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L'Économie : Il y a huit mois, lorsque vous avez été nommé secrétaire d'État aux Industries agro-alimentaires, l'excédent du commerce extérieur de ce secteur atteignait à peine quatre milliards de francs en tenant compte des produits peu transformés comme ceux de la meunerie. L'objectif fixé par le président de la République d'atteindre un solde positif de 20 milliards de francs vous paraît-il réaliste ?
Michel Debatisse : La France est un pays agricole puissant dans lequel les industries agro-alimentaires constituent le second secteur industriel en chiffre d'affaires. Il n'y a donc aucune raison pour que nous ne parvenions pas à réaliser cette performance. A condition, bien sûr, que les entreprises trouvent les moyens et manifestent la volonté de développer leur implantation commerciale à l'étranger.
Je dirais même que nous n'avons pas le choix lorsque la facture pétrolière prélève 5 % au moins de notre PNB - au lieu de 1,3 % avant la crise de 1974 -, nous devons tout mettre en oeuvre pour gagner cette bataille des 20 milliards. La création de ce secrétariat d'État prouve que la priorité donnée aux IAA a une portée à la fois économique et politique. Elle témoigne d'un véritable engagement de la nation et de l'État.
L'Économie : C'est donc pour aider les entreprises à exporter que vous avez développé la procédure des Conventions de développement dont la principale originalité est de conditionner l'aide de l'État à un engagement de l'entreprise en matière d'exportation ?
Michel Debatisse : Avant de songer à établir ces nouveaux rapports entre les entreprises et le gouvernement, il fallait d'abord élaborer un diagnostic, définir des priorités et enfin mettre en oeuvre des moyens d'action. Tout cela dans un but précis, favoriser la création ou la restructuration d'entreprises dynamiques et capables de proposer des stratégies de développement rapide. Les industries concernées allaient devoir prendre des risques, assumer des responsabilités. L'État se devait donc de créer un environnement favorable à leur expansion. J'ai donc dans un premier temps fait porter les efforts sur le cadre financier de l'activité des entreprises qui exige des fonds propres indispensables au franchissement d'étapes importantes de leur développement. C'est pourquoi j'ai suscité la constitution de l'institut de développement agro-alimentaire doté d'un capital de 200 millions de francs par le Crédit agricole, l'IDI, le Crédit national et le marché financier. Les discussions approfondies que j'ai engagées avec le secteur de la distribution dans le but d'élaborer des « codes de bonne conduite » visent, elles, à améliorer la rentabilité des IAA qui, pour financer leurs investissements, soutenir un effort de recherche et mettre en oeuvre des technologies de pointe, ont besoin de vendre leurs produits à des prix convenables.
Mais il fallait également repenser l'environnement commercial des industries agro-alimentaires. Les produits alimentaires obéissent dans chaque pays à des normes différentes qui freinent l'expansion des échanges. Ces obstacles ne peuvent être levés que par un effort de qualité des produits.
D'autre part, les mécanismes de la PAC ne sont pas toujours favorables, les baisses brutales de restitution, les modifications imprévisibles de certaines aides à la production anéantissent parfois les efforts commerciaux. Il faut trouver dans la SOPEXA rénovée, dans un Fonds de promotion important en valeur et efficace, les moyens de développer nos entreprises. Il faut enfin que les entreprises puissent acquérir et développer des réseaux commerciaux à l'étranger. Tous les moyens publics seront mobilisés à cet effet, et notamment ceux que nous donnent les discussions bilatérales avec des pays grands acheteurs, la mise en place de contrats à moyen terme d'exportation, une politique de coopération industrielle avec les grands États qui puisse soutenir nos ventes de produits et nos investissements industriels à l'étranger.
Enfin, je consacrerai des moyens importants pour soutenir l'effort financier qu'exige une recherche développement jusqu'à présent insuffisante. L'INRA sera dans ce domaine un levier efficace, mais je compte aussi sur la création d'instituts de recherche capables de rapprocher les diverses professions d'une filière.
L'Économie : Ce diagnostic et cette définition des moyen vous ont donc conduit à privilégier quatre secteurs : les produits laitiers, la viande, les fruits et légumes transformés et le vin. Cela signifie-t-il que les aides de l'État concerneront exclusivement ces quatre domaines ?
Michel Debatisse : Il y a effectivement des priorités sectorielles qui sont en fait autant des enjeux que des tests de mon action inspirée par le souci des intérêts des industries agro-alimentaires et de l'agriculture française, qui sont complémentaires. L'amélioration des échanges extérieurs de la viande passe par une industrialisation de la découpe d'implantation de produits nouveaux. La modernisation de la salaison, d'autre part, est une condition fondamentale de la reprise de l'élevage français.
