de la France et lui donner un nouvel élan. Cela exigera des changements d’habitudes, remettre en question des privilèges et imposera des arbitrages entre intérêt général et intérêts particuliers. Il faudra donc du temps pour accompagner cette transformation : c’est le sens de cette dissolution et de la consultation du peuple.
Le Figaro : À la nouvelle majorité parlementaire conviendra-t-il de donner une nouvelle structure, plus unitaire ?
Charles Millon : La force de la Ve République est de pouvoir, au moment des échéances capitales, réorganiser la vie politique autour du projet présidentiel. Au terme de la campagne, il y aura une parfaite harmonie entre majorité parlementaire et majorité présidentielle. Faut-il de nouvelles structures pour l’exprimer ? Ce sera aux responsables politiques d’en décider. La création d’un intergroupe parlementaire de la majorité à l’Assemblée nationale serait, par exemple, une très bonne démarche.
Le Figaro : Quelles réformes estimez-vous prioritaires ?
Charles Millon : Trois essentiellement :
C’est, tout d’abord, la création de richesses et d’emplois par le développement des initiatives et des investissements, ce qui exige une politique d’abaissement des charges fiscales et sociales et un renforcement de l’économie sociale de marché.
C’est, ensuite, le développement d’une politique de proximité qui, par la diffusion des responsabilités, implique, sur le plan politique, une nouvelle vague de décentralisation et, sur le plan économique, un effort résolut en faveur des PME.
C’est enfin, la poursuite active de la construction européenne : car, tout le monde le sait, il n’y aura pas de grand destin pour la France sans l’émergence d’une Europe puissante.
Dans ces trois domaines essentiels pour l’avenir du pays, la majorité doit faire preuve d’audace.
Le Figaro : Vous venez d’évoquer la diffusion des responsabilités…
Charles Millon : Oui ! Il faut rapprocher la décision publique au plus près de celui qui la prend et de celui qui la vit. Il faut renforcer les compétences des collectivités locales, et, parallèlement, recentrer l’État sur ses missions essentielles.
Le Figaro : S’agissant de la réforme de la défense, comment appréciez-vous les prises de position du PS ?
Charles Millon : Comment vous répondre, quand je constate avec effarement que, dans le programme socialiste, ne figurent pas la moindre ligne, pas le moindre mot, sur la professionnalisation de l’armée, la suppression du service militaire, la position de la France par rapport à l’OTAN, l’avenir des industries d’armement dont nous avons engagé le redressement, car elles perdaient des dizaines de milliards de francs, à la charge du contribuable ? Je le rappelle incidemment à Lionel Jospin, qui semble tout ignorer de ce dossier.
De deux choses l’une : ou bien les socialistes restent fidèles à leurs votes contre la loi de programmation militaire et contre la réforme du service national – la communauté de défense et les jeunes apprécieront –, ou bien ils reviennent sur ces votes et s’alignent sur les positions de la majorité. Mais alors où est la cohérence de leur pensée, et qu’en est-il de la solidité de leur raisonnement s’ils ne résistent pas au premier souffle électoral venu ? Quand on prétend être un parti de gouvernement, il faut choisir.
Le Figaro : L’apôtre de la décentralisation que vous êtes se satisfait-il de la superposition des communes, cantons, départements et régions ?
Charles Millon : Compte tenu, tout à la fois, de l’espace européen et du progrès technique, la collectivité de référence et la dimension pertinente, sous l’angle de l’organisation, de la formation des hommes, de l’approche économique, sont la région. C’est elle qui permet les expérimentations et les innovations, en grandeur réelle. Un exemple : en Rhône-Alpes, nous avons lancé depuis deux ans un plan d’accès à la première expérience professionnelle des jeunes qui a permis d’enregistrer une baisse sensible du chômage des jeunes.
Le Figaro : Est-ce là une forte préoccupation des électeurs ?
Charles Millon : L’un des thèmes de cette campagne électorale est de retrouver l’esprit de conquête, la confiance dans nos capacités nationales au sein d’une Europe forte. Nos concitoyens ont à choisir entre une France repliée sur elle-même, enfermée dans ses petites habitudes, et une France terre de liberté, d’innovation, d’ouverture au monde. Cette France-là est assurément plus exigeante, mais dix fois plus enthousiasmante. Et les régions peuvent, et doivent devenir les lieux privilégiés pour faire valoir cet esprit de conquête.
On ne parviendra pas à réduire les dépenses publiques sans la diffusion de la responsabilité, sans la capacité donnée à chacun d’innover. C’est pourquoi l’État et les partenaires sociaux doivent se mettre d’accord pour que toute entreprise créant des emplois soit exonérée partiellement, voire totalement, des cotisations d’assurance chômage. Notre pays doit avoir pour ambition de « reconnaître » ceux qui entreprennent, ceux qui prennent des risques. Esprit de conquête à l’extérieur, prise de risque à l’intérieur : la France doit retrouver un nouveau souffle, comme nous y invite le président de la République.
Le Figaro : Esprit de conquête, mais dans un cadre européen ?
Charles Millon : L’un des atouts de l’Europe – et c’est l’autre grande réforme à mettre en œuvre – est d’organiser l’émulation entre les nations et non leur dissolution. L’Europe sera d’autant plus forte qu’elle respectera l’identité des nations. C’est là tout le sens de la démarche fédérale de la construction européenne.
Le Figaro : Diriez-vous que, quand la majorité veut, elle peut ?
Charles Millon : La majorité a tout pour donner une ambition à nos concitoyens. Elle a repris les fondations de la maison France. Elle les a consolidées. Elle a démontré que la France est capable de porter des valeurs qui font la richesse de notre histoire. Elle a une carte majeure à jouer, en Europe et dans le monde. Elle propose aux Français de se dépasser.