Interview de M. Hervé de Charette, ministre des affaires étrangères, accordée à plusieurs radios le 2 mars 1997, sur son prochain voyage au Proche-Orient.

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Circonstance : Voyage de M. de Charette au Proche-Orient (Israël, Syrie et Liban) du 2 au 6 mars 1997

Texte intégral

Q. :  Avez-vous le sentiment de pouvoir faire avancer les choses entre Syriens et Israéliens ?

R. : Je me rends en Israël, en Syrie et au Liban pour une visite d’amitié et de travail et pendant laquelle, bien entendu, je ne manquerai pas d’évoquer le processus de paix. Il est vrai qu’à la suite de l’Accord d’Hébron, sur la voie palestinienne, il y a eu des progrès importants qui ont été accomplis ou engagés mais il est vrai ainsi que la voie syro-libanaise est aujourd’hui en panne. Par conséquent, il faut joindre nos efforts et la France y apportera tout son concours pour essayer de débloquer les choses et ouvrir cette voie.

Q. : Est-ce votre objectif dans le cadre de cette nouvelle tournée au Proche-Orient ?

R. : Oui, c’est l’un des objectifs que je poursuis. Ce n’est pas le seul. Je souhaite, non pas aboutir demain à une reprise de ce processus, mais rechercher comment ce processus de paix, entre les Israéliens d’un côté et les Syriens et Libanais de l’autre, pourrait reprendre dans un avenir proche.

Q. : Pensez-vous que l’actualité autour de Jérusalem peut compliquer l’avenir de la paix au Proche-Orient ?

R. : Il est clair que la création de nouvelles implantations à Jérusalem-Est, que la France regrette comme d’ailleurs, je l’ai observé, les Etats-Unis et la communauté internationale, constitue certainement une difficulté supplémentaire.

Q. : Y a-t-il du nouveau concernant les possibilités de discussions avec les Syriens ? Vous avez rencontré longuement cette semaine les dirigeants syriens. Le président Chirac a parlé au président Assad. Quelque chose se passe sur le terrain, de façon très sérieuse. La demande syrienne, pour recommencer là où les pourparlers se sont arrêtés, a-t-elle réitérée ?

R. : Il est un fait que la France est désormais un partenaire actif du processus de paix. Nous y travaillons et nous nous sentons pleinement engagés en raison des liens que nous avons avec ces pays concernés dans cette partie du monde. Vous avez fait allusion aux très nombreux contacts que nous avons eus au cours de cette dernière semaine, aussi bien le président de la République que moi avec les dirigeants de tous les pays de la région, que ce soit Israël, la Syrie, le Liban, l’Egypte, la Jordanie. Je crois néanmoins que la difficulté reste grande et qu’il y a, à l’heure où je vous parle, un écart encore très important entre les positions israéliennes d’un côté et les positions libano-syriennes de l’autre.

Q. : L’écart diminue-t-il depuis un mois, ou quelques semaines ?

R. : Je n’ai pas l’impression qu’il y ait aujourd’hui beaucoup de mouvements, mais au terme de la tournée que j’entreprends, j’y verrai certainement plus clair à ce sujet.

Q. : Venez-vous avec des propositions nouvelles ?

R. : Je viens avec à la fois la bonne volonté française pour aider à la paix, et la détermination de la France d’occuper pleinement son rôle dans cette partie du monde.

Q. : Avez-vous un message particulier que le président Chirac enverrait par exemple au Premier ministre Netanyahou ?

R. : Merci de votre suggestion, j’arriverai certainement avec un message très fort, de la France, du président de la République, pour contribuer à faciliter la reprise du dialogue.

Q. : Avec des propositions précises ?

R. : Les propositions que nous ferons seront d’abord des propositions de travail, une disponibilité et une écoute à l’égard des uns et des autres pour essayer d’enclencher à nouveau ce processus de paix.

Q. : Ce qui pourrait aboutir par exemple sur une réunion à Paris ?

R. : Je vois que vous avez des idées vous-même, mais moi je vais y aller avec les miennes.

Q. : Que pouvez-vous faire pour dissiper les malentendus à l’égard de votre position quant à la proposition israélienne « Liban d’abord » et dans quelle condition la France est-elle prête à participer aux garanties de sécurité au Liban-Sud ?

R. : Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, je crois que pour parvenir à la paix, il faut prendre les choses de façon globale avec la Syrie et le Liban. Je crois que toute autre voie serait malheureusement vouée à l’impasse. Lorsque le processus de paix aura repris et que l’on apercevra les solutions appropriées, si l’un ou l’autre des partenaires souhaite une contribution française, la France a toujours dit qu’elle serait, le moment venu, prête à l’apporter. Vraiment, je crois que ce n’est pas d’actualité. Nous voulons rechercher avec détermination, avec une bonne foi mutuelle, comment reprendre ce processus.

