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Le Figaro Magazine : L’enquête que nous avons menée sur l’angoisse des parents d’élèves montre qu’elle repose essentiellement sur cinq causes, au premier rang desquelles : la peur du chômage.
Les statistiques paraissent établir en effet un lien flagrant entre les diplômes et le taux de chômage. Mais rien n’est fait pour expliquer aux parents que l’ANPE est pleine de bacheliers et de diplômés inemployables alors que les entreprises manquent de jeunes motivés et bien formés.
Le discours enseignant sur l’importance cruciale des diplômes universitaires et le peu de valeur des formations techniques n’est-il pas en grande partie responsable d’une telle situation, gravement préjudiciable à de nombreux jeunes ?
Ségolène Royal : Je ne crois pas qu’il s’agisse de cela. Le problème découle surtout de l’institution qui sélectionne sur des critères qui n’ont pas changé depuis des années, notamment sur les maths. Ces critères privilégient beaucoup trop la mémoire répétitive et l’intelligence de limitation au détriment de la créativité. C’est pourquoi nous avons décidé avec Claude Allègre d’ouvrir un chantier pour changer ces critères, pour modifier le contenu des programmes. Un grand colloque national se tiendra bientôt sur le sujet, piloté par les meilleurs scientifiques, afin de nous aider à savoir de quel type d’instruction les jeunes ont besoin aujourd’hui pour réussir, pour créer leur emploi, pour inventer, pour occuper de nouveaux créneaux dans l’ingénierie, les sciences et les communications, le multimédia… tous ces nouveaux métiers dont on ne sait rien, qui demanderont des talents qui ne sont pas explorés ni valorisés aujourd’hui.
Dans le système actuel, les filières techniques ne sont cependant pas aussi dévalorisées qu’on le croit : le nombre des lycéens techniques et professionnels est supérieur aujourd’hui à celui des lycéens généraux, on ne le sait pas assez. Mais il y a malgré tout un problème, c’est vrai, surtout pour les CAP… Dans le film de Canal +, on entend ainsi un conseiller d’éducation ? sur le point de partir en retraite dire à une jeune fille : « Si tu ne réussies pas, on te mettra en professionnel. » On n’a pas le droit de dire des choses pareilles ; mais je pense que les conseillers d’orientation de la nouvelle génération ont été formés différemment, qu’ils ne les diraient plus, qu’ils ne les pensent même pas…
Le Figaro Magazine : Les parents sont également très nombreux à estimer que l’école demande trop peu à leurs enfants ; qu’elle les prépare mal au niveau d’exigence en vigueur dans l’enseignement supérieur et les filières d’excellence. Ne pourrait-on pas s’occuper davantage des « meilleurs » en cessant de réserver les efforts à l’intégration des plus faibles, en cessant d’aligner le niveau par le bas ?
Ségolène Royal : L’école doit effectivement pouvoir répondre aux besoins de tous, des deux côtés. L’attention qu’elle porte aux enfants les plus en difficulté se justifie pleinement c’est une exigence de justice sociale ! Faire en sorte que ces enfants trouvent leur place et ne soient pas livrés à eux-mêmes est dans l’intérêt de la société tout entière. C’est pourquoi j’ai relancé les ZEP (1) ; pour donner plus à ceux qui ont moins.
Mais je pense aussi qu’un enfant ne devrait jamais s’ennuyer à l’école ; qu’il doit pouvoir y donner la mesure de ses talents. Cela veut dire, par exemple, qu’en grande section de maternelle, les enfants qui sont en demande de lecture doivent pouvoir commencer à apprendre à lire. Et cela signifie qu’il faut encourager les « groupes de niveau » dans les classes ; le contexte nous le permet enfin puisque les effectifs des élèves ont commencé à baisser alors que le nombre d’enseignants est maintenu. L’école doit répondre aux besoins des enfants qui peuvent aller plus vite. Ou plus exactement, mieux s’adapter au rythme de l’enfant.
Le Figaro Magazine : La troisième inquiétude des parents, c’est le manque de « suivi personnalisé » des élèves. Aujourd’hui, les enseignants n’en font plus ; et pourtant, ils ont beaucoup moins d’élèves par classe qu’autrefois. Les parents se retrouvent donc obligés de passer des heures tous les soirs avec leurs enfants pour « revoir » ? ou même « refaire » ? les leçons de la journée. Une obligation que les enseignants sont d’ailleurs nombreux à exiger d’eux… Trouvez-vous cela normal ?
