Texte intégral
Date : vendredi 23 mai 1997
Source : France Inter
R. : Cela n'est pas un bon système, ce n'est pas le bon régime (la cohabitation, ndlr), ce n'est pas la situation idéale, voilà) ce que nous avons dit. C'est particulièrement vrai cette fois-ci, je crois, sur un certain nombre de sujets. Je pense en particulier à l'Europe. Quand on voit les positions qui ont été prises, récemment encore, avant-hier, par des alliés incontournables du PS – je dis incontournables parce qu'ils ne peuvent pas avoir la majorité sans eux – les communistes, mais aussi M. Chevènement, Mme Voynet, on se rend bien compte que ça ne peut pas fonctionner, parce qu'il y a une telle divergence sur l’idée de savoir s’il faut faire ou pas la monnaie unique qu'il y aura blocage.
France Info – 23 mai 1997
Q. : On a beaucoup parlé de cohabitation ces jours-ci. Pourquoi serait-elle inéluctable lorsqu'il y a un Président de gauche et que la droite remporte ou peut remporter les législatives, et néfaste quand il y a un Président de droite ?
R. : Je ne comprends pas bien l'adjectif « inéluctable. »
Q. : C'est un terme employé en d'autres temps.
R. : Dans l'un et l'autre cas, elle est conforme à la Constitution. Personne ne le conteste, bien entendu. Mais dans l'un et l'autre cas, ça n'est pas un bon système. Nous sommes dans un régime à la fois présidentielle et parlementaire et la meilleure façon de défendre les intérêts de la France dans le monde, en Europe, ou de faire fonctionner les pouvoirs publics à l'intérieur même du pays c'est, évidemment – c'est le bon sens –, qu’entre le Président de la République, le Gouvernement et la majorité, on partage les mêmes idées, qu'on soit en harmonie, qu'on tire dans le même sens. Bien sûr, on arrive à s'en tirer parce que nous sommes dans une démocratie civilisée et policée, mais ça n’est pas le bon régime, ça n'est pas le bon système, si je puis dire. Ce n’est pas la situation idéale. Voilà ce que nous avons dit et c'est particulièrement vrai cette fois-ci, je crois, sur un certain nombre de sujets. Je pense en particulier à l'Europe. Quand on voit les positions qui ont été prises, récemment encore – avant-hier – par des alliés incontournables du Parti socialiste, je dis « incontournables » parce qu'ils ne peuvent pas avoir la majorité sans eux – les communistes, mais aussi M. Chevènement, Mme Voynet – on se rend bien compte que cela ne peut pas fonctionner parce qu'il y a une telle divergence sur l'idée de savoir s'il faut faire ou non la monnaie unique qu'il y aura blocage.
Q. : Vous avez été ministre des affaires étrangères de F. Mitterrand dans le gouvernement d'E. Balladur. Est-ce qu'à cette époque vous avez le souvenir d'un handicap pour la France dans des sommets européens que le Président et le Premier ministre ne soient pas du même bord politique ?
R. : Oui, Bien sûr. Je pourrais en citer plusieurs. Un seul exemple : le choix du siège de la banque centrale européenne. Nous souhaitions que ce soit en France, ça a été finalement à Francfort parce qu'il y a eu, à ce moment-là, du fait de la cohabitation, une moindre combativité, une moindre pugnacité de la France sur un sujet comme celui-là. Voilà un exemple, on pourrait en citer d'autres.
Q. : Vous sentez néanmoins que les Français, eux, aiment plutôt la cohabitation ?
R. : Je n'en suis pas si sûr. Je me demande si ça n'est pas la classe politique qui aime la cohabitation et les observateurs politiques, parce que ça met du piment – si je puis dire – dans la vie politique. Je crois que l'immense majorité des Français se rend bien compte que si on veut être efficace, il vaut mieux que l’on soit d'accord sur l'essentiel. C'est la logique – je le répète une fois de plus – de notre régime, de nos institutions.
Q. : Mais peut-on user beaucoup d’un argument institutionnel pour repousser la perspective d’une alternance politique ?
R. : Puis-je vous faire remarquer que je n'en ai pas dit un mot, c'est vous qui m'en parlez depuis le début de cette émission.
Q. : D'accord, mais elle est dans le débat depuis quelques jours.
R. : Peut-être, mais moi, je souhaiterais qu'on dise aux Français : voilà quel est le choix qui s'offre à vous. Voilà ce qui se passerait probablement avec le Parti socialiste et le Parti communiste d'un côté, et voilà ce que nous vous proposons, nous. C'est ce que nous avons fait pendant toute cette campagne. Je peux vous dire que dans nos réunions, nous avons parlé pour 1 % de la cohabitation et pour 99 % du choc des programmes, si je puis dire. Prenons l'exemple de l'emploi : j'ai la conviction que les deux seules mesures concrètes mises en avant par le Parti socialiste, c'est-à-dire le recrutement de 700 000 emplois publics – moitié de fonctionnaires, moitié d'emplois subventionnés – induira forcément une augmentation des impôts et donc pénalisera les emplois du secteur productif. L'autre proposition du Parti socialiste, c'est-à-dire les 35 heures avec augmentation de salaire, contraindra des petites et moyennes entreprises à déposer le bilan et à licencier. Face à cela, quelles sont nos propositions ? D'abord la baisse des impôts et des charges pour relancer la croissance. Ensuite un statut de la toute petite entreprise, parce que c'est là qu'est le principal gisement d'emplois. Ensuite la formation des jeunes : nous souhaitons que 400 000 jeunes entrent en alternance parce que c'est un formidable passeport pour l'emploi. En quatrième lieu, un aménagement intelligent du temps de travail, non pas imposé d'en haut mais négocié entreprise par entreprise, et enfin, ce que nous appelons les emplois de proximité. Si nous restons la majorité, au 1er juillet 1997, nous allons avoir la prestation autonomie pour les personnes âgées, qui concernera 300 000 de nos aînés et qui peut créer 50 000 emplois. Voilà une stratégie globale pour l'emploi et c'est entre ça qu’il faut choisir.