Nous devons prendre place sur les marchés extérieurs des vins de table pour assurer, en longue période, le débouché de ce produit, l'amélioration des marges commerciales.
Les fromages français sont prestigieux mais encore trop peu exportés, alors qu'il faut rapidement mieux valoriser notre production laitière, pour qu'elle puisse se développer sans attirer les critiques de nos partenaires européens.
La transformation des fruits et légumes assure enfin le débouché d'importantes productions agricoles qu'il faut encourager face à la concurrence avivée des pays extérieurs aux communautés.
Comme vous le voyez, ces choix de priorités sont inspirés sans doute par la recherche des secteurs les plus prometteurs en matière de résultats à l'exportation, mais aussi par le souci constant de valoriser nos productions agricoles. Si nos entreprises échouent dans ces secteurs à l'échéance de cinq ans, notre commerce extérieur agro-alimentaire en sera fortement obéré et l'équilibre de nos échanges durablement compromis. Par ces actions sectorielles, je souhaite démontrer que les industries agro-alimentaires doivent être le moyen de redéployer notre agriculture et, à terme, l'indicateur de l'orientation des productions.
Mais, après les « chocs pétroliers » répétés, nous ne pouvons pas nous offrir le luxe de négliger quelque créneau de marché ni d'activité que ce soit. Il faut soutenir tous ceux qui ont un bon produit, sur un bon créneau de marché et qui sont compétitifs, même si ce créneau paraît étroit ou difficile. Les conserves de champignons et, à un autre niveau, les productions de viande de volaille sont compétitives à l'exportation. Ce n'était pas évident il y a plusieurs années, mais le dynamisme des entreprises a pallié les difficultés économiques. Vous voyez qu'il ne faut rien négliger et que le seul critère de choix est la qualité de l'entreprise et sa capacité stratégique.
L'Économie : Le dialogue que vous avez engagé dans le cadre de ces priorités et afin de dynamiser notre commerce extérieur passe par les conventions de développement. A quel stade des négociations en êtes-vous ?
Michel Debatisse : Plusieurs dizaines de conventions sont en cours de discussion. Elles concernent tous les secteurs, toutes les formes d'entreprises, privées ou coopératives, de taille très différente.
Mais curieusement, les demandes des industriels n'ont pas afflué auprès de mes services alors que ces conventions présentent pour eux l'immense avantage d'unifier toutes les procédures de soutien et de n'avoir à s'adresser qu'à un seul interlocuteur. Mais elles exigent un changement profond de mentalité de la part du chef d'entreprise habitué à recevoir passivement des aides de l'État, alors qu'à présent il dit prendre des risques, assumer des responsabilités en échange d'un soutien financier conditionnel. Or, pour beaucoup d'entreprises qui n'ont pas encore appris à raisonner en termes de marché européen et a fortiori mondial, l'exportation est une aventure difficile exigeant des hommes formés aux techniques du commerce international et capables de concevoir des stratégies commerciales, des produits nouveaux et adaptés aux marchés extérieurs.
Cet aspect formation des hommes est fondamental. C'est grâce à elle que les entreprises, et notamment les PME, se familiariseront avec l'exportation. La création de l'Institut supérieur e l'agro-alimentaire correspond d'ailleurs à cette volonté de renforcer la formation des cadres du secteur. Car nos entreprises doivent cesser de considérer que la réputation du produit français vaut garantie de vente et être à même d'élaborer de véritables politiques de marketing. Cela s'apprend. Les conventions de développement les y aideront.
L'Économie : Comptez-vous limiter les conventions au seul engagement à l'exportation ?
Michel Debatisse : Non, c'est leur but premier correspondant à une urgence mais je souhaite étendre leurs applications pour en faire une méthode nouvelle de dialogue entre les entreprises et l'État. Celui-ci n'étant plus là pour intervenir, ordonner mais guider et conseiller l'entreprise tout au long de son développement.
L'Économie : Mais le dialogue ne passe pas seulement par des procédures de soutien même renouvelées de la part des pouvoirs publics. N'exige-t-il pas en effet que s'instaurent également de nouveaux rapports entre l'industrie et l'agriculture à laquelle les entreprises reprochent souvent de ne pas leur fournir les produits dont elles ont besoin en qualité, quantité et temps voulus ?