Ségolène Royal : Je crois que l’école a parfaitement réussi le défi de la massification : douze millions et demi d’élèves, ce n’est pas rien ! Mais je crois aussi qu’il faut maintenant qu’elle parvienne à passer un contrat individuel avec chaque élève. Cela a déjà commencé d’ailleurs : les études dirigées fonctionnent bien, les itinéraires sont de plus en plus individualisés. Les emplois-jeunes vont nous aider à accentuer encore ce mouvement en offrant davantage de soutien individuel. Et l’allègement des effectifs doit conduire de son côté à la constitution de groupes de niveau dans le primaire. La demande sociale des familles exige un meilleur suivi de chaque élève : c’est cela que l’école de l’an 2000 se doit de réussir.
Le Figaro Magazine : Les parents s’inquiètent aussi de la fatigue de leurs enfants : six heures de cours par jour, regroupés sur un tout petit nombre de jours ouvrés (173 jours par an, contre 192 de fermeture), c’est un record européen qui contribue parfois beaucoup aux difficultés scolaires des enfants. Où en êtes-vous sur la question du réaménagement des horaires et du calendrier scolaire ?
Ségolène Royal : Nous allons probablement pouvoir avancer maintenant que la guerre entre François Bayrou et Guy Drut sur le sujet est terminée (2)… Mais il s’agit d’une question délicate sur laquelle les familles ont des attentes et des avis très différents. Nous en sommes encore à évaluer les nombreuses expériences en cours sur le terrain, à étudier celles qui satisfont le mieux les intérêts des enfants… sans négliger ceux des familles et des parents.
Le Figaro Magazine : Reste le cinquième et dernier motif d’inquiétude des parents : l’orientation de plus en plus précoce et arbitraire vers une filière ou un établissement scolaire dont ils ne veulent pas. Beaucoup souhaiteraient pouvoir inscrire leur enfant dans l’établissement scolaire de leur choix, et pas obligatoirement dans celui qui se trouve le plus proche de leur domicile. Ils souhaiteraient aussi davantage de « passerelles », à toutes les étapes du parcours scolaire, afin qu’un enfant mal orienté dispose d’une ? ou plusieurs ? nouvelle(s) chance(s). Entendez-vous répondre à cette double demande ?
Ségolène Royal : L’orientation ne doit pas ressembler à une boîte noire. Et surtout, elle ne doit plus se faire par l’échec. Quand on évalue un enfant, je ne veux plus qu’on lui dise ce « qu’il est » (tu es insuffisant, tu es médiocre) mais ce « qu’il fait » (tu as réussi ça, tu pourrais essayer de faire ça). Je veux qu’on l’aide à s’appuyer sur ses acquis et sur ses qualités pour progresser. Il faut aussi que l’orientation devienne moins opaque, plus compréhensible pour ceux qu’elle concerne le plus directement. C’est pourquoi je vais demander à ce que les lycéens puissent assister à leurs conseils de classe afin qu’il y ait un réel dialogue, même si certaines choses seront sans doute un peu dures à entendre. Il faut les prendre enfin pour les adultes qu’ils sont, les traiter en acteurs de leur vie, en acteurs de leur évaluation. Il faut aussi leur offrir de nouvelles chances, à chaque étape de la vie, en multipliant les passerelles et les réorientations. En France, la religion du diplôme pèse trop lourdement sur les jeunes.
En ce qui concerne la carte scolaire en revanche, je pense qu’il est possible d’introduire davantage de souplesse, mais déroger à cette carte de façon systématique n’est pas gérable. Mieux vaut travailler à ce que tous les établissements fonctionnent bien.
Le Figaro Magazine : Vous êtes aussi mère de quatre enfants, dont le plus âgé n’est qu’en classe de 4e. Vous arrive-t-il, à vous aussi, d’être inquiète pour leur avenir ? Ambitionnez-vous un parcours particulier pour eux ?
Ségolène Royal : Je ne suis pas vraiment inquiète parce qu’ils sont contents d’aller à l’école, et c’est mon premier désir : qu’ils aiment l’école… À part ça, j’attends qu’ils soient heureux à l’école, qu’ils ne soient pas rackettés, qu’ils n’aient pas à subir de violences, qu’ils me racontent ce qui se passe. Et aussi, bien sûr, que l’école les aide à acquérir le sens de l’effort, le goût du travail, l’amour d’apprendre. Je veux qu’ils réussissent leur vie : comme tous les parents.
(1) ZEP : zones d’éducation, prioritaire. Tous situés dans des quartiers difficiles, les établissements scolaires classés en ZEP bénéficient d’importants moyens supplémentaires.
(2) NDLR : débat interrompu entre deux options incompatibles « la semaine de quatre jours » et les après-midi « sans cartable ».