Q. : Cette baisse des impôts sera celle que vous avez annoncée, sur cinq ans, mais il n'y en aura pas de nouvelle ?
R. : Si, bien sûr. Nous avons très précisément, parce que notre programme a été très concret, très précis, défini les cinq thèmes – ou les cinq axes – de baisse des impôts. D'abord l’impôt sur le revenu : nous avons fait voter un nouveau barème qui représente une baisse d'environ un quart en cinq ans, et celui-là, effectivement, sera appliqué, sauf si nous perdons. Parce que à ce moment-là les socialistes ont annoncé qu’ils arrêteraient cette baisse. Deuxième axe de baisse : les charges sociales patronales dans les entreprises de main-d'œuvre, on l'a fait pour le textile, ça a très bien marché. Nous nous proposons de le faire pour d'autres secteurs, par exemple l'industrie agro-alimentaire, le bâtiment ou l'hôtellerie. Troisième axe : la baisse des charges sociales salariales, cette fois-ci. Assurance-maladie sur la feuille de paye, de façon à dégager un plus de pouvoir d'achat. Quatrième axe : la fiscalité de la création d'entreprise et de la transmission d'entreprise, qu'il faut alléger. Et enfin, la fiscalité locale qu'il faut réformer. Voilà un plan de cinq ans qui demandera beaucoup d'efforts, et surtout une gestion sérieuse du budget de l'État parce que moi, je ne suis pas un marchand d’illusions. Quand nous promettons des baisses d'impôts, nous nous engageons aussi à gérer sérieusement les dépenses. »
Q. : Puisque le sujet de Matignon n'a pas été tabou dans la majorité, pendant cette campagne, avez-vous perçu simplement des ambitions légitimes autour de vous ou plus, c'est-à-dire une danse du scalp qui commençait autour de Matignon ? Comment l'avez-vous vécu ?
R. : En matière de scalp, je ne suis pas menacé de grand-chose. Il est normal que des ambitions se manifestent. C'est ça la politique. Il y en a à gauche, je suppose que M. Jospin a des compétiteurs qui ne s'expriment peut-être pas publiquement mais qui, dans le silence de leur cœur, doivent être aussi candidats, et puis il y en a à droite. Mais tout ceci est un jeu purement politicien. Je le répète : seul le Président de la République, au vu de ce que sera le résultat de l'élection, en son âme et conscience, choisira un Premier ministre qui ensuite constituera un gouvernement et se présentera à la confiance de la majorité parlementaire. C'est comme ça que ça se passe.
Q. : Quand tout cela a débattu publiquement dans la majorité, vous en avez parlé avec le Président ?
R. : Non. Moi, j'ai dit au Président : moi, je suis le chef de la majorité jusqu'au 1er juin ; jusqu'à la fin des élections et j'assume, naturellement, cette fonction, parce que depuis quatre ans j'ai essayé de servir mon pays, d'abord comme ministre des affaires étrangères – vous l'avez rappelé – ensuite comme Premier ministre, j'ai fait le maximum de ce que je croyais devoir faire. Je suis en situation de mener le combat pour les élections, et personne ne le conteste, et puis après une nouvelle page s'ouvrira et s’écrira.
Q. : Serait-il concevable pour nos partenaires européens que quelqu'un qui ait voté non au référendum de Maastricht puisse diriger, un jour, le Gouvernement de la France ?
R. : S'il a changé d'avis entre temps, pourquoi pas ? Voilà aussi un rendez-vous important Vous savez qu'aujourd'hui les chefs d'État et de gouvernement sont réunis aujourd'hui aux Pays-Bas qu'une nouvelle réunion est prévue le mois prochain. Je voudrais dire à nouveau combien est important cet enjeu européen en rappelant d'abord que l'Europe nous a beaucoup apporté. Depuis trente ou quarante ans, elle nous a apporté la paix. Et regardez ce qui se passe sur notre continent. Là où il n'y a pas l'Europe, là où il n'y a pas l'Union européenne, il y a la guerre – les Balkans, la Bosnie, l'Albanie qui n'est pas en guerre mais enfin presque en guerre civile. Donc l'Europe c'est d'abord la paix. Voilà pourquoi il faut la conforter. Ça a été aussi la croissance et la prospérité pendant des années. Elle est très imparfaite cette Europe, c'est vrai. Elle n’est pas assez démocratique. Elle n'est pas élargie aux nouvelles démocraties qui ont vocation à y entrer. Elle n'est pas assez sociale, elle n'est pas assez humaine dirai-je même. Il faut donc la changer, la réformer. Et pour cela, nous avons des projets très précis. Je n'ai pas le temps, ici, de les exposer mais le Président de la République a clairement défini sa ligne. Et c'est pour ça aussi qu'il a fait la dissolution, pour pouvoir être soutenu par le peuple français, pour que les Français lui expriment leur adhésion et qu’avec un gouvernement et une majorité qui partagent cette vision de l'Europe, nous puissions aller de l'avant, pour le bien des Français, pour plus de prospérité, pour plus de croissance. Je crois, vraiment du fond du cœur, que l'euro, s'il est bien utilisé, sera un instrument de croissance qui nous permettra de dire à tous les pays qui utilisent le dollar : « Nous aussi nous sommes forts, nous aussi nous avons une monnaie forte. »
Q. : Au terme de ces deux années passées à Matignon, de quoi voudriez-vous, en cette fin de campagne, que les Français se souviennent, dans votre action ?
