Déclaration de M. Xavier Emmanuelli, secrétaire d’État chargé de l'action humanitaire d'urgence, sur les insuffisances de l'hôpital dans sa fonction d'accueil et pour le dispositif d'"urgence sociale", Bordeaux le 5 février 1997.

Prononcé le

Intervenant(s) : 
  • Xavier Emmanuelli - Secrétaire d’État chargé de l'action humanitaire d'urgence

Circonstance : Cinquièmes Journées annuelles sur l'organisation des urgences, à Bordeaux le 5 février 1997

Texte intégral

Mesdames,
Messieurs,
Chers confrères,
Chers amis,

Permettez-moi tout d’abord quelques mots de remerciement pour votre invitation à des Ve journées annuelles sur l’organisation des urgences qui portent sur un sujet qui me tient particulièrement à cœur, comme le savent bien les organisateurs qui ont bien voulu me convier à vos travaux. Ce qui explique ma présence parmi vous.

La résurgence des problèmes sociaux de l’exclusion – voire de la grande exclusion – rend sans cesse plus aiguë la question de la prise en charge médico-sociale, à travers le défi que pose à l’hôpital l’afflux de plus en plus important des démunis. Quand je dis démunis, ce n’est pas aux moyens matériels que je fais allusion, mais plutôt au manque de « décodage » des clés de nos institutions qui se posent à eux ; les démunis sont ceux qui restent en dehors des ressources traditionnelles dont on pense que chacun sait se servir comme l’accès aux secours. Ceux-là demandent à l’hôpital de trouver des réponses à la complexité de leur souffrance, qu’elle soit somatique – mais cela l’hôpital sait bien le faire pour des raisons multiples et complexes – trop bien même pourrait-on dire, qu’elle soit psychique – ce que l’hôpital rechigne à faire –, qu’elle soit sociale et affective, – ce qui bien évidemment n’est du ressort d’aucune institution et à plus forte raison de l’hôpital –, qu’elle soit sociale et psychologique et c’est même ce que l’on pourrait qualifier de la dimension oubliée.

Alors qu’elle au cœur de la problématique de l’exclusion.

Le tissu hospitalier reste dans notre pays caractérisé par un grand éparpillement dans lequel on peut voir l’héritage d’un passé où l’hôpital – comme son nom l’indique – était, avant d’être un centre de soin – d’abord un lieu d’accueil et d’hébergement pour les plus déshérité (d’où leur nom d’Hôtel Dieu). D’autres souvenirs de cette fonction d’accueil – ou, de cette fonction sociale d’origine subsistent ici ou là – dans les termes « d’Assistance publique – (fondée par saint Vincent de Paul) ou « d’Hospice civils » pour ne citer que ceux-là. Mais ces mots, dans leur archaïsme rendent encore plus amère une réalité bien différente, moins empirique certes, moins caritative, probablement bien plus efficace, plus technique, mais plus arrogante, spécialisée, technologique et… « excluante » et se retournent contre l’intention affichée à l’origine.

Si depuis une quarantaine d’années l’hôpital a su mettre en avant ses activités de diagnostics et de soins, et on entend soins dans le sens du geste codifié et paramétrable au sens du mot « cure » anglais ; si l’hôpital a su se constituer autour d’un plateau technique sans cesse plus performant, servi par un personnel médical et paramédical de mieux en mieux formé aux savoirs techniques ; si l’hôpital s’est éloigné de sa mission primitive au point d’avoir quasiment rompu les liens qui l’unissait à l’univers du social, et s’est probablement éloigné de l’idée de charité ou d’hospitalité, pour autant l’hôpital continu à représenter encore, et si j’ose dire plus que jamais, l’ultime recours de proximité pour les plus démunis.

J’ai connu l’époque pas si éloignée où aller à l’hôpital avec une connotation de pauvreté – les gens aisés – gardaient leurs « vieux » chez eux, et envoyaient leurs malades en clinique repoussant l’idée de la promiscuité de la salle commune, de l’abandon en somme… Depuis, le concept s’est presque retourné.