Michel Debatisse : La question des relations entre producteurs et industriels est évidemment cruciale pour les industries agro-alimentaires. Je suis heureux que vous n'ayez pas posé la traditionnelle question sur les prix des produits agricoles dont on dit trop souvent qu'ils sont excessifs en Europe, responsable par conséquent de la faible compétitivité de nos industries. Le sucre vendu sur le marché mondial est aujourd'hui au prix communautaire, et les prix agricoles progressent moins vite que l'indice général des prix.
Il est vrai que certains industriels m'ont fait part de leur inquiétude en ce qui concerne les volumes de produits disponibles pour la production. A l'époque où l'Europe tient un discours sur les « excédents » agricoles, cette remarque devrait faire réfléchir. On sait trop peu qu'il n'y a, à l'heure actuelle en France, pas assez de poudre de lait pour satisfaire des demandes solvables qui se manifestent sur le marché mondial.
Cela dit, je ne nie pas l'existence de difficultés sectorielles. L'ensemble du secteur agro-alimentaire, l'agriculture comme l'industrie mais aussi la distribution, est engagé dans une bataille pour la conquête des marchés extérieurs et ce combat, comme tous les autres, provoque des tensions. C'est précisément pour les apaiser et susciter de nouveaux rapports entre les professions que j'ai souhaité, dès mon arrivée, donner un nouvel élan aux interprofessions. C'est dans ce cadre que peuvent se conclure les accords pluriannuels de fourniture, garantissant en quantité et en qualité l'approvisionnement des entreprises. C'est au sein de l'interprofession que les professions discuteront des prix, des investissements, entreprendront des recherches.
L'Économie : Ne craignez-vous pas qu'au lieu d'accélérer l'expansion du secteur, l'interprofession devienne très vite une organisation corporative, un carcan mal adapté à la souplesse de gestion dont a besoin toute entreprise ?
Michel Debatisse : L'interprofession est le contraire du corporatisme. Son unique objectif est d'établir des rapports loyaux et efficaces entre des hommes et des entreprises appelés à travailler ensemble. Chaque secteur concerné a besoin d'un minimum, de dimension et de sécurité pour financer les investissements en matériels, en recherche, en publicité nécessaires à l'exportation. L'interprofession apporte l'une et l'autre et permet tout à la fois de partager les risques et les profits. Mais ce n'est pas l'État qui organisera ces rapprochements. Nous nous sommes contentés de faire voter une loi-cadre et nous avons confié aux professionnels le soin de discuter les contrats, d'adapter la législation en fonction de la réalité des entreprises et de leurs besoins. Ce que nous souhaitons c'est que chacun accepte des règles de comportement qui ne remettent pas en cause l'existence de l'un des partenaires. Rien de plus. Pouvions-nous imaginer un système plus souple ?
L'Économie : Dans ces interprofessions coexisteront des entreprises privées et des coopératives bénéficiant d'avantages fiscaux, de crédits à taux privilégiés. La concurrence ne s'en trouvera-t-elle pas faussée au profit du système coopératif ?
Michel Debatisse : Vraiment nous n'en sommes pas encore là. Il s'agit pour l'instant d'habituer tous les partenaires du secteur agro-alimentaire à travailler ensemble selon des règles acceptées par tous et de faire en sorte qu'ils réalisent à plusieurs ce qu'aucun d'eux ne peut faire seul. Si chemin faisant, des problèmes surgissent, nous les réglerons cas par cas. Mais n'entretenons pas immédiatement de fausses querelles !
L'Économie : L'adhésion a une interprofession sera-t-elle obligatoire ?
Michel Debatisse : Dans la bataille que nous menons, chacun doit se sentir concerné, chacun doit assumer ses responsabilités. Dans ces conditions, les mêmes règles et obligations doivent s'appliquer à tous les partenaires et il n'y aurait aucune raison pour que l'un adhère à l'interprofession et l'autre pas.
L'Économie : Pourquoi tenez-vous tant à associer la distribution ?
Michel Debatisse : Parce que son action ??????????????????? Déterminante sur ????????????? notre industrie et ????????????? des paiements. Si, partant d'un raisonnement à courte vue, le commerce s'approvisionne massivement hors de nos frontières. Il peut compromettre le développement de notre industrie agro-alimentaire. Comprenez-moi bien. Je n'ai pas l'intention de limiter les importations mais je souhaite que nous réfléchissions à la manière de reconquérir notre marché intérieur. Chacun doit se sentir concerné par cet impératif : l'industriel, le distributeur mais également le consommateur.