R. : Je crois que nous avons beaucoup travaillé, alors j'ai un peu de mal à choisir. Je crois que nous avons d'abord en grande partie soldé l'ardoise qui nous avait été laissée en 1993, et cela je crois que les Français ne l'ont pas oublié. Ils savent bien les déficits, les dettes, les désastres financiers dans les entreprises publiques. Nous avons vraiment beaucoup travaillé et beaucoup avancé. Et puis nous avons aussi engagé des grandes : réformes. Nous avons sauvé, je crois, l'assurance-maladie et la médecine libérale à la française. Nous avons fait des réformes dans le domaine du logement. Je vais prendre un exemple concret : je crois que la jeune famille que j'ai rencontrée il y a huit jours, à Moulins, qui a été la 200 000e famille bénéficiaire du prêt à taux zéro, et qui, grâce au prêt à taux zéro a pu devenir propriétaire de sa maison, alors qu'il s'agissait vraiment de Français modestes – lui était fonctionnaire, elle était aide-ménagère, je crois, avec un jeune enfant – eh bien voilà quelque chose qui me fait chaud au cœur. Je me suis dit : là, on a fait quelque chose d'utile, et on a permis à des Français, à 200 000 familles, c'est-à-dire 400 ou 500 000 personnes – peut être un peu plus – d'accéder à la propriété.
Q. : Mais à propos de la sécurité sociale, qui a été un peu la grande œuvre d'il y a un an, les dépenses d’assurance-maladie ont recommencé à croître, et F. Léotard a suggéré, hier, faudrait remettre l'ouvrage sur le métier, qu'il y aurait sans doute une autre réforme ?
R. : Non, ce n'est pas tout à fait ce que j'ai compris dans l'expression de F. Léotard. Je voudrais d'abord dire que nous avons diminué le déficit de l'assurance-maladie par deux ; que l'augmentation des dépenses au premier trimestre 1997 a été étal par rapport au trimestre correspondant de 1996. Il n'y a pas de dérapage. Le mois de mars a été un peu moins bon que janvier et février…
Q. : ... 0,6 % en mars...
R. : ... Et quand on calcule sur trois mois, nous sommes parfaitement dans l'objectif. Alors, évidemment, j'ai dit moi-même – et F. Léotard a eu raison de le dire – que cette réforme n'était pas gravée dans le marbre et qu'elle pourrait être améliorée sur un certain nombre de points. Nous avons toute une série de rendez-vous dans les mois et les années qui viennent où nous pourrons l'améliorer mais si on n'en garde pas la philosophie générale qui est une philosophie de responsabilité, de respect de la médecine libérale, de non baisse des remboursements et de non hausse des cotisations, mais vraiment un appel à la responsabilité de chacun – des médecins pour les prescriptions, des patients avec le carnet de santé – si jamais on s'écartait de cette voix, je crains fort que la seule solution, ce soit la médecine fonctionnarisée à la britannique, soit l’assurance privée à l'américaine, et de cela nous ne voulons pas.
Q. : Un mois de campagne n'a pas fait bouger l'électorat en profondeur, ni dans un sens ni dans un autre. À quoi attribuez-vous ce surplace apparemment ?
R. : Je crois surtout qu'il y a une très grande stabilité du corps électoral français. II y a traditionnellement dans notre pays des hommes et des femmes qui ont leurs idées d'un côté ou de l'autre, et puis une grande masse d’indécis qui écoutent les programmes. Je pense qu'ils ont encore 48 heures pour finir de se décider. Voilà pourquoi nous parlons jusqu'au bout.
Q. : Alors puisque vous voulez renforcer assez vite la loi sur le cumul des mandats, peut-on dire quel que soit le résultat des élections qu'à la fin de l'année vous ne serez plus à la fois maire de Bordeaux et Premier ministre ?
R. : Si la loi est votée, si elle est applicable, on peut dire cela oui.
Q. : Et s'il y avait un choix qui n'appartenait qu'à vous ?
R. : J'ai déjà dit ce qu'il était.
Q. : La « tentation de Bordeaux » ?
R. : C'est plus qu'une tentation. Je suis très attaché à cette ville et à ce que j'y fais.
Q. : Dans l’entre-deux tours, vous accepterez un débat télévisé face à L. Jospin ?
R. : Écoutez ma position est la même qu'avant le premier tour. Ce qui est nécessaire, c'est de débattre projet contre-projet, si je puis dire, majorité possible contre majorité possible. Or quelle est la seule majorité possible à gauche, c'est une majorité PS + PC, et de notre côté RPR + UDF. Donc je crois que le vrai débat., celui dont les Français j’en suis sûr seraient curieux, c'est un débat Jospin-Hue/Léotard-Juppé, et ça j'y suis prêt à tout moment.
Q. : Donc vous voulez toujours R. Hue sur la photo ?
R. : Écoutez, je ne vois pas comment ça pourrait marcher autrement parce que je ne vois aucune hypothèse dans laquelle le Parti socialiste pourrait se passer du Parti communiste pour exercer le pouvoir. Il faut que les Français le sachent et que les choses soient claires. On ne peut pas raconter des histoires avant les élections et puis faire autre chose après.
Q. : Mais L. Jospin a rendu récemment hommage à votre ténacité. Qu'est-ce que l'homme Jospin vous inspire personnellement ?