Q. : On n’était pas très content, paraît-il, quand à la longueur de votre visite ?

R. : Il ne faut pas attacher d’importance à un propos tenu par un fonctionnaire qui ne m’a pas paru représenter le point de vue de son gouvernement.

Mon séjour en Israël sera en effet assez long puisque j’arrive lundi dans l’après-midi et que je repars 48 heures après. J’ai bien l’intention de rencontrer des personnalités en Israël, non seulement le Premier ministre et mon collègue et ami, David Levy et des représentants des Autorités d’Israël mais aussi, des dirigeants de l’opposition et des représentants de la société civile. Je veux saisir l’occasion de ce voyage pour en faire une occasion de dialoguer avec la société israélienne. Je souhaite vraiment investir beaucoup d’efforts dans l’établissement durable, stable, permanent, d’une relation forte et amicale entre la France et Israël.

Q. : Les réserves américaines, quant à une politique européenne et surtout française active et dynamique, ne risque-t-elle pas d’être accentuées avec l’arrivée de Mme Albright dans la nouvelle équipe américaine ?

R. : La France, ayant été longtemps absente de cette partie du monde au cours des dernières années, j’ai observé que nos premières démarches ont été accueillies avec parfois scepticisme, parfois même une certaine hostilité. Je crois que les choses ont changé et je ressens maintenant une compréhension mutuelle beaucoup plus forte, notamment avec nos partenaires et amis américains. Puisque vous m’en donnez l’occasion, je voudrais dire que nous ne méconnaissons pas le rôle majeur des Etats-Unis dans cette partie du monde, où les Américains ont des intérêts vitaux. En même temps, nous pensons que la France et l’Europe ont aussi des intérêts vitaux dans cette région, des liens très profonds et très anciens avec l’ensemble des pays et des peuples qui y vivent, et que nous pouvons apporter une contribution forte à la recherche de la paix et au développement de cette région, contribution évidemment complémentaire de celle des Etats-Unis.

Q. : Quand avez-vous été en Israël pour la première fois ?

R. : La première fois que je suis allé en Israël ce devait être en 1959. J’avais 20 ans et j’étais étudiant. Je suis venu passé un séjour assez long, somme toute, dans un kibboutz de Hanita à la frontière libano-israélienne. J’ai gardé un souvenir extraordinaire de cette période car j’avais été très enthousiasmé par l’esprit particulier que j’ai trouvé dans ce kibboutz. C’étaient des hommes et des femmes jeunes qui, tous et toutes, venaient d’ailleurs, très souvent de France. C’était un kibboutz surtout fait d’Israéliens originaires de France. Ils avaient choisi de consacrer leur enthousiasme et leur vie à la création de ce jeune Etat d’Israël. Ils partageaient, non seulement, le temps de travail mais aussi la vie familiale. J’avais trouvé tout cela très impressionnant, très enthousiasmant. J’en ai gardé un souvenir très fort.

Q. : Êtes-vous content de l’image de la France aujourd’hui surtout après tout ce qui se passe autour de cette loi sur l’immigration et des réussites de M. Le Pen ? Percevez-vous en tant que ministre des Affaires étrangères un changement d’image ?

R. : Je crois qu’il faut se méfier des modes et des situations préjugées d’avance. Je passe le plus clair de mon temps à l’étranger. Ce qui me frappe, c’est la considération, l’estime dont la France est entourée et cette espèce d’attente qui se dirige vers nous, dans un monde unipolaire. Je vois beaucoup de peuples jeunes émergents qui se tournent vers l’Europe, qui attendent beaucoup de l’Europe et qui regardent particulièrement vers la France, pas seulement bien sûr, mais probablement grâce à notre Histoire, aux messages que nous avons portés traditionnellement au monde dans le domaine des Droits de l’Homme, des valeurs de démocratie, etc. Tout cela donne à la nation française un éclat particulier dans la vie internationale et je le crois, un poids qui dépasse les 58 millions d’habitants qui peuplent notre pays.

Q. : Justement, ce qui se passe aujourd’hui n’abîme-t-il pas cette image ?

R. : Non. Tous les pays ont leurs extrémistes, je n’en connais pas où il n’y ait pas d’extrémistes. En Israël aussi, il y a des extrémistes. Chacun doit faire avec et essayer de se battre pour que ce soient les valeurs de modération et de démocratie qui l’emportent. C’est ce que je fais en France.