Interview de M. Alain Madelin, président de Démocratie libérale, à RTL le 12 octobre 1999, sur ses réactions après la catastrophe ferroviaire survenue à Londres, la privatisation des chemins de fer britanniques, sur le PACS et ses propositions pour réformer l'enseignement en particulier l'abolition de la carte scolaire.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

Texte intégral

Olivier Mazerolle : Après la catastrophe ferroviaire de Londres, les privatisations et l'excès de libéralisme sont mis en accusation.

Alain Madelin : Surtout en France ! En France, lorsque vous énoncez des idées qui sont extrêmement banales par rapport à ce qui est pratiqué dans le reste du monde - mon libéralisme, somme toute, est un libéralisme bien tempéré -, vous vous faites aussitôt remarquer par une sorte de refus de comprendre, d'analyser, de la part de la société française, une sorte de médiatiquement correct qui a besoin de bouc-émissaire et qui refuse…

Olivier Mazerolle : L'accident c'est une réalité tout de même ! Et la presse britannique dit la même chose.

Alain Madelin : Ce n'est pas tout à fait exact, si vous lisez la presse britannique. En France, il y a une exploitation politique d'une tragédie, absolument scandaleuse. Lorsqu'il y a un accident de chemin de fer en France, à la SNCF, je ne dis pas : “C'est la faute du service public” ! Il ne faut pas se tromper, s’agissant de l'Angleterre. Ce n'est pas la privatisation qui est responsable du mauvais état des voies britanniques. C'est parce que les voies britanniques étaient en mauvaise état depuis 40 ans que l'on a privatisé. C'est cela la réalité. On ne peut pas tenir rigueur aux compagnies privées de ne pas avoir réparé en trois ans les dégâts d'un abandon de 40 ou 50 ans.

Olivier Mazerolle : Tout le monde souligne, y compris en Grande-Bretagne, que la société Railtrack était beaucoup plus soucieuse de faire des bénéfices que d'assurer la sécurité des voyageurs ?

Alain Madelin : La société Railtrack avait prévu un plan d'investissement de 270 milliards sur 10 ans. C'est considérable ! Et les compagnies privées - les 60 compagnies privées dont parlait Hollinger tout à l’heure -, bien conscientes des problèmes de temps, avaient développé depuis quelques temps une campagne de publicité commune : “Merci de votre patience.” Alors, vraiment, dire aujourd'hui que la sécurité - dont on ne connaît pas exactement l’état - c’est le résultat de la privatisation, c'est absurde ! C'est comme si vous disiez, lorsqu'il y a un accident aérien : “C'est le résultat de compagnies privées aériennes”. Ça ferait rire le monde entier si l'on disait ça. En réalité, la privatisation, à mes yeux, n’affaiblit pas la sécurité mais au contraire la renforce. Car, une société privée qui négligerait la sécurité mettrait en jeu son existence même et pourrait disparaître. Ce qui n'est pas le cas d'une société privée. »

Olivier Mazerolle : Quand R. Barre dit : « Attention à l'excès d'idéologie, il faut faire prévaloir l'intérêt collectif », il est médiatiquement correct ?

Alain Madelin : Si on ne parlait que d’idéologie ! Attendez, R. Barre c'est toute une époque. Même D. Cohn-Bendit - même D. Cohn-Bendit ! - dit qu’il faut privatiser les chemin de fer et privatiser l'électricité. Il y a quelque temps, on nous disait exactement la même chose s'agissant du téléphone : « Mais, il y a un service public à la française ...

Olivier Mazerolle : Aujourd'hui, vous pourriez encore dire : « Il faut privatiser les chemin de fer en France », malgré l'accident de Londres ?

Alain Madelin : Bien sûr ! Je vous assure, faites un sondage ! Une majorité des Français est pour l'ouverture à la concurrence et la privatisation totale ou partielle des chemins de fer, parce qu'ils savent très bien que la concurrence cela améliore le service, parce qu'ils en ont marre des grèves à répétition, parce que ce sont des gens qui n'ont pas de voiture de fonction et qui marchent les jours de grève. Donc, je maintiens, je dis et je persiste qu'il faut vivre en se mettant à l'heure du monde. Il faut arrêter cette exploitation tout à fait scandaleuse, les clichés les plus éculés que l'on voit aujourd'hui en France par des médias gavés de pensée unique.

Olivier Mazerolle : Le PACS : vous étiez, vous-mêmes, plutôt favorable, et finalement vous avez renoncé à voter pour et vous vous abstenez ! Cela veut dire que le conformisme existe dans l’opposition ?

