Texte intégral
Le Figaro : Avec les élections, voilà donc le retour de l’union de la majorité…
François Léotard : La brièveté de la campagne, nature de nos adversaires, nos amènent, effectivement, à renforcer encore notre union, à faire fonctionner au mieux notre alliance. Cette dissolution est de ce point de vue, une chance pour la majorité. Je l’avais souhaitée, comme René Monory, Raymond Barre, Pierre Méhaignerie et bien d’autres responsables de l’UDF. Nous voulions mettre un terme à ce qui avait marqué les deux dernières années : l’empreinte tenace du premier tour de la présidentielle. Maintenant, par la décision du chef de l’Etat, c’est chose faite.
Le Figaro : Déjà fortement révisée le 26 octobre 1995, la campagne présidentielle de Jacques Chirac ne sera plus, bientôt, qu’un souvenir…
François Léotard : Tout ce que je puis dire, c’est qu’ayant approuvé les orientations prises le 26 octobre 1995, j’approuverai tout ce qui nous permettrait de nous éloigner encore d’une certaine forme d’étatisation de la société française.
Le Figaro : Mais cette dissolution ne conclut-elle pas, aussi, l’épisode balladurien ?
François Léotard : Les mots « balladurien », « léotardien », « chiraquien » ne m’ont jamais vraiment convenu. Je n’ai jamais résumé la politique à la relation entre un homme et ceux qui le suivent. C’est plus compliqué et plus vaste que cela. Je souhaite, tout simplement, qu’Edouard Balladur, qui représente beaucoup pour les Français, continue de participer activement à cette campagne. Sa voix est utile à la majorité, elle a un écho dans le pays. Nous avons besoin de lui.
Le Figaro : S’il fallait n’en retenir qu’une, quelle serait, selon vous, la raison justifiant cette dissolution ?
François Léotard : Il y a plusieurs raisons, mais si on devait n’en chercher qu’une, c’est le temps que je placerais au cœur de cette décision. En cette fin de siècle, le temps est particulièrement précieux. La France peut, grâce à cette dissolution, et si nous gagnons, être un des rares pays européens à connaître une stabilité de son exécutif et de son Parlement pendant les cinq années qui viennent. Ces cinq années sont au moins aussi importantes pour la France que ne l’ont été les années 1957, 1958, 1959, pendant lesquelles la conjugaison de phénomènes internes (l’arrivée du général de Gaulle, le début de la Ve République), et externes (le Marché commun), ont ouvert une longue période de prospérité. Pour des raisons également internes et externes, la période actuelle est vraiment cruciale pour la France. Un pays qui est gouverné en zigzags, par parenthèses, par cohabitations, est un pays qui a du mal à défendre ses intérêts. Donner au président et à la France, le temps de voir, de décider, d’agir, voilà le fond de la question.
Le Figaro : Avez-vous l’impression que les Français ont bien compris ce qui a motivé la décision du président de la République ?
François Léotard : Une interrogation a existé. Mais aujourd’hui la question n’est plus celle de la ligne de départ : c’est celle de la ligne d’arrivée. Quand le signal du départ a été donné, quand la course a commencé, trois questions se posent : qui va arriver le premier, dans quelles conditions, et que va-t-il faire de sa victoire ?
Le Figaro : En choisissant de dissoudre l’Assemblée, le président de la République n’a-t-il pas pris le risque de se retrouver au centre de la mêlée ?
François Léotard : Cette campagne n’est pas une campagne présidentielle. Ce n’est pas le troisième tour de l’élection présidentielle. Le chef de l’Etat n’est pas directement concerné, il est élu jusqu’en 2002.
Le Figaro : Jacques Chirac est tout de même fort présent dans cette campagne.
François Léotard : C’est tout à fait normal. A un moment ou à un autre, comme tous ses prédécesseurs, le président s’engagera. Il expliquera ce qu’il souhaite pour la France. Ce qui est en jeu, c’est la future majorité parlementaire et donc le gouvernement qui s’en dégagera. Car la vraie question est de savoir qui va gouverner demain. En fait, vous avez, d’un côté, deux familles qui travaillent ensemble, qui ont des valeurs communes, et qui n’ont aucun problème dans leur union : le RPR et l’UDF. Et de l’autre côté, deux familles, le PS et le PC, liées par une alliance tactique, qui ne peuvent gouverner qu’ensemble, mais ils disent à peu près le contraire l’un de l’autre sur tous les grands sujets qui intéressent le pays. Et c’est sans doute pour cela que M. Jospin a refusé un débat commun avec M. Hue, face à Alain Juppé et moi-même.