R. : Écoutez, j'ai déjà eu l'occasion de dire que je ne souhaitais pas, dans cette campagne, porter des jugements de personnes. J'ai été beaucoup attaquée dans ma personne, très bien. M. Jospin a des qualités et des défauts comme vous, comme moi, donc je m'efforce de juger son projet et je trouve que son projet n'est pas bon. Je trouve que depuis deux ou trois semaines il n'a cessé d'être édulcoré, et sur bien des sujets, c'est le flou artistique – et quand je dis artistique, je suis gentil – le plus complet. Je l'ai dit sur l'Europe, on pourrait le dire sur l'assurance-maladie, on pourrait le dire sur l'immigration parce qu'au-delà de la suppression des lois Pasqua-Debré, on ne voit pas très bien ce qui se passerait. Donc ce programme est inquiétant et serait une sorte de saut dans l'aventure.
Q. : M le Premier ministre, le président déchu du Zaïre erre de capitale en capitale sur le continent africain. Aux dernières nouvelles, le maréchal Mobutu est au Maroc. La France continuera-t-elle de l'accueillir sur la Côte d’Azur ?
R. : La France n'a reçu aucune demande d'accueil du maréchal Mobutu et ce qui me paraît beaucoup plus important que le sort du maréchal Mobutu, c'est le sort du Zaïre. Le régime du maréchal Mobutu était non démocratique, c'est le moins qu'on puisse dire. Je ne souhaite pas que s'y substitue un régime également non démocratique. Et donc il faut une transition vers la démocratie, avec des élections. Et il faut aussi que toute la lumière soit faite sur ce qui se passe à l’Est du Zaïre. La France n'a cessé depuis deux ou trois mois, sur le rapport de l'ONU, de la Commission européenne, des organisations humanitaires, de dire : il faut aller aider ces centaines de milliers d'hommes, de femmes, d'enfants, parfois de bébés, qui sont réduits à l'errance. Nous n'avons pas été écoutés. Moi, je suis fier que le Président de la République française et notre pays aient été un des très rares à porter la parole, à donner un message, même si nous n'avons pas été, hélas, entendus.
Q. : Et si jamais l'ex-président fait une demande d'accueil pour revenir en France, quelle sera la réponse de la France ?
R. : Eh bien nous l'examinerons.
Date : vendredi 23 mai 1997
Source : France Inter
Q. : Voilà, les cartes sont sur la table avant le premier tour, reste l'essentiel, le vote. Que craigniez-vous le plus, une forte abstention, une dispersion sur les petites listes ou l'attirance des charmes pervers de la cohabitation ?
R. : La dispersion est acquise, on le voit bien par le nombre de candidats dans la plupart des circonscriptions et c'est une des raisons pour lesquelles, je pense, le premier tour sera difficile. Difficile à interpréter et sans ligne directrice forte. Et donc, il faut d'ores et déjà se préparer à se mobiliser entre les deux tours.
Q. : Vous ne semblez pas, vous, redouter l'abstention. Or les observateurs, les sondeurs craignent qu'elle ne soit plus forte que d'habitude. On ne peut pas prévoir le seuil mais quel est le chiffre qui vous alerterait, que vous considéreriez un tout petit peu comme un chiffre-sanction, pas seulement pour vous mais aussi pour l'ensemble de la classe politique ?
R. : Je ne peux pas donner de chiffre et je ne sais pas, à l'heure actuelle, sur quoi l’on se fonde ici ou là pour dire qu'il y aura plus d'abstentions que d'habitude. Honnêtement, reconnaissons les choses, nous n'en savons rien. Ce que j'ai perçu en revanche tout au long de cette campagne – elle a été, malgré sa brièveté ou à cause de sa brièveté peut-être très intense – c'est une participation et une mobilisation beaucoup plus forte qu'on ne l'a dit Tous les candidats que j'ai été soutenir ont constaté qu'il y avait beaucoup de monde dans leurs réunions, beaucoup de questions, beaucoup de présence et beaucoup d'intérêt. D'ailleurs, je lisais ce matin dans la presse que les émissions à la télévision, les débats politiques ont fait beaucoup plus d'audience qu'on ne le pensait. Donc voyez, je crois qu'il y a là aussi une idée un peu convenue, je crois que les Français sont conscients de l’importance du choix. Ils voient bien que leur avenir et l'avenir de leurs enfants ne serait pas le même selon que la majorité RPR-UDF pourrait continuer son action et l'amplifier ou que nous aurions une majorité PS-PC.
Q. : Il peut y avoir l’interprétation inverse, il peut y avoir aussi beaucoup de monde qui s'intéresse à ces émissions, beaucoup de monde dans les meetings parce que beaucoup d'indécis, beaucoup de gens qui ne voient pas clairement, précisément cette différence ?
R. : Ça, c'est le domaine de l’interprétation. Je crois que cette différence est aussi claire que possible, encore que, encore que. J'ai regards un peu évoluer le programme du Parti socialiste depuis le début de cette campagne et je l'ai vu peu à peu édulcoré, contredit, modifié. Si bien qu'aujourd'hui, sur un certain nombre de points essentiels, on ne sait pas effectivement très exactement ce qui se passerait dans l'hypothèse, que M. Jospin semble caresser, où il serait Matignon. Prenons deux ou trois exemples sur l'Europe, quelle serait la ligne politique d'une majorité qui associerait le Parti socialiste, le Parti communiste et les Verts ? Il est impossible de le dire aujourd'hui. Deuxième exemple, la santé des Français ; que se passerait-il dans le domaine de l'assurance maladie ? Les socialistes ne font pas dit et on est dans le brouillard. Et enfin, troisième exemple, la politique de lutte contre l'immigration illégale et le travail clandestin, part l'abrogation des lois Pasqua-Debré, ça c'est clair, net et définitif, si je puis dire, quelle serait, la politique de substitution, nous ne le savons pas. Je crois que de l'autre côté, sur l'Europe, enfin sur tous les sujets que je viens d'évoquer, la ligne est claire et que, derrière J. Chirac, on voit bien quel serait ce nouvel élan que la France attend et dont elle a besoin.
