Texte intégral
Q. Vous venez d'adresser une circulaire aux préfets sur l'ensemble du territoire au sujet de la violence des jeunes dans certains quartiers. Il y a des quartiers sensibles qui vont être placés sous haute surveillance ?
R. "Il y a déjà depuis plusieurs années, environ un millier de quartiers qui sont placés sous observation par la direction centrale des Renseignements généraux. Et ce que l'on constate, c'est une explosion des faits de violence urbaine. Relativisons les choses, ce n'est qu'une petite partie de la délinquance ; néanmoins ces faits de violence urbaine sont passés de 3 466 en 1993 à 15 791 en 1997, cela veut dire une multiplication par plus de quatre. C'est intolérable. Il faut donc réagir et c'est l'objectif de la circulaire que j'ai signée avant-hier."
Q. Alors là, vraiment, des grands moyens, parce que vous parlez même de l'utilisation des moyens audiovisuels les plus perfectionnés jour et nuit pour surveiller à distance ?
R. "Y compris caméras infrarouges, de façon à en effet identifier les auteurs de ces violences urbaines, à réaliser des interpellations en flagrant délit, dans des conditions de sûreté maximale, de telle sorte que le traitement judiciaire puisse s'ensuivre rapidement."
Q. Vous fixez même un objectif, la mise en cause accrue des jeunes délinquants, pourquoi ?
R. "Mais parce que je pense qu'ils sont une petite poignée qui rendent la vie absolument insupportable dans certains quartiers. Ils sont quelques-uns et ce sont ceux-là qu'à mon sens, il faut savoir éloigner pendant un temps pour que le quartier retrouve sa tranquillité. Je voudrais être précis, la solution pour moi à terme, c'est la police de proximité. Mais dans l'immédiat, il faut réagir et il faut réagir énergiquement."
Q. Il y a beaucoup de plaintes que l'on reçoit ici à RTL de personnes qui habitent dans ces quartiers et qui disent : tout cela c'est bien gentil mais quand on les appelle, les policiers ne viennent pas, ils ont déserté nos quartiers. Ils ont peur.
R. "Pas du tout, je crois que c'est un problème de moyens, les instructions ont été données pour que les unités soient renforcées dans les zones sensibles pour que des moyens mobiles soient utilisés. On ne peut pas accepter que, comme l'an dernier, il y ait eu dans ces quartiers difficiles 15 jeunes qui soient morts - en 1997 - et 1 973 blessés. Je rappelle que le nombre des blessés était de 983 en 1994 et il n'a cessé de monter depuis quatre ans. Quand on voit une situation qui se dégrade, il faut réagir vite, même si nous savons qu'un traitement véritable passe par le rétablissement de l'idée de citoyenneté, par l'éducation - dont la crise est à l'origine de tout"
Q. Parlons maintenant des immigrés. L'autre soir à Marseille, vous avez été pris à parti par des partisans des sans-papiers, on a même été surpris d'ailleurs aussi ; on s'est dit : tiens le ministre de l'Intérieur, sa police ne le protège pas réellement ?
R. "Je pense que si vous avez regardé le rush, comme on dit, c'est-à-dire le film - et moi je l'ai regardé -, vous voyez au contraire que tout ça se passe très gentiment et même si gentiment que vous avez l'impression qu'il ne s'est rien passé."
Q. Il y a eu des frôlements agressifs ?
R. "Des frôlements, exactement. C'est un incident électoral, ne dramatisons pas. Sauf que je voudrais dire que si j'écoutais les tenants des sans-papiers, de la régularisation pour tous, etc., j'ouvrirais évidemment un boulevard au Front national."
Q. Vous pensez que la cathédrale d'Evry, qui est occupée par quelques sans-papiers, peut devenir un nouveau Saint-Bernard ?
R. "Ca, c'est une affaire qui relève uniquement des autorités diocésaines qui ont elles-mêmes annoncé par avance qu'elles allaient accueillir ces pèlerins d'un nouveau genre. Donc c'est leur affaire. Cette cathédrale, comme vous le savez, est une propriété privée, elle vient d'être construite, c'est une remarquable réussite architecturale mais ils sont chez eux."
Q. Tout de même, vous vouliez faire en sorte, avec vos projets de loi sur la nationalité, avec votre circulaire sur la régularisation possible pour un certain nombre de sans-papiers, que l'immigration ne soit plus au centre de la vie publique ; est-ce que cela n'est pas raté, parce qu'elle est toujours là ?
