Texte intégral
O. Mazerolle : La dissolution semble être désormais plus qu’une rumeur, le Président réfléchit, nous a appris hier l’Élysée ?
A. Lamassoure : Oui.
O. Mazerolle : Mais je vous trouve bien coi !
A. Lamassoure : Le porte-parole du gouvernement n’a rien à dire sur ces décisions – qu’il s’agisse de dissolution ou de remaniement – qui ne dépendent que du président de la République. Pour ne parler que de la dissolution, je voudrais rappeler deux choses : un, d’après la Constitution, c’est un droit qui est donné au Président – article 12 –, il peut l’exercer n’importe quand. Il n’a pas à le justifier juridiquement. Il suffit qu’il demande des avis, qu’il consulte notamment les présidents des assemblées. Et, de la même manière, pour le remaniement, le remaniement ou le changement de gouvernement est décidé par le président de la République, en accord avec le Premier ministre. La deuxième chose que je voudrais dire, c’est que, lorsque ce genre de décision est prise, en général, pour qu’elle soit pleinement réussie, il est souhaitable qu’il y ait un effet de surprise. C’est ce qui s’est produit au mois de novembre 1995 quand le Président et le Premier ministre ont décidé un changement important au gouvernement, à un moment où personne ne s’y attendait.
O. Mazerolle : Tout de même, est-ce que cela peut durer longtemps comme cela : un Président qui réfléchit, des ministres qui en parlent – François Bayrou notamment – et une majorité qui ne pense qu’à cela ?
A. Lamassoure : Combien de fois le problème s’est-il posé depuis six mois ? Moi, j’observe que chaque fois qu’il y a une rentrée parlementaire, pratiquement une fois par mois, il y a des bruits de remaniement, de changement politique.
O. Mazerolle : Là, vraiment, tout le monde y va de son couplet et tout le monde a son avis sur la question.
A. Lamassoure : Le seul qui décide, c’est le Président. Si le Président était amené à décider, c’est lui qui l’annoncera. D’ici là, tout ce que peuvent dire les uns et les autres, dans le microcosme, relève du café du commerce.
O. Mazerolle : Parlons quand même stratégie. En quoi la dissolution pourrait-elle correspondre à l’intérêt du pays ? Je ne vous demande pas d’annoncer la dissolution mais en quoi, si cette décision était prise, pourrait-elle être prise dans l’intérêt du pays ?
A. Lamassoure : Dans les pays comme la Grande-Bretagne où la dissolution est possible, on y a recours assez fréquemment pour anticiper les élections, tout dépend de la gestion du temps que l’on a devant soi et de l’idée qu’on s’en fait. À l’heure actuelle, la majorité depuis l’élection présidentielle est en place depuis deux ans, elle a engagé des réformes importantes de la Sécurité sociale, de notre système de défense. Elle a décidé d’autres réformes qui vont commencer à entrer en application d’ici la fin de l’année, je pense à la réforme des universités et à la réforme scolaire qui est parue hier au Journal officiel. Ces réformes n’ont pas encore produit tous leurs effets positifs. Dans un premier temps, elles ont parfois troublé une partie de l’opinion. Nous commençons à en bénéficier de manière tangible : par exemple, les dépenses de la Sécurité sociale sont maintenant bien maîtrisées sans que la qualité de la santé soit remise en cause. Mais tous les effets positifs ne se feront sentir que d’ici un an ou deux. Et donc, de ce point de vue, du point de vue de la gestion du temps, on a besoin d’encore un peu de temps pour faire comprendre à tous les Français le mérite des réformes entreprises. D’un autre côté, si on a devant soi un nouveau mandat de cinq ans, on peut, à ce moment-là, trouver un nouvel élan et engager des réformes plus durables...
O. Mazerolle : On peut accélérer les réformes ?
A. Lamassoure : Voilà les éléments d’un choix.
O. Mazerolle : Et les Français pourraient comprendre qu’on se livre à cette opération, le Parti socialiste va dire que c’est une manipulation, il le dit déjà et il fera campagne là-dessus ?
A. Lamassoure : Il est mal placé pour le dire, le Président Mitterrand a dissous deux fois l’Assemblée nationale.
O. Mazerolle : Pour des élections présidentielles.
A. Lamassoure : Oui, bien sûr, mais je veux dire que c’est un droit inscrit dans la Constitution. Le président de la République qui s’appelait Charles de Gaulle y a eu recours à deux reprises...
O. Mazerolle : Il y a eu des crises politiques fortes.
A. Lamassoure : ... à un moment où il a jugé cela opportun. Le Président Mitterrand y a eu recours à deux reprises, c’est prévu dans la Constitution, voilà.
O. Mazerolle : Convenances personnelles, cela vous irrite qu’on puisse le dire comme Pierre Mazeaud, par exemple ?
A. Lamassoure : Croyez-vous que quand le Premier ministre britannique décide de dissoudre, on parle de convenances personnelles ?
O. Mazerolle : C’est pour ne pas perdre les élections quand même ?
A. Lamassoure : C’est une arme qui est donnée à la disposition, dans notre système, du Président. Lui seul décide.
O. Mazerolle : On parle aussi de vos difficultés budgétaires, il semblerait que vous ayez du mal à tenir le budget dans les limites prévues par le traité de Maastricht, est-ce qu’il faudra un tour de vis supplémentaire pour tenir ces critères ?