Q. : Nous recevions hier J. Delors, qui est expert en matière européenne et qui soutenait la position de L. Jospin évidemment sur l'Europe, disant : mais finalement, les conditions qu'il a mises, elles sont dans le traité de Maastricht ?
R. : J'avais sous les yeux hier une déclaration de L. Jospin qui date de mars 1996 et dans laquelle il disait : il n'y a pas lieu de poser de nouvelles conditions à l'application du traité sur l'Union européenne."
Q. : Mais oui si elles sont dedans.
R. : Vous voyez que sa pensée a évolué et a un peu – comment dire ? – faseyé, comme à la voile, dans ce domaine. Quel est l'état de la question aujourd'hui ? L'Europe est imparfaite, c'est clair, elle n'est pas suffisamment démocratique dans ses institutions, elle est d'abord trop petite, elle ne s'est pas encore élargie aux nouvelles démocraties, elle n'a pas du tout cette dimension sociale et humaine qui serait nécessaire. Il faut donc la réformer, la changer et ce sont les rendez-vous qui sont devant nous. Aujourd'hui même, le Président de la République est aux Pays-Bas pour un Conseil européen des chefs d'État et de gouvernement. Il faut donc modifier les institutions, il faut élargir l'Europe, il faut la renforcer en lui donnant une sécurité commune, il faut lui donner cette dimension sociale et humaine qui lui manque dans le domaine de l'emploi par exemple. Et il faut faire de la monnaie européenne pas simplement un instrument de stabilité, qui nous permettra d'éviter les dévaluations compétitives entre la lire et le franc par exemple, mais également un instrument de croissance. Ce dont nous avons besoin c'est le message peut-être que je voudrais donner aujourd'hui – pour lutter contre le chômage, c'est d’une France qui produise, qui crée des richesses, qui travaille. L'euro peut nous y aider mais il faut aussi que nous trouvions cela en nous-mêmes, en particulier par une baisse des charges et des contraintes qui paralysent ceux qui, aujourd'hui, peuvent prendre des initiatives.
Q. : Juppé, connaissez-vous un homme politique, sur la place française, qui ne souhaite pas que la France bénéficie de croissance ?
R. : Oui, absolument. Au risque de vous surprendre, j’en connais. Écoutez les Verts. Toute leur thématique est de dire que la croissance est dangereuse. Et regardez ce qui s'est passé depuis dix ou quinze ans dans notre pays : la croissance zéro, ce n'était pas il y a si longtemps. Et beaucoup de responsables politiques, beaucoup d'économistes considèrent que la France est condamnée à une non-croissance ou en tout cas a une croissance faible. Eh bien, c'est contre ce conformisme ou bien contre cette idéologie fumeuse qu'il faut, aujourd'hui, se dresser. II faut que la France retrouve le chemin d’une croissance de 3 % par an pendant cinq ans. C'est la seule façon de faire reculer le chômage. Alors comment faire ?
Q. : C'est un vœu ou c'est une promesse ?
R. : Ce n’est ni un vœu, ni une promesse, c'est un objectif politique. Il faut commencer par le vouloir et pour revenir sur vote question, j'affirme qu'aujourd'hui, il y a des forces politiques qui ne le veulent pas. Il faut commencer par le vouloir et après, il faut aller chercher la croissance là où elle est et elle est partout dans le monde : elle est en Amérique latine, elle est en Chine, elle est aux États-Unis. Voyez la manière dont, grâce à la qualité de nos produits, à la vaillance de nos entreprises et aussi, il faut bien le dire, à l’action du Président de la République, nous sommes allés chercher en Chine ou ailleurs des millions d'heures de travail pour des milliers de salariés français pendant des années. Les Airbus, les ATR, les Frégates. Il faut ensuite chercher la croissance en Europe, collectivement, je viens de le dire et puis, il faut la chercher en nous-mêmes par cette politique à la fois de baisse des charges et des contraintes, d'éducation, parce que c'est notre principale richesse et puis aussi d'innovation, de recherche. Regardez les nouvelles technologies de l'information et de la communication, nous avons pris un peu de retard dans ce domaine. Il faut un plan de mobilisation qui nous permette de tirer profit de notre excellence technologique pour créer des emplois. Donc, je le répète, la croissance est possible, encore faut-il la vouloir et aller la chercher.
Q. : Il y a un secteur socioprofessionnel où vous n'avez pas la cote, ce sont les milieux médicaux et les médecins plus particulièrement, y compris ceux qui se sentent plutôt de votre famille politique. Votre allié, F. Léotard, a laissé entendre qu'il pourrait y avoir une nouvelle réforme de la sécurité sociale et qu'après tout, on pourrait peut-être se remettre autour de la table. Qu'en est-il ?
R. : Se remettre autour de la table, certainement. Il faut le faire en permanence. Une nouvelle réforme ? Non. Une évolution de la réforme ? Oui. Et je l'ai dit moi-même. Il y a beaucoup de rendez-vous qui sont prévus. D'abord, le débat de ratification des ordonnances qui nous permettra, le cas échéant, de corriger telle ou telle imperfection.
