Déclaration de M. Claude Malhuret, secrétaire d'État chargé des droits de l'homme, sur la situation des juifs d'URSS, à Paris le 10 septembre 1986.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Réunion du Conseil international de la Conférence mondiale pour les juifs d'URSS, au centre communautaire du CRIF à Paris le 10 septembre 1986

Texte intégral

Je voudrais vous dire combien je suis sensible à l'honneur d'être parmi vous aujourd'hui et vous remercier de votre invitation à m'adresser aux membres du Conseil international de la conférence mondiale pour les juifs d'URSS.

Cette réunion se déroule à un moment particulièrement douloureux pour la communauté juive et, au lendemain de la tragédie meurtrière d'Istanbul, il est difficile de ne pas évoquer ce drame devant vous.

Le lâche attentat, dont a été victime la communauté juive de Turquie, blesse la conscience de l'humanité toute entière.

Au nom du Premier ministre, je me suis rendu hier soir, à l'appel de la LICRA et de plusieurs autres organisations de lutte contre le racisme et l'antisémitisme, au Mémorial du martyr juif pour exprimer l'indignation du Gouvernement français.

L'indignation, et l'on aimerait trouver des mots plus forts, mais les mots deviennent presque futiles car leur escalade ne pourra jamais rejoindre l'escalade dans l'horreur à laquelle nous assistons, l'indignation nous la ressentons aussi lorsque au même moment des chrétiens sont frappés aux Philippines et lorsqu'un terrorisme aveugle frappe à nouveau dans le monde entier.

Ces attentats, il faut les condamner de la manière la plus rigoureuse. Celui de la synagogue d'Istanbul vient cruellement rappeler, telle une litanie, les trop nombreux attentats dont ont été victimes, ces dernières années, les communautés juives d'Europe.

De triste mémoire, il n'est besoin que d'énumérer le nom des principaux aéroports européens.

Ceci mène à deux réflexions en ce qui concerne la réponse que les démocraties européennes doivent apporter face au terrorisme.

Les pays d'Europe occidentale, et la France en particulier, sont des démocraties solides où le droit, la liberté et la justice ne cessent de s'affirmer.

Mais parce qu'elles protègent les Droits de l'Homme, parce qu'elles ont le souci de la vie humaine, parce qu'elles ont des traditions d'ouverture, d'accueil et de liberté, ces démocraties sont vulnérables.

Le souci de la liberté n'exclut pas cependant une politique de sécurité.

Face aux défis du terrorisme, les démocraties européennes ne sont pas dépourvues de moyens.

Un renforcement de la coopération européenne contre le terrorisme international, est d'ailleurs engagé.

Notre respect du droit, qui fait notre honneur et notre fierté, qui est le fondement de notre système social, est la cible ultime du terrorisme. Et la réponse que nous pouvons lui apporter doit s'interdire inconditionnellement de transgresser cet état de droit. C'est en cela que ce qui fait notre honneur fait aussi notre fragilité. La condition pour que cette fragilité ne se transforme pas en faiblesse, c'est un consensus solide, une détermination sans faille de l'ensemble des citoyens des pays démocratiques, au-delà de toutes les dissensions. Et en participant hier à la manifestation qui se rendait du Mémorial du martyr juif à l'Hôtel de Ville de Paris, j'ai réalisé que ce consensus, que cette détermination existaient.

À cette fermeté à l'intérieur doit aussi correspondre la fermeté de notre diplomatie à l'extérieur.

Ceci amène, sans guère de transition, à un autre sujet grave, s'agissant de la situation des juifs en URSS.

Le combat pour la défense des Droits de l'homme doit être mené non seulement en France mais aussi partout dans le monde.

La situation des juifs d'URSS s'est très nettement dégradée depuis le début de la décennie 80. Non seulement à cause du sort qui leur est réservé en Union Soviétique et du degré de discrimination dont ils sont victimes mais surtout parce que la mince soupape de liberté que constituait l'émigration a été presque complètement fermée, puisque le nombre de visas de sortie est tombé à 1 140 en 1985 alors qu'il était de plus de 51 000 en 1979.

L'accent de notre diplomatie me paraît pouvoir être porté dans deux directions :

Tout d'abord il faut que son effort vise d'une part à l'amélioration de la condition des juifs en URSS même.

Il ne faut cesser de réclamer que cesse la multiplication des entraves à l'affirmation et à la diffusion de la culture juive, ou à l'exercice de la religion israélite.

Les arrestations ou tracasseries policières touchant des enseignants d'hébreu sont condamnables en soi, mais aussi, et c'est encore plus grave parce qu'elles conduisent en fait à l'étouffement d'une culture.

Je voudrais d'un mot ici souligner également le problème que pose la violation des relations postales.

Bien que non mentionnée dans l'acte final d'Helsinki, les relations postales relèvent de la convention postale universelle dont l'URSS est signataire.

J'entends également ici porter l'accent sur cette question du secret de la correspondance qui est, d'ailleurs, inscrit dans la constitution soviétique.

Enfin, la situation matérielle des juifs, qui se sont vus refuser un visa pour Israël ou l'Occident, continue d'être aggravée par une ségrégation professionnelle.