Alain Madelin : Je pense que le PACS c'est une mauvaise réponse, c'est un vrai problème - le problème des couples homosexuels - un vrai problème quotidien. C'est une mauvaise méthode de la part du gouvernement d’en avoir fait un texte idéologique. C'est un mauvais débat où l'on a entendu de part et d'autres beaucoup d'excès. Ma proposition est simple. Je ne zigzague pas. Je dis simplement depuis le début qu'il y a des problèmes, il faut les regarder en face, on ne va pas jouer les hypocrites. Un certificat de vie commune délivré en mairie et ouvrant des droits ici et là, au gré des lois de finances ou des lois sur l’immobilier, que sais-je encore, eut été la bonne solution. Je n'ai pas changé d'avis. Je dis que ce n'est pas un bon texte. C'est pour cela que je m'abstiens. Mais c'est un vrai problème et cela ne mérite pas qu'on l’est abordé avec autant d’excès.

Olivier Mazerolle : L’école : les lycéens maintiennent leur projet de manifestation contre A. Allègre, pourtant celui-ci a décentralisé, il demande aux recteurs d'agir, il leur donne plus d’autonomie.

Alain Madelin : Tenez, voilà encore un bel exemple de pensée unique ! Nous avons, avec les libéraux, organisé des débats pour dire : « On va faire comme les autres, comme les italiens, les espagnols, comme les anglais. On va essayer de faire bouger l'éducation nationale. » Parce que c'est un formidable défi. Il y a des injustices aujourd’hui ! L'école n'est plus l'ascenseur social, il n'y a plus d'égalité des chances, c'est profondément scandaleux ce qui ce passe ! Il y a des écoles qui sont plus mauvaises que d'autres et les enfants sont en quelque sorte assignés à résidence dans ces mauvaises écoles. Donc, on va essayer de faire bouger le système.

Olivier Mazerolle : Ce n'est pas ce que fait C. Allègre ?

Alain Madelin : Lui, il fait bouger les lycéens, ce n'est pas tout à fait la même chose.

Olivier Mazerolle : Tout de même, il a donné l'autonomie aux recteurs !

Alain Madelin : Sur le recrutement des professeurs, je dis qu'il faut donner une véritable autonomie aux établissements qui le souhaitent. Si les équipes dirigeantes d'un établissement, les enseignants veulent faire une autre école, il faut qu'il puisse avoir une immense liberté des moyens : statut d'autonomie avec financement garanti proportionnel aux nombres d'élèves accueillis. C'est comme cela que l'on fait bouger l’éducation. Il faut s'attacher aux résultats, être très vigilants sur les résultats et donner une très grande liberté en ce qui concerne les moyens. Je ne propose pas une grande réforme, un Grand soir de l'Éducation nationale, ce serait absurde, je propose en réalité une révolution tranquille, une méthode pour faire bouger l'Éducation nationale et pour rétablir l'égalité des chances. J'en ai un peu marre de ce discours hypocrite de tous ces ministres qui nous expliquent : “Vive le service public, vive l'école laïque”, que sais-je encore, et qui mettent tous leurs enfants dans des écoles privées.

Olivier Mazerolle : Vous êtes pour l'abolition de la carte scolaire qui oblige à aller à l'école de son quartier, mais A. Juppé vous dit : « Il ne faut pas toucher à cela, c'est un facteur d’égalité. »

Alain Madelin : D’abord, ce n'est pas un point de départ, c'est un point d'arrivée que de supprimer progressivement la carte scolaire. La carte scolaire est facteur d'inégalités. Des enfants sont enfermés aujourd'hui dans de mauvaises écoles, ils voudraient bien en sortir eux, et ne peuvent pas en sortir. En revanche, les enfants des classes un peu privilégiées réussissent toujours en changeant de domicile avec une affectation fictive, avec un coup de piston ou avec une bonne orientation en choisissant telle option, ils réussissent à changer d'école. Je trouve que ça n'est pas juste et qu'il y a besoin aujourd'hui de donner la même liberté à tous. Encore une fois, c'est un point d’arrivée, ce n'est pas un point de départ. Le point de départ c'est de faire bouger l'Éducation nationale et pour faire bouger l'Éducation nationale, donnons aux enseignants et aux chefs d'établissement qui le souhaitent, qui veulent faire une meilleur école, les moyens, la liberté de faire cette meilleure école.