Le Figaro : Quant au premier ministre, croyez-vous vraiment que Jacques Chirac n’a pas d’ores et déjà décidé de nommer à nouveau Alain Juppé ?
François Léotard : Le président est totalement libre de son choix. Il est d’autant plus libre qu’il y a beaucoup de personnalités au sein de la majorité, ce qui n’est pas le cas à gauche. Par définition, le président de la République ne prendra sa décision qu’après avoir entendu ce qu’auront dit les Français, le 25 mai et 1er juin. C’est en fonction de cela qu’il choisira la tonalité qu’il donnera aux cinq années qui viennent. A cette tonalité doit correspondre un visage, un comportement, une femme ou un homme, avec son passé, sa culture, ses idées. Il ne faut pas laisser entendre qu’à une décision courageuse et difficile – la dissolution – ne correspondrait, ensuite, aucun événement. En juin prochain, il y aura un nouveau gouvernement, qui aura la charge de fixer des orientations, de prendre des mesures, peut-être même rapidement.
Le Figaro : Quel que soit le premier ministre nommé, après une dissolution victorieuse le risque n’est-il pas de voir la présidence de la République concentrer encore plus de pouvoirs ?
François Léotard : Depuis longtemps je plaide pour une évolution vers un régime authentiquement présidentiel. Avec un exécutif soudé autour du président, où le gouvernement est, en quelque sorte, le cabinet du régime dans lequel le Parlement a sa propre logique, beaucoup de pouvoirs, notamment le contrôle de l’administration ; des autorités locales qui, dans le cadre d’une plus grande décentralisation, ont de véritables responsabilités. Profitons de cette dissolution, de sa nouveauté, de la durée qu’elle offre, pour nous orienter dans cette direction, pour changer aussi nos méthodes de gouvernement.
Le Figaro : Pensez-vous que de telles orientations puissent se retrouver dans le programme législatif de la majorité ?
François Léotard : Les sujets que je viens d’évoquer sont de la responsabilité du président de la République. Peut-être l’exemple du quinquennat, qui figure dans le programme de l’UDF, montre-t-il d’ailleurs que, sur certains points, nous ne sommes pas tout à fait d’accord avec le RPR. Les deux formations de la majorité ont chacune leur identité et il existe des différences, parfois importantes, entre l’UDF et le RPR. L’essentiel est que nous soyons attachés à un certain nombre de valeurs. L’essentiel, c’est que ne soient pas remises en cause la vocation européenne de la France, l’économie d’entreprises, la réduction de la dépense publique, etc.
Le Figaro : Pourquoi, alors, proposez-vous un « contrat de législature » au RPR ?
François Léotard : Il faudra bien que pendant cette campagne nous nous mettions d’accord, que chaque famille accepte ce qui, venant de l’autre, est estimable, respectable, utile pour le pays. Si la majorité gagne, l’UDF entend bien participer au gouvernement. Mais pour tenir un certain nombre d’engagements et poursuivre l’évolution libérale de notre pays.
Le Figaro : « Libéral », « ultra-libéral », « pas libéral », tel semble avoir été, au moins au sein de la majorité, le premier débat de cette campagne.
François Léotard : Ne nous payons pas de mots. Seule la libération de l’économie peut permettre de créer de la richesse, de la prospérité, d’offrir du travail et une protection aux salariés. Ce qui protège vraiment les salariés, c’est la croissance, ce ne sont pas des mesures comme le contrôle des prix, l’autorisation administrative de licenciement, les nationalisations. De telles mesures sont totalement désuètes, et on a vu, à l’expérience, qu’elles ne protégeaient personne. Ce sont pourtant celles que proposent MM. Jospin et Hue.
Le Figaro : A propos, où est Alain Madelin ?
François Léotard : Il est dans la majorité, et je ne doute pas qu’il participera à la campagne de la majorité. Nous avons besoin de son talent, de sa conviction. Qu’il oriente un peu la majorité vers les thèses qui sont les siennes ne me gêne pas du tout. La majorité doit être vivante, et il faut que toutes ses personnalités puissent s’exprimer.
Le Figaro : Après avoir dit et répété pendant de longues semaines que la majorité se battrait sur deux fronts, vous avez désigné la gauche comme adversaire. Pourquoi ?
François Léotard : La dissolution et la brièveté de la campagne suffiront à monter que le Front national n’est pas une force d’alternative.
Cette campagne a une vertu forte : elle met le Front national face à sa turpitude, qui consiste à être une machine à fabriquer des députés socialistes, à être, nolens volens, une force d’appoint du Parti socialiste. Le vrai débat, c’est un débat droite-gauche.