Il ne faut cependant pas se bercer d'illusions en ce qui concerne les possibilités d'améliorer sensiblement, à brève échéance, la situation des juifs en URSS.

Les déclarations des dirigeants soviétiques sur cette situation ont été sans appel.

D'ailleurs, selon Monsieur Gorbatchev, qui ne s'est prononcé qu'une seule fois sur ce sujet à l'occasion de sa venue à Paris, « dans aucun pays du monde, les Juifs ne peuvent bénéficier d'autant de droits politiques qu'en URSS, et la population Juive, qui constituerait 0,69 % de la population totale d'URSS, y serait représentée dans la vie politique et culturelle à hauteur de 10 à 20 % au moins ! »

Je laisse ce commentaire à votre appréciation.

Je voudrais maintenant évoquer la 2e direction vers laquelle nous devons faire porter notre effort, s'agissant de la question de l'émigration des Juifs hors d'URSS.

Il faut mesurer ici aussi l'ampleur des difficultés que pose ce dossier quand on sait qu'il a fallu attendre 1986 pour qu'un ministre des Affaires étrangères française, ait pu pour la première fois remettre en mains propres, a son homologue soviétique, les listes de cas humanitaires. C'est ce qu'a fait mon collègue, Jean-Bernard Raimond, à l'occasion de la récente visite à Moscou du président de la République.

Il faut savoir que la moyenne mensuelle de l'émigration pour les premiers mois de 1986 est même inférieure à celle de 1985, ce qui montre un ralentissement de l'émigration malgré la sortie de « refuzniks » connus.

Autant dire que les chiffres de l'émigration sont homéopathiques et tendent dramatiquement vers zéro.

De quelle manière faut-il exercer notre effort pour améliorer la situation des juifs en URSS ou favoriser leur émigration ?

C'est la question que je me pose souvent et que j'ai posée personnellement à Elena Bonner lors de son récent passage à Paris.

À cette question, l'épouse de Sakharov apporte la même réponse que celle donnée par Anatoli Chtcharanski.

« Pour l'Occident, la seule façon d'obtenir la libération des Juifs d'URSS est de ne jamais cesser d'exercer des pressions sur Moscou, et de le faire savoir. »

Il faut ainsi multiplier les démarches, les contacts, les rencontres mais aussi les prises de position publiques.

La question des Droits de l'homme en URSS doit être sans arrêt évoquée par les autorités françaises au cours de leurs entretiens avec les dirigeants soviétiques, mais notre préoccupation doit également être connue de l'ensemble de l'opinion publique du monde démocratique.

Dans plusieurs réunions qui se sont tenues dans le cadre de la CSCE, les délégations françaises ont présenté des projets de recommandation sur des sujets qui intéressent au premier chef les Juifs d'URSS. Il s'agissait, à Ottawa, de la liberté religieuse, et à Berne, de deux projets sur le droit de toute personne à la délivrance d'un passeport et sur l'abolition des visas de sortie.

Dans le cadre de sa participation, au mois de novembre prochain à Vienne, à la discussion des accords d'Helsinki, la France compte en particulier évoquer à nouveau cette question. Le code de conduite établi à Helsinki doit être mieux respecté, pour permettre à un plus grand nombre de juifs d'URSS de quitter l'Union Soviétique dans le cadre de la réunification des familles, et de rejoindre les leurs en Israël ou ailleurs.

C'est aussi à l'occasion de telles rencontres que sont remises aux autorités soviétiques des listes de cas humanitaires.

Parmi les listes, que Jean-Bernard Raimond a remise à Monsieur Chevardnadze, figure en particulier le nom des Juifs soviétiques emprisonnés en raison de leurs convictions. Je voudrais citer devant vous le nom de quelques-uns de ces détenus, symbole de la persécution de toute une communauté :

– Mosche Abramov ;
– Yossif Begun ;
– Yossif Berenshtein ;
– Vladimir Brodski ;
– Youli Edelshtein ;
– Yakov Levine ;
– Vladimir Lifshits ;
– Alexei Magarik ;
– Mark Niepomiachtchi ;
– Lev Shefer ;
– Anatole Virshuvski ;
– Lev Volvovski ;
– Roald Zelichonk ;
– Zakhar Zunshain.

Il faudrait citer aussi : Ida Nudel qui, bien que sortie de prison se trouve dans l'impossibilité de rejoindre sa famille en Israël.

Depuis la première conférence mondiale en 1971, un quart de millions de Juifs environ ont pu quitter l'URSS à destination principalement d'Israël.

Des prisonniers ont été libérés et ont pu ainsi émigrer.

Qu'en est-il aujourd'hui ?

Il ne faut pas rêver. Les temps sont plus difficiles, quelles que soient les apparences produites par une propagande désormais sophistiquée et qui convainc parfois en Occident les moins lucides.

Je voudrais pourtant formuler le voeu que votre prochaine conférence, qui devrait avoir lieu en 1987, voie en particulier réglé, le sort de quelques-uns des milliers de candidats à l'émigration.

Vous pouvez, quoi qu'il arrive, compter sur mon total soutien.

Le Secrétaire d'État aux Droits de l'homme n'oublie pas les Juifs d'URSS.