Q. : C'est avec le Parlement, pas avec les médecins.
R. : Oui mais avec eux, bien sûr. Parce que si le Parlement débat, les médecins sont forcément impliqués. II y aura la loi de financement de sécurité sociale pour 1998 puisque désormais, il y en a une chaque année. II y aura les prochains rendez-vous conventionnels avec les médecins qui permettront également d'ajuster les choses. Je vais vous faire une confidence puisque nous sommes à Bordeaux. La semaine dernière, j'ai fait ici, à Bordeaux, une réunion avec une soixantaine de médecins, moitié spécialistes moitié généralistes, pour essayer de bien leur expliquer ce que nous voulions faire. Cela a commencé de manière un peu -comment dire ? – fraîche ! Eh bien, cela s'est terminé avec une bien meilleure compréhension des choses. Quand on explique la réforme, quand on indique quels sont ses buts et puis la façon dont elle peut, je le répète, être améliorée, eh bien on se fait comprendre. Je l'ai expliqué aussi récemment dans les colonnes d'un grand quotidien médical, si bien que cette crispation que vous évoquiez et qui était réelle, cette incompréhension dont je veux bien prendre ma part de responsabilité, est en train, me semble-t-il, de s'atténuer et de se dissiper.
Q. : Puisque nous sommes à Bordeaux êtes-vous assuré sur vos bases dans cette ville ? On me dit que vous avez refusé le débat avec les autres candidats ?
R. : Non, pas du tout. Je n'ai pas refusé le débat, j'ai souhaité que ma suppléante, qui s'appelle F. Brunet, puisse participer à ce débat. Et je vais vous dire que je m’en félicite. Parce qu'on a vu arriver là, treize ou quatorze candidats, qui étaient en général des hommes d'ailleurs, qui ont abordé le débat avec la langue de bois traditionnelle, avec beaucoup d'invectives et d'attaques personnelles et ma suppléante a changé complètement le ton de ce débat en revenant au fond des problèmes. C'est une des démonstrations qui prouvent que l'accès des femmes à la vie politique peut changer les choses et apporter un plus.
Q. : Elisabeth (Isère) : Au début de votre campagne, vous avez formellement indiqué qu'en cas de victoire de l'actuelle majorité, vous ne seriez pas Premier ministre. Or tout laisse à. penser aujourd'hui que ni vous ni M. Chirac n'avez réellement abandonné cette idée. Et je veux parler ici des déclarations récentes de M. Chirac à la presse et de votre attitude en qualité de chef de campagne. Aujourd'hui, je fais appel à votre respect de la parole donnée et je souhaite que vous vos engagiez solennellement devant tous les auditeurs de France Inter à respecter vos propos de campagne et à refuser la nomination éventuelle au poste de Premier ministre qui viendrait à vous être proposée. Et je tiens à vous préciser, en conclusion, que votre réponse conditionnera mon vote.
R. : Voilà qui est clair, Madame. Simplement je voudrais, puisque vous faites appel à mon sens de l'honneur d'une certaine manière, vous demander de reprendre les déclarations que j'ai faites. J’ai dit que je n'étais pas candidat à ma succession, je le répète. J'ai dit ensuite que le choix du Premier ministre était de la seule compétence du Président de la République. Je ne suis pas comme M. Jospin qui se voit d'ores et déjà à Matignon si j'ai bien compris. Je respecte, je le répète, la lettre et l'esprit de nos institutions. Et je n'irai pas au-delà. Je veux simplement ajouter que la façon dont vous posez la question mérite quand même réflexion. Qu’est-ce qui est important pour la France demain ? Est-ce que c'est de savoir si le Premier ministre s'appellera Lionel ou Alain ou est-ce que c'est de savoir quelle est la politique que nous conduirons ? Je ne voudrais pas que l’on ramène le débat politique à des questions de personnel. Le vrai choix est celui-là est-ce que nous aurons le programme du Parti socialiste et du Parti communiste sur l'Europe, sur l'immigration, sur la sécurité sociale, sur l'économie, sur le chômage ou est-ce que nous aurons le projet du RPR et de l'UDF ? En mon âme et conscience, c'est là-dessus, Madame, que je souhaiterais que vous vous déterminiez parce que c'est de cela que dépend l'avenir de notre pays.
Q. : Agnès : En cas de victoire de la droite, pourquoi ne pas inclure dans le gouvernement des représentants de la gauche et ça, dans le but d'avoir un front uni face aux réformes internes de la France qui sont énormes à faire, et à l'Europe et apprendre travailler ensemble, plutôt qu'une confrontation perpétuelle ? Je suis à mon compte et avec une employée et j'ai appris à quel point il faut toujours communiquer, il faut insister pour la communication et cela, pour mener un travail à bien.
R. : Vous avez raison Madame, il faut toujours dialoguer et communiquer. Mais puisque vous êtes chef d'entreprise, est-ce que vous pouvez imaginer conduire votre entreprise en partageant vos responsabilités avec quelqu'un, un collègue, qui aurait des objectifs exactement inverses aux vôtres ? Je pourrais prendre beaucoup d'exemples, je vais en prendre un seul qui est celui de la durée du travail : d'un côté, M. Jospin propose de passer à 35 heures avec augmentation de salaire puisque les 39 heures seront mieux rémunérées s'il tient ses promesses. Vous savez très bien que cela conduirait des milliers de petites et moyennes entreprises au dépôt de bilan. De l'autre côté, nous avons, nous, une autre vision des choses qui consiste à dire : négocions l'organisation du temps de travail, entreprise par entreprise. Comment voulez-vous qu'on gouverne ensemble sur des sujets comme ceux-là si on n’est pas fondamentalement d’accord ? Face aux grands défis qui nous sont lancés, il faut des idées claires, il faut une politique déterminée. Cette campagne a fait apparaître des lignes de différences, je ne dirais pas de confrontation parce que nous sommes dans un pays civilisé et démocratique, mais des vraies différences. Et donc on ne peut pas tout mélanger si on veut avoir une conduite claire.