Du fait de l’apparition de certaines formes d’exclusion qui se manifestent de façon complexe – maladie chronique, poly toxicomanie, souffrance psychique, errance…, il existe un vrai hiatus entre l’attente que ces personnes peuvent nourrir à l’égard de l’institution hospitalière – et ce que celle-ci peut en réalité fournir – compte tenu de la composition et de la formation du personnel intervenant dans ses murs – compte tenu également des missions implicites qui lui sont réellement assignées – de la culture « sanitaire et réparatrice » de la santé, du paramétrage des actes, de sa finalité en somme…

Les services d’urgence, du fait de leurs caractéristiques de fonctionnement et bien sûr de leur disponibilité 24 heures sur 24, du fait qu’ils sont quasiment les seuls avec les commissariats à pouvoir à toute heure accueillir toute personne qui se présente, sont au cœur de cette difficulté et presque de cette contradiction.

Dans ce cas, encore, le vocabulaire communément utilisé, mais également les appellations officielles – (celles notamment retenues dans les décrets du 9 mai 1995 sur l’autorisation et les conditions techniques du fonctionnement des SAU et des ANACOR) parlent d’accueil (il est vrai qu’il serait difficile de trouve un autre mot même si cet accueil se traduit parfois par un rejet) et de traitement des urgences mettant en exergue, implicitement la fonction d’accueil tout autant que simultanément la fonction sanitaire de l’urgence. C’est pourquoi, il nous a paru pertinent de créer un concept nouveau certes un peu monstrueux – qui ne satisfait pas les travailleurs sociaux – et encore moins les médicaux, sous le terme d’urgence sociale, pour compléter cette dimension – plus haut définie – cette dimension oubliée et qui je le répète le primum movens de la demande.

On parle donc – mais sans en maîtriser les termes ni les procédures désormais, d’accueil et de traitement des urgences – faisant la part de ce qui – dans le recours à l’hôpital peut procéder du seul aspect sanitaire ou médical – de ce qui en soi peut constituer un recours hospitalier.

Depuis quelques années on observe une augmentation du recours aux services d’accueil et de traitement des urgences. Un Français sur sept fréquence chaque année un service hospitalier d’urgence et ce nombre de cesse d’augmenter au rythme de + 4 à 5 % par an.

A l’évidence, les accidents, les maladies et leur évolution ne justifient pas à eux seuls une telle évolution. L’émergence de problèmes sociaux isolés ou associés aux problèmes sanitaires est, à n’en pas douter à l’origine de cette augmentation.

Augmentation que l’on constate également, bien sûr, dans le recours aux structures d’urgences extra hospitalières comme le SAMU ou le centre 15. Le paradoxe réside dans la conséquence de cette demande. L’encombrement des services d’urgence qui résulte de cette augmentation elle-même du recours hospitalier est un frein structurel : même si, et ce n’est pas le cas – l’hôpital était en mesure de prendre en compte la souffrance sociale du demandeur avec son entourage et son environnement familial. Il ne lui serait pas possible d’y répondre – ce que l’on pourrait résumer en une formule lapidaire suivante : plus il est sollicité, moins l’hôpital est en mesure de répondre (du moins pour ce qui concerne l’accueil global) car plus la réponse se tient éloignée de sa culture et de ses structures – elle s’éloigne du sanitaire et se rapproche de l’Hôtel Dieu qui est justement la fonction d’origine.

Il y a dans ce type de réaction très souvent exprimée lors des travaux de la commission nationale de restructuration des urgences présidée par le professeur STEG, une forme de rationalisation des comportements des responsables des services d’urgence qui devant la surcharge de leur service, dans l’incapacité, faute de locaux, faute de formation, faute de personnel spécifique, faute de mission clairement identifiée, répugne à assurer une prise en charge correcte de ces problèmes, préférant les occulter pour se focaliser sur les seuls aspects sanitaires, correspondant au savoir-faire fondamental des personnels dont ils disposent.

Il faut bien le reconnaître, compte tenu de ce qu’étaient et ce que sont encore aujourd’hui les moyens dont disposent les hôpitaux la question des urgences médico-sociales est bien trop souvent éludée.

