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Les événements du Zaïre mettent brutalement en lumière les ambiguïtés et les insuffisances de notre politique africaine. Après le drame rwandais et la crise qui a récemment ébranlé le Centrafrique, comment ne pas s’émouvoir de ce nouveau désaveu ? Nous venons en effet de subir un triple échec : tactique, moral, géopolitique.
Tactique, parce que l’intégrité du Zaïre a été violée, sans réaction excessive de la communauté internationale, mais pour la plus grande satisfaction, cela ne fait guère de doute, des Américains et des pays de l’Afrique anglophone. La France se retrouve ainsi dans une position plutôt humiliante : elle doit assister, impuissante, à un dépeçage territorial dont l’une des finalités – l’approbation des richesses du sous-sol zaïrois – n’échappe à personne.
Moral, parce que, faute d’avoir usé de son influence pour aider la démocratie à se constituer de manière crédible au Zaïre, notre pays a donné l’impression de soutenir jusqu’au bout un régime largement discrédité. Ce fut une grave erreur. En politique étrangère, l’Histoire montre que les États s’interdisent rarement de sacrifier la morale à l’intérêt. Encore faut-il qu’ils en tirent le profit escompté et qu’ils gagnent ce qu’ils ont cherché à obtenir. Qui peut dire, aujourd’hui, que la France a gagné au Zaïre ?
Échec géopolitique, enfin, parce que le pays est, par sa position, un élément essentiel de la présence française sur le continent. Les progrès des « troupes rebelles » et la désintégration du régime de Kinshasa auront, de toute évidence, des répercussions dans l’ensemble de l’Afrique centrale. Quel crédit accorderont alors à la France les États de la région ?
En réalité, une véritable « politique » africaine fait défaut à notre pays. Fondée essentiellement sur des réseaux d’intérêts, elle a souvent eu pour résultat de transposer à nos anciennes colonies ces mêmes maux dont souffre notre société : l’immobilisme, l’incapacité, l’irrésolution, la préservation de l’acquis. L’absence de perspective qui en résulte s’est révélée catastrophique pour l’évolution démocratique et économique de nombreux pays de l’Afrique francophone.
Les circonstances actuelles nous fournissent une occasion unique d’imaginer une Realpolitik, aussi éloignée de l’angélisme que des habitudes d’un autre âge. Elle devient d’autant plus urgente que, de l’autre côté du fleuve, un pays cher au cœur des Français se trouve, lui aussi, face à son destin.
À une portée de fusil de l’effervescence zaïroise, le Congo se prépare à élire, en juillet prochain, son nouveau président. La démocratie congolaise, qui n’a été instaurée qu’en 1992, sans aucune effusion de sang, va vivre là un véritable test, auquel de nombreux démocrates, en Afrique comme en France, sont particulièrement attentifs. On pouvait espérer que, dans un contexte régional aussi explosif, le pouvoir en place aurait à cœur d’organiser ce scrutin dans le respect des règles les plus élémentaires. Or il semble qu’il n’en soit rien.
Depuis plusieurs semaines, on me signale que la démocratie souffre là-bas de défaillances dont les plus graves risquent d’affecter le déroulement correct des élections présidentielles. Un Conseil constitutionnel inexistant, bien qu’il soit chargé du contrôle des élections ; des pénuries organisées, afin de priver certains électeurs des documents administratifs nécessaires pour voter, etc. Je ne peux entrer ici dans le détail de toutes les informations que j’ai recueillies sur les tentatives quotidiennes du pouvoir, visant à différer les élections ou à en altérer les futurs résultats. Ce qui est sûr, en tout cas, c’est que personne ne peut accepter de telles pratiques ni, évidemment, imaginer qu’elles aient l’aval de la France. La démocratie ne se divise pas, et son principe fondamental, « un homme, une voix », ne tolère aucun dévoiement.
Dans le cas du Congo, le devoir des démocrates est d’opposer à toutes les manœuvres éventuelles le rempart du droit. Tous les candidats en lice doivent savoir que l’UDF et son président veilleront avec la plus grande vigilance au respect des échéances électorales, dans le délai constitutionnel prévu et aux conditions dans lesquelles le processus électoral se déploiera.
Mon rôle n’est naturellement pas de dire aux Congolais de voter pour tel ou tel des candidats. Il est de dire que la responsabilité du pouvoir actuel est de mettre en place toutes les garanties d’un scrutin équitable. Ce qui implique que ce pouvoir sera reconduit si les électeurs sont satisfaits de lui, ou qu’il sera éconduit s’ils ne le sont pas. Ces élections sont un miroir dans lequel les démocraties pourront contempler leur propre avenir : si elles tolèrent aujourd’hui les procédés les plus douteux, il y a tout à craindre qu’elles en seront demain les victimes. Tout est lié, et les principes de la démocratie, où qu’elle soit, ne se transgressent pas. Quand ils sont menacés, ici avec le Front national, ailleurs avec des pratiques dépassées, la seule riposte est de les combattre.
Parce que le Congo est un pays en paix dans une région en plein bouleversement et qu’il doit le rester, parce que le Congo est un État francophone qui entretient avec nous des liens fondés sur l’Histoire et l’amitié, parce que « la démocratie se doit d’être une création continue », comme l’affirmait Clemenceau, j’estime que la dignité de la France, mais aussi son intérêt bien compris, résident dans la promotion d’une démocratie véritable, non dans un accommodement avec une démocratie de façade. Faute de quoi, elle prendrait le risque de voir un pays ami sombrer à son tour dans les désordres et l’anarchie. Avec toutes les conséquences humaines, économiques et stratégiques qu’on peut redouter.