Q. : Eva : Pendant sa campagne électorale, M Chirac a répété que le montant des impôts supporte par les Français était beaucoup trop élevé. En 1997, vous nous avez annoncé, par voie de radios, télévisions, presse, une baisse de l’impôt sur le revenu. En même temps, ma taxe d'habitation augmentait de 63 %, non pas du fait de la politique locale de ma municipalité, mais c'était une mesure nationale parce que le seuil d’impôt sur le revenu donnant droit à un dégrèvement sur le montant de la taxe d'habitation passait de 16 000 à 13 000 francs. Mesure qui n'a été annoncée nulle part, dans aucun média, mais qui a signifié pour moi et beaucoup d'autres personnes, une augmentation de plusieurs milliers de francs sur la taxe d’habitation. Comment ne pas être sceptique lorsque vous nous annoncez que vous continuerez à baisser les impôts ?
R. : Nous avons, la majorité sortante a voté un barème de l’impôt sur le revenu qui aboutit, en cinq ans, à alléger l’impôt de 75 milliards. Au premier tiers provisionnel de cette année, tous les contribuables ont vu une baisse forfaitaire de 6 %. Je sais qu'il y a eu ensuite des problèmes sur le deuxième tiers parce qu'il avait été calculé auparavant mais l'ajustement se fera en septembre sur le solde de l'impôt, et les familles, en particulier, verront une baisse de l'impôt. Par ailleurs, nous avons été amenés à prendre des mesures de justice pour corriger certaines inégalités, mais, globalement, l’impôt sur le revenu est en baisse. Je signale simplement que le Parti socialiste a pris une position très claire, indiquant qu'il remettrait en cause cette baisse du barème. Voilà le choix qui s'offre à vous.
Q. : Daniel : Je suis spécialiste de la création d'entreprise et j'aimerais vous poser une question dans ce domaine. Le dispositif d’aide à la création d'entreprise par les chômeurs a été démantelé par votre gouvernement malgré un rapport des services du ministère du travail justifiant ce dispositif et montrant son impact sur le marché du travail. Ce rapport très documenté, intitulé « itinéraire du chômeur créateur d'entreprise », a été étouffé avant même de paraître. Pourtant, cette aide à la création d'entreprise coûtait environ un milliard et demi par an à comparer aux 300 milliards engloutis chaque année dans la politique pour l'emploi ! Ne voyez-vous pas une contradiction entre ce que vous avez défait dans le domaine de la création d'entreprise et ce qu'a écrit J. Chirac dans sa lettre du 7 mai, je cite, « Saisir notre chance, c'est aider systématiquement la création d'entreprise et faciliter le développement de ces très petites entreprises qui sont une vraie chance pour l'emploi » ? Quelle crédibilité peut-on accorder au Président de la République lorsque le Premier ministre issu de sa majorité fait le contraire de ce qu'il dit dans la lutte contre le chômage ?
R. : Merci de cette question. Je suis convaincu que seule la création d'entreprise nous permettra, à long terme, de marquer des points réels contre le chômage et nous faisons tout en ce sens. Je crois que, rarement, un gouvernement s'est autant intéressé à la petite et moyenne entreprise que le mien. Et J.-P. Raffarin a fait, dans ce domaine, toute une politique cohérente qui est entrée dans les faits aujourd'hui. L'aide dont vous parlez a été reconnue, par tous ceux qui ont bien réfléchi, comme très inefficace. Pourquoi ? Parce que les chômeurs créateurs d'entreprise, très souvent, n'avaient pas bien pensé leur projet. Qu'est-ce qu'il se passait au bout de quelques mois ? Le dépôt de bilan. Nous avons constaté que l'immense majorité des créations d'entreprise qui avaient été permises par cette aide débouchaient sur le dépôt de bilan. Nous nous sommes donc dit qu'il fallait changer la méthode et mettre en place un système qui permette d'aider vraiment le créateur, de lui donner des conseils, de le faire réfléchir sur la cohérence de son projet, de lui donner également une formation sur les questions de financement, les questions administratives, les questions commerciales. C'est cette politique-là que nous sommes en train de mettre en place, qui se marquera par de nouvelles modifications fiscales, bien sûr, au moment de la création ou au moment de la transmission d'entreprise et qui sera une politique cohérence. Pas simplement de la distribution d'argent débouchant sur des chèques mais un véritable soutien, un véritable conseil au créateur pour qu'il réussisse.
Q. : François : je suis un des enseignants de la Seine-Saint-Denis qui a été en grève hier. La situation des établissements scolaires dans le 93 est de plus en plus domicile : des classes vont être supprimées, notamment de nombreuses classes en primaire. Pour parler concrètement, dans mon propre établissement, il nous manque à l'heure actuelle un poste de conseiller principal d’éducation, un poste de documentaliste qui n'est pas pourvu depuis un an. Il a fallu attendre plusieurs mois pour que tous les postes d'enseignants soient pourvus et puis on nous a supprimé l'année dernière un demi-poste de surveillant, on nous en supprimera cette année un autre demi, soit un poste de surveillant supprimé en deux ans. Certains jours, les surveillants ne sont que deux, pour un établissement de 1 000 élèves, à devoir assurer y compris les tâches administratives. Est-ce que vous pensez que la suppression de 5 000 postes de fonctionnaires est une solution qui tend à aller dans le bon sens ? Croyez-vous que la violence policière soit la seule réponse que puisse apporter votre administration aux revendications ? Et je fais là allusion aux personnes qui ont été blessées la semaine dernière au collège E. Gallois dans la Seine-Saint-Denis.
