Déclaration de M. Bernard Kouchner, secrétaire d'État à la santé, sur la préparation d'un plan triennal de lutte contre les toxicomanies, Paris le 12 décembre 1997.

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Circonstance : Rencontres nationales sur la drogue et la toxicomanie à Paris les 12 et 13 décembre 1997

Texte intégral

Mesdames, Messieurs,

Je vous remercie d'avoir répondu à mon invitation à participer à ces rencontres nationales, ici, au ministère de la santé, en réponse à l'appel lancé par un collectif d'associations et d'intervenants en juin dernier.

Je vous souhaite donc la bienvenue.

Vous êtes ici pour débattre, échanger vos réflexions, vos expériences, c'est ce que j'attends de vous. Et je voudrais ici souligner le travail déjà accompli, dans le comité d'organisation dirigé par Patrick Aeberhard, mais aussi par les responsables des quinze ateliers, qui ont pu, dans des temps relativement courts, produire des textes qui serviront de base à vos réflexions.

Mais le travail de ces deux journées est devant vous, devant nous. Avant de parler de l'avenir, je voudrais rappeler le passé récent.

J'ai été ministre de la santé il y a cinq ans, aussi je peux, entre ces deux périodes, constater les évolutions ou l'absence d'évolution sur différents dossiers : qu'il s'agisse de l'approche et de l'idée même de la santé publique, qui est devenue un enjeu politique, la sécurité sanitaire, la politique hospitalière, et donc en toxicomanie.

J'avais trouvé une situation particulièrement difficile en 1992, crispée, sinon bloquée, où les concepts étaient plus des sujets de bataille et d'invectives, ou les expériences des uns et des autres étaient plus sujets à polémique qu'à un travail en collaboration.

Certes, la pression de l'épidémie de sida, le développement de la précarité, imposaient de nouveaux concepts, une mutation nécessaire. Mais une mutation difficile, l'implication de nouveaux acteurs, par exemple les médecins généralistes, qui, à cette époque, n'avaient pratiquement pas leur place.

Comme le recours à la substitution, présenté tantôt comme un remède miracle, ailleurs comme l'instrument du contrôle social.

Politique de santé publique en matière de toxicomanie, la politique de réduction des risques que j'ai tenté d'initier, dont, en tout cas, tracé les grandes lignes, n'est pas un instrument du « contrôle social ».

Fort heureusement, et justement, le développement de la politique de réduction des risques a été reprise par mes successeurs (qui sont aussi mes prédécesseurs), Simone Veil, Philippe Douste-Blazy, Jacques Barrot et Hervé Gaymard). Cette évolution a conduit à une diversification des types de réponses sanitaires et sociales vis à vis des toxicomanes et en particulier des héroïnomanes.

Il est temps aujourd'hui, et c'est ce que j'attends de vous, de dresser le bilan de vos pratiques et de vos expériences concrètes.

Il y a eu de grands changements, finalement assez rapides, et dans tous les champs de réduction des risques, l'échange de seringue, les boutiques, la méthadone, le Subutex. Je citais tout à l'heure les médecins généralistes, mais aussi des hôpitaux généraux, voire certains CHU, mais aussi les centres spécialisés qui ont plus qu'auparavant travaillé en réseau, avec d'autres partenaires.

Tout cela va dans le bon sens, comme en témoigne la diminution de la prévalence du sida, la diminution des overdoses, mais malheureusement pas celle de l'hépatite C, mais aussi et surtout l'expansion de l'accès aux soins des usagers de drogue.

Pourtant, de nombreuses difficultés quotidiennes existent toujours à la mise en œuvre de toutes ces actions.

Il faut encore et toujours expliquer et faire comprendre les objectifs d'une prise en charge avec nos différents partenaires, et en premier lieu les élus, les habitants des quartiers où l'on implante une structure, cc que l'on recherche et le bien fondé de nos démarches.

Aussi, j'attends de vous trois choses :
    - d'une part, les pistes pour faire évoluer la « politique de réduction des risques », désormais que l'on pourrait qualifier de « classique » ;
    - ensuite, sa traduction concernant les nouveaux défis qui s'annoncent vis-à-vis de nouveaux produits comme les drogues de synthèse, les poly intoxications massives, les nouveaux comportements auxquels, globalement, notre dispositif, spécialisé ou pas, