Déclaration de Mme Catherine Trautmann, ministre de la culture et de la communication et porte-parole du gouvernement, sur l'action des "Justes" pour sauver des vies durant la deuxième guerre mondiale, Thonon-les-Bains le 2 novembre 1997.

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Circonstance : Inauguration le 2 novembre 1997 du Mémorial de la Clairière des Justes, à Thonon-les-Bains

Texte intégral

« Ils marchaient obscurs dans la nuit solitaire »
Ce vers de Virgile vous est dédié de toute éternité à vous qui avez fait irruption silencieuse dans la vie publique. Vous n'attendiez aucune reconnaissance de quiconque et vous ne vous êtes jamais considéré comme des héros. Et beaucoup parmi vous je le sais éprouvent gêne et pudeur dans cet instant de commémoration. Comme si cette façon trop visible, trop bruyante de souligner vos actes quelque part portait atteinte à leur vérité. Sans doute est-ce pour cela qu'il est écrit dans le Talmud « on n'élève pas de monument à la mémoire des justes car l'oeuvre de leurs mains tel est leur monument véritable ».

Ne retenez donc que cette Clairière, « cette irruption de lumière dans l'ombre des taillis ». Souvenons-nous c'était il y a 50 ans, et la nature déjà était si belle et silencieuse, plus belle encore face à l'horreur de ces sombres temps. - Juste - Jamais terme ne fut plus juste que celui-ci pour désigner ces étincelles, ces sources de clarté que vous fûtes - justes cachés, de la tradition, grâce auxquels le monde tient sur ses assises. Ailleurs une autre scène : un homme répond de ses actes et le Premier Ministre Monsieur Lionel Jospin a raison de dire : « ce procès est juste ». L'époque fut douloureuse, elle fut contrastée et nous devons être capable d'assumer lucidement notre passé. Cette trace faite d'actes de courage - vous en êtes les artisans - d'actes barbares que la conscience et l'humanité réprouvent mais surtout d'actes de lâcheté plus ou moins grands. Le Premier Ministre a appelé au rassemblement des français, non au prix de l'oubli mais sur des valeurs. Non, la balance n'est pas égale entre vous et tous les autres, meurtriers, collaborateurs (ils ne furent pas les plus nombreux) ou simplement majorité silencieuse attendant d'être emporté par le vent de la victoire quel que soit le vainqueur. C'est sous votre bannière que nous voulons fêter la République. La France qui est la nôtre elle a votre visage, elle a vos mains : celles qui se tendaient vers l'exilé et le paria, pour lui offrir secours et assistance.

L'acte d'un juste a toujours à voir avec la vie. Et notre vie est psychique autant que physique. Obéissant à l'appel intérieur qui vous commandait de dire « non » vous sauviez des vies humaines et vous sauviez la vie même. A ceux que vous cachiez, à ceux que vous faisiez passer en Suisse, à ceux que vous sauviez vous avez offert infiniment plus que votre acte. Vous avez donné un visage ami et l'humanité soudain renaissait. A celui, à celle, qui ne pouvait plus répondre à la question « qui es-tu » que par ces mots « je suis un juif, je suis un communiste, un résistant » vous permettiez de répondre à nouveau « je suis un homme ». Vous redonniez figure à l'espoir et à la communauté humaine.

Non tout ne se vaut pas et W. Benjamin qui n'eut pas la chance d'une main secourable lorsqu'il se suicida à la frontière espagnole avait raison de dire « que les choses continuent simplement ainsi voilà la catastrophe ». Un pouvoir politique s'affirme avant tout dans le choix de ses valeurs et en assumant des actes - tels l'ouverture des archives - en accord avec ses valeurs. Il ne s'agit pas de raviver de vieilles querelles, mais simplement d'affirmer qu'à ne pas s'interroger sur leur passé, les sociétés sont condamnées à le revivre.

La devise de la République, la devise de la France est celle de « Liberté Egalité Fraternité ». Cette dernière couronne les deux autres. Qui mieux que vous en serait le porteur, vous qui illustrez l'idéal des lumières.

L'ouverture à l'autre, la tolérance prenne tout leur sens dans l'engagement. Il n'est d'humanité que de courage. Toujours il nous faut répondre à cette injonction : « là où il n'y a pas d'homme, il t'appartient d'être un homme ».