A. Lamassoure : Nous n’avons pas de difficultés budgétaires à l’heure actuelle, le problème ne se pose pas en ces termes. Nous avons d’un côté un élément qui est extrêmement positif et qui est tout à fait nouveau, nous maîtrisons les dépenses de l’État comme on ne l’a jamais fait puisqu’en 1996, et jusqu’à présent en 1997, les dépenses de l’État augmentent moins que la hausse des prix, c’est-à-dire qu’elles baissent en francs constants. Cela n’était jamais arrivé en France.
O. Mazerolle : Mais, quand même, le déficit de la Sécurité sociale sera un peu accru, les dépenses...
A. Lamassoure : Non, attendez, les dépenses de la Sécurité sociale sont également maîtrisées comme elles ne l’ont jamais été, c’est-à-dire que nous étions, jusqu’en 1995, à un rythme de dépenses de près de 6 % par an, nous sommes tombés en dessous de 2 % depuis les quatre ou cinq derniers mois. On est à zéro.
O. Mazerolle : Mais il n’y a pas assez de recettes ?
A. Lamassoure : Le problème, c’est qu’il y a eu moins de recettes l’année dernière parce que la croissance économique n’a pas suivi en 1996. Cette année, la croissance économique s’accélère fortement – nous sommes sur un rythme de croissance compris entre 2 % et 3 % –, et donc les recettes vont recommencer à rentrer. Si nous constations en cours d’année que les recettes rentrent insuffisamment vite, nous serons amenés, à ce moment-là, à prendre des mesures d’économie supérieures. Mais nous nous sommes donné une petite marge de manœuvre puisque nous avons gelé dans le budget de l’État 10 milliards de francs de crédit.
O. Mazerolle : Et là, il n’est pas prévu d’aller plus loin ?
A. Lamassoure : Pour le moment, il n’est pas prévu d’aller plus loin. Si encore une fois il y avait des raisons qui nous poussaient à des économies supplémentaires, nous irions plus loin. L’année dernière, nous avons gelé 20 milliards, cette année nous nous sommes donné une petite cagnotte de 10 milliards. Éventuellement, il faudra aller plus loin...
O. Mazerolle : Au mois de mai, vous n’annoncerez pas que vous allez plus loin ?
A. Lamassoure : Le budget de l’État, pour l’instant avec les données dont nous disposons, est sous contrôle et, comme nous l’avons contrôlé en 1996 alors que nous étions en croissance lente de moins de 1,5 %, la croissance va être double cette année et cela va nous apporter des recettes supplémentaires. Donc cela n’est pas un sujet sur lequel nous sommes vraiment inquiets aujourd’hui.
O. Mazerolle : On dit que les députés UDF ne veulent pas suivre le gouvernement dans ses propositions d’aménagement de versements de charges sociales pour les footballeurs. Vous allez vous battre là-dessus ?
A. Lamassoure : Rappelons d’abord comment se pose le problème. Ce qui a été proposé par le gouvernement, c’est qu’une partie de la rémunération des sportifs professionnels – pas uniquement les footballeurs – soit considérée comme un droit à l’image de la télévision et non pas simplement comme un salaire. Ceci n’a pas de conséquence sur l’impôt payé par les joueurs. Les joueurs continueront de payer l’impôt sur la totalité de leur rémunération. Mais ceci allégerait les charges sociales que paient les clubs et donc permettrait aux clubs de recruter des joueurs français ou éventuellement étrangers qui, aujourd’hui, partent à l’étranger.
O. Mazerolle : Et si les députés ne veulent pas ?
A. Lamassoure : C’est une proposition du gouvernement. Le gouvernement s’en remettra à la sagesse de l’Assemblée.
O. Mazerolle : L’UDF, hier, s’est réunie pour prévoir un programme économique et social en fonction des élections législatives. En quoi pourriez-vous infléchir la politique, vous, membre de l’UDF, que vous menez comme ministre du Budget ?
A. Lamassoure : Ce que souhaite l’UDF, c’est que le gouvernement, l’actuel, le futur fonctionne comme un gouvernement d’alliance, en Allemagne on dirait de coalition, en France, je préfère dire « alliance » et non pas comme un gouvernement simplement monocolore et qui marche sur deux pieds. Qu’apporte l’UDF dans le débat politique au sein de la majorité ? Un chapitre libéral, une priorité sociale et une priorité européenne. En matière libérale, nous savons aujourd’hui que les économies marchent bien si les entreprises voient leurs charges allégées et si chacun a des responsabilités claires dans l’économie et dans la société. C’est ce que plaide l’UDF. En matière sociale, nous souhaitons une économie de solidarité et nous souhaitons en même temps une décentralisation. Nos amis du RPR sont sensibles à la déconcentration au sein de l’appareil d’État. Nous, nous allons plus loin et nous disons, il faut faire plus en matière de pouvoir donné aux collectivités locales, aux élus locaux sous le contrôle démocratique. Enfin, en matière européenne, nous nous réjouissons de voir que, finalement, le président de la République a fait siennes les priorités de l’UDF et dans les grands choix européens que nous allons avoir à faire dans les 18 mois qui viennent – l’union monétaire, la réforme des institutions européennes, l’élargissement de l’Union –, nous soutiendrons la position du Président.