La circulaire du 14 mai 1991 qui s’inscrivait dans les suites du rapport de 1989 du groupe de travail du Conseil économique et social déjà présidé par le professeur STEG sur l’urgence à l’hôpital faisait une large place aux questions d’accueil dans les services d’urgence, mais aussi à celle relatives aux recrutements des travailleurs sociaux dans les services d’urgences et à leur activité au sein de ces services en liaison avec les associations agrées par l’hôpital… Qu’en est-il aujourd’hui ?

Les décrets du 9 mai 1995 sur les services d’accueil et de traitement des urgences ne reprennent que partiellement cet aspect de la prise en charge des personnes accueillies. Seulement, en faisant d’une part référence à une éventuelle orientation vers des structures sociales ou d’hébergement adaptés à la situation du demandeur et d’autre part peut être en faisant référence pour ce qui concerne les services d’accueil et de traitement des urgences, à l’éventualité de la présence d’un assistant du service social.

Certes, quelques établissements ont pu depuis la circulaire de 1991 faire des efforts particuliers en vue de procéder à des accueils plus conforme à l’attente des personnes les plus démunies en répondant à leurs problèmes sociaux, en facilitant une prise en charge globale. Mais force est de constater que le dispositif est encore largement insuffisant.

Le partage des financements et les compétences entre les domaines social et sanitaire ne facilite guère l’évolution vers la prise en charge de l’individu dans sa globalité – c’est-à-dire avec sa dimension sociale, son « interface » avec l’environnement psychologique familial ou sociologique – qui font partie d’ailleurs, chacun le sait, des composantes de la maladie dans l’exclusion.

Comme toujours, dans cette faille, des systèmes se mettent en place : SAMU social – ou initiative associative – ; la réponse à l’évidence se trouve dans la constitution de réseaux.

La loi de cohésion sociale devrait permettre des avancées vers une telle intégration puisqu’elle donnera comme finalité explicite à l’hôpital la lutte contre l’exclusion, en laissant une grande part d’interprétation et d’initiative à chaque établissement selon sa place dans le département. On peut fonder quelques solides espoirs dans la mise en place des réseaux et filières dans le droit fil des ordonnances d’avril dernier.

L’avenir de l’accueil d’urgence reste entre les mains des services d’accueil et de traitement, des SAMU, des directions hospitalières, mais également des instances sanitaires et sociales qui sauront réaliser la prise en charge aussi bien des problèmes relevant de l’une ou l’autre, des compétences ou des tutelles.

L’idée de l’urgence sociale est une idée neuve. Il est vrai que la vitesse – si l’on ose dire, de la réparation des blessures sociales n’est pas la même que celle des lésions sanitaires – et parler d’urgence sociale relève sans doute d’une analogie abusive de terme par rapport aux urgences médicales, mais pour justifier les sorties des SAMU un peu intempestives, on a bien parlé d’urgence vitale, fonctionnelle, vécue, ressentie… etc. pourquoi pas urgence sociale quand il s’agit de trouver une ou des solutions qui complètent la prise en compte sanitaire.

Il est anormal d’ailleurs dans ce même registre de parler d’exclus des soins puisque les SAMU ne font pas de différences, dans le traitement d’urgence, entre les patients qui présentent des lésions aiguës, quel que soit leur âge, leur condition, leur statut, leur couverture sociale. Il est anormal dont que les urgences ne sachent pas traiter un certain nombre de pathologies à partir du moment où les patients sont actifs et viennent sur leurs jambes et en manifestent plus ou moins la demande, par opposition à ceux qui sont devenus passifs parce que victimes, blessées, malades ou inconscientes et que l’on sait prendre en charge de manière exemplaire.

On ne peut plus se satisfaire de traiter dans l’instant la maladie ou la blessure, et la qualité des soins n’est pas réductible à la seule maîtrise des techniques médicales. C’est donc par la pédagogie et l’action quotidienne des soignants qu’il conviendra de réintroduire dans les soins la dimension sociale et humaine. Et que l’on en finisse une fois pour toute de cette distinction entre le CARE et le CURE. Ils forment un tout – indissociable – seules les méthodes diffèrent dans les deux approches ; c’est le seul moyen de retrouver les limites et d’explorer la dimension cachée.