R. : S'il y a un ministre de l'éducation nationale qui, depuis bien des années, a pratiqué systématiquement le dialogue et la concertation avec les enseignants et les organisations représentatives, c'est bien F. Bayrou. Qu'il y ait pu avoir, ici ou là, des manifestations et les excès que vous évoquez, c'est une chose mais la concertation, je vous le répète, a été permanente. D'autre part, comment évolue notre système éducatif ? Vous le savez très bien, il faut quand même le dire aux Français pour qu'ils aient tous les éléments d'appréciation : nous avons des dizaines de milliers d'élèves en moins chaque année dans l'enseignement primaire, au collège et maintenant au lycée. Des dizaines de milliers, cinquante mille au cour de la dernière année scolaire. En revanche, nous avons de plus en plus d'étudiants. Et c'est une bonne chose. Et donc, la politique que nous avons conduite a consisté à adapter les effectifs d'enseignants dans le primaire et le secondaire ou il y a de moins en moins d'élèves, je le regrette mais c'est un fait, pour créer des postes supplémentaires dans l'enseignement supérieur ou il y a de plus en plus d'étudiants. Je crois que c'est une politique cohérente. Je souhaite enfin que la totalité des enseignants du primaire et du secondaire puisse être vraiment affectée à des tâches d'enseignement, ce qui permettra d'améliorer l'encadrement, en particulier dans les zones d'éducation prioritaire. Je suis convaincu, comme vous, que l’éducation doit être un des objectifs prioritaires de notre action demain et cela pour des tas de raison, y compris pour faire reculer le chômage parce que c'est en formant les hommes, en développement notamment une école de la deuxième chance, au-delà même de la formation initiale, que nous donnerons les moyens de mieux insérer nos jeunes dans la vie professionnelle."
Q. : Claude : Les analyses des journalistes et des instituts de sondage parlent d’un fort taux d’abstention possible de Français peu motivés par la campagne. Ne pensez-vous pas, Monsieur le Premier ministre, que cela est dû aux élections anticipées, à cette campagne trop courte qui a privé les Français d'un vrai débat politique et démocratique ? L'enjeu est très important : choix économiques, choix de société. Il faut du temps aux électeurs pour bien s'informer sur les différents projets, les comprendre surtout dans le domaine économique qui est complexe. J’ai le sentiment qu'une campagne trop courte va quand même dans le sens de moins de démocratie.
J.-L. Hees : C’est une question importante, Monsieur le Premier ministre.
R. : Je ne partage pas tout à fait le sentiment de notre auditrice. Que le choix soit important, certes, qu'il y ait une vraie différence entre la politique économique que nous proposons et celle des socialistes et des communistes, c'est vrai. De même pour la politique européenne, de même pour un grand nombre de problèmes de société, je pense l'immigration ou à la conception que nous avons de l’éducation, par exemple. Mais que la campagne ait escamoté le débat, je ne le crois pas, honnêtement. Il y a eu un très très grand nombre de face-à-face à la télévision et à la radio. Sur les antennes de France Inter, vous avez pu questionner les principaux leaders politiques très régulièrement. Et contrairement à ce qu'on a dit aussi, les débats ont été suivis. J'ai sous les yeux un article de journal qui indique que les grands débats sur les 20 heures, comme on dit, ont sinon passionné, du moins intéressé les auditrices et les auditeurs. Dans toutes les réunions que nous avons faites, il y en a eu des milliers dans les 577 circonscriptions, nous avons vu beaucoup de monde. Et les vraies questions ont été posées. Alors, je crois qu'il ne faut pas se laisser complètement intoxiquer par un certain conformisme. Depuis 20 ans que je fais de la politique, j'entends dire que les campagnes électorales n'intéressent pas les Français et qu’il y aura beaucoup plus d'abstentions que d'habitude. Je ne crois pas que ce soit vrai. Je ne crois que pas que la campagne n'ait pas intéressé. Je crois même le contraire. Quant au taux d'abstention, je redis une fois de plus que ne pas voter, c'est se priver ensuite du droit de juger ce qui se passe. C'est parfois donner le champ libre à ceux qu'on ne voudrait pas voir arriver au pouvoir. II faut aller voter, vous avez raison, dès le premier tour et évidemment au deuxième tour.
Q. : Stéphane : Vous brandissez aujourd'hui le risque d’une cohabitation. Pourquoi, dans ce cas, avoir dissous l'Assemblée nationale ? Le plus sûr moyen d'écarter ce risque n'était-il pas, pour vous, de conserver en l’état une majorité unie sur la question européenne ?
R. : La réponse est évidente : la question se serait posée dans onze mois. Si nous avons dissous, c'est pour éviter à la France une période d'attentisme économique qui n'aurait pas été bonne pour l'emploi. Quant à la cohabitation, soyons clairs : elle est conforme à nos institutions naturellement, mais c'est un pis-aller qui ne permet pas à la France de bien défendre ses intérêts sur la scène mondiale et européenne – et je pourrais en citer de multiples exemples – et qui ne permet pas non plus de donner à notre politique tout le dynamisme nécessaire sur le plan interne. Il est évident que le Président de la République pourra mieux agir s'il a avec lui un gouvernement et une majorité qui partagent ses idées. Je crois que c'est simplement le bon sens et que beaucoup de Françaises et de Français s'en convaincront.