Texte intégral
G. Leclerc : Remaniement ou dissolution, qu’est-ce qui vous paraîtrait le plus souhaitable et est-ce que vous y croyez ?
P. Méhaignerie : Je n’ai aucune confidence mais je suis convaincu que la dissolution présente pour le pays plus d’avantages que d’inconvénients, pour deux raisons essentielles. La première, c’est que nous entrons dans des négociations européennes difficiles où la France doit avoir un gouvernement stable dans le temps. Et la deuxième raison, elle tient au phénomène d’attentisme qui précède les périodes électorales. Au moment où nous retrouvons la croissance, je pense que là aussi, la dissolution permettrait ensuite d’accélérer la croissance et donc le retour à l’emploi.
G. Leclerc : N’y a-t-il pas des raisons moins avouables comme par exemple la situation économique qui va s’aggraver, par exemple des affaires politiques qui vont arriver ou la faiblesse de la gauche actuelle ?
P. Méhaignerie : Ça je n’en sais rien mais je pense qu’il y a autant de chance pour l’un que pour l’autre de gagner et nous allons plutôt, dans l’année qui vient, vers une amélioration de la situation économique. Donc on peut penser aussi qu’au mois de mars 1998, les éléments seraient, sur le plan économique, plus favorables qu’ils ne le sont aujourd’hui.
G. Leclerc : Ce n’est quand même pas dans la tradition française, une dissolution à froid. Cela ne risque pas d’apparaître comme une manipulation politicienne ? On voit déjà les arguments des socialistes : vous votez aujourd’hui, vous aurez les difficultés demain.
P. Méhaignerie : Oui mais dans les conversations privées, on s’aperçoit qu’eux-mêmes se posent des questions. Moi je crois et je reste convaincu que sur le plan de la croissance, ce serait plutôt une bonne chose.
G. Leclerc : Le Président de la République serait en situation très difficile si la majorité perdait les élections législatives ?
P. Méhaignerie : Je crois que les Français sont habitués, même si on peut le regretter, à la cohabitation. Et je pense que s’il y avait une nouvelle Assemblée nationale différente, l’opinion publique attendrait que cette nouvelle Assemblée respecte le Président de la République.
G. Leclerc : En tous cas, le remaniement ne vous paraît pas très intéressant ?
P. Méhaignerie : Je ne vois pas tellement son intérêt parce qu’à huit, dix mois des élections, les marges d’action d’un membre du Gouvernement sont quand même limitées.
G. Leclerc : Il y a quand même des difficultés budgétaires puisque la direction du Budget annonce que le déficit est sur une pente de 3,8%, c’est-à-dire plus que les 3% du fameux critère de Maastricht, de même que le déficit de la Sécurité sociale aurait tendance à déraper. Est-ce tout cela ne veut pas dire que rapidement, il va falloir prendre de nouvelles mesures de rigueur ?
P. Méhaignerie : Je crois qu’il est vraiment trop tôt pour porter un jugement définitif au début du mois d’avril. Tous les ans, je le constate, il y a les mêmes difficultés à cette période de l’année. Mais c’est vrai, s’il fallait porter un léger jugement, bien que ce soit de la hauteur du trait du déficit par rapport à la masse du Budget et des dépenses de la Sécurité sociale, c’est vrai que les recettes rentrent un peu moins bien que ce qui avait été prévu. Mais cela dit, nous sommes au début du mois d’avril et chaque année, depuis deux ou trois ans, je fais le même constat.
G. Leclerc : Mais si cela se confirme, il faudrait prendre des mesures d’économies et de rigueur ?
P. Méhaignerie : Je crois que l’objectif des 3% est important. C’est une question de bonne gestion et les dépenses publiques dans ces dix dernières années ont dérapé en France et elles expliquent la progression, pour une grande part, de notre situation en terme d’emplois. Tous les pays qui ont maîtrisé leurs dépenses publiques et qui gèrent mieux leur État ont des résultats en terme d’emploi. Donc je crois que c’est une ligne qu’il faut poursuivre et qui, à terme, rapportera.
G. Leclerc : Hier, vous avez discuté du programme de l’UDF. Comment marquer votre identité, notamment face au RPR ?
P. Méhaignerie : Tout d’abord, il faut être humble quand on fait un programme politique et en même temps se fixer des objectifs parce que celui qui ne fixe pas d’objectifs ne risque pas de les atteindre. Quand je regarde les pays européens, je constate que la voie libérale et sociale est celle qui aujourd’hui apporte le plus de résultats.
G. Leclerc : Mais ce n’est pas contradictoire, justement, libérale et sociale ?
P. Méhaignerie : Pas du tout, parce que je pense qu’aujourd’hui, pour avoir un projet social, il faut faire des réformes de type libéral et bien entendu avec l’orientation européenne. Je prends deux exemples : l’allègement des charges sociales sur les salaires est là aussi une condition de création d’emplois. Toutes nos recettes de croissance doivent aller à la diminution des charges sociales qui pèsent sur le salaire. Moi je suis pour la franchise des 1 500 premiers francs de toute cotisation sociale. Et la deuxième voie qui est à mon avis importante, c’est le pari de la proximité et du local. Tout vient d’en haut, tout remonte à Matignon, on attend trop de l’État et pas assez de soi-même. Je crois que ce pari de la proximité, cette réforme du système public, est un élément important. Pour cela, il faut aussi un pacte social pour donner aux Français, et particulièrement à ceux qui souffrent, les sécurités minimales et faire en sorte que l’argent ne soit pas un facteur discriminant d’accès à certains services.
G. Leclerc : Vous êtes président de la commission des Finances. Il semblerait que le statut fiscal des footballeurs pose problème à un certain nombre de députés de la majorité ?
P. Méhaignerie : En l’état actuel du projet, il n’y a pas beaucoup de parlementaires qui sont prêts à soutenir ce projet qui nous paraît discriminant. Pourquoi les footballeurs, pourquoi pas les écrivains, pourquoi pas les créateurs qui sont dans la même situation ? Je crois que dans le texte actuel, il y aura plus de critiques que de satisfecit.
G. Leclerc : Donc, le Gouvernement devra revoir sa copie ?
P. Méhaignerie : Certainement.
G. Leclerc : La loi sur la cohésion sociale, on entend un certain nombre de gens qui se disent déçus relativement au manque d’ambition, d’ampleur, qui devait répondre à la fameuse fracture sociale.
P. Méhaignerie : Moi, je donne rendez-vous dans deux ans. Ceux qui sur le terrain se battent auront avec ce texte un cadre de travail efficace. Ceux qui ne veulent rien faire et qui attendent tout de l’État bien entendu, n’auront pas tous les moyens qu’ils souhaitent avoir à leur disposition. Mais pour moi, dans mon département, je remarque qu’avec ce texte je pourrai travailler plus efficacement pour lutter contre l’exclusion.