R. "Non, je crois au contraire que ce problème a été traité avec le minimum de passion - la raison l'a emporté. Le Parlement, en deuxième lecture, a approuvé à nouveau le projet. Je crois que les passions ont été contenues dans le bocal, enfin dans l'hémicycle, si vous voulez, et que tout le monde comprend bien qu'autant il faut faire droit à un certain nombre d'exigences familiales - le droit de vivre en famille -, autant on peut sur l'asile être humain, autant par exemple il n'est pas possible de renoncer à la maîtrise des flux migratoires. Aucun parti d'ailleurs, je le précise, aucun parti, même les Verts, même le Parti communiste ne se prononce contre la maîtrise des flux migratoires, ils sont tous pour. Sauf que, quand il faut passer aux moyens, alors là on ne voit plus personne. Donc je crois qu'il faut quand même être cohérent, c'est un gouvernement responsable, un gouvernement qui se détermine à l'aune des intérêts de la France mais qui ne méconnaît pas les exigences de l'humanité, qui peut seul faire obstacle justement à la démagogie de l'extrême droite souvent sur ce sujet relayée par une partie de la droite."
Q. Les élections régionales. L. Jospin dit : dans le fond, ça ne serait pas mal que mon gouvernement reçoive un appui ; c'est ça, l'enjeu ?
R. "Je pense en effet que si, comme je le crois, les électeurs se prononcent pour les listes de la gauche plurielle, et pour les candidats de la gauche aux cantonales, eh bien ce sera un appui apporté au Gouvernement, ça lui donnera un élan nouveau pour relever..."
Q. Pour faire quoi ?
R. "Pour relever les défis qui sont devant nous, c'est-à-dire réorienter la construction européenne, faire reculer le chômage, donner le prima à la croissance, rétablir ces notions de citoyenneté que j'évoquais tout à l'heure, bref sortir un petit peu le pays de l'ornière dans laquelle il était enfoncé."
Q. Mais sur le chômage, par exemple, est-ce que la gauche a mis des choses honnêtes ? Regardez, Renault fait des bénéfices cette année, + 5 milliards de francs ; vous, vous vous situez de quel côté ? Du côté de M. Pierret qui dit : il faut qu'une entreprise puisse rester compétitive et donc les plans sociaux prévus chez Renault sont assez logiques, ou bien de R. Hue : qui dit non, non, moratoire sur tout ça ?
R. "Je pense qu'aucune de ces deux thèses ne doit être opposée à l'autre, il faut que les entreprises..."
Q. Vous êtes centriste au sein de la gauche ?
R. "Non ! Je dirais qu'il faut que les entreprises soient compétitives, fassent des bénéfices pour investir et pour embaucher, voilà. Par conséquent, il faut que les entreprises embauchent et ne débauchent pas systématiquement. Et je pense en effet que les entreprises qui font des bénéfices doivent avoir le souci d'appliquer par exemple les 35 heures et non pas se lier, comme M. Seillière les avait appelées à le faire, contre pas tellement les 35 heures mais contre L. Jospin."
Q. Mais M. Schweitzer, le président de Renault dit : 35 heures, ça va amputer la compétitivité des entreprises et en particulier de la mienne.
R. "Ecoutez, il a dit qu'il gérerait son problème et qu'au niveau des effectifs, ça passerait."
Q. L'opposition dit : si les régionales passent à gauche, ça va être du tout à gauche, Gouvernement + régions, ça va être une catastrophe.
R. "Vaste rigolade. Actuellement, vous savez que 20 régions sur 22 sont détenues par la droite, que 80 départements sont détenus par la droite. A ma connaissance, le Président de la République n'est pas devenu un homme de gauche, le Sénat est majoritairement à droite, il l'est d'ailleurs structurellement et que même au Conseil constitutionnel, il y a une majorité qui est plutôt à droite. Donc je dirais que s'il faut rééquilibrer les choses, il faut permettre à la gauche de disposer dans le pays de relais qui ne lui permettent pas exemple de mener la politique des emplois-jeunes."
Q. Comment vous entendez-vous à gauche ? Récemment, vous avez défini le Gouvernement comme une ménagerie somme toute assez sympathique ; il y a des rugissements ou des feulements dans les délibérations gouvernementales ?
R. "Disons qu'il y a dans une ménagerie toute sorte d'animaux mais c'est la diversité qui..."
Q. Qui sont les fauves ?
R. "Ecoutez, moi je ne suis pas un fauve bien qu'ayant été autrefois maire de Belfort - enfin autrefois, il n'y a pas si longtemps. Je ne suis pas un fauve, non, j'assure disons la sécurité des autres animaux qui ont un tempérament quelquefois plus fantaisiste. Je dirais qu'il y a de tout, d'ailleurs il ne faut pas croire qu'il n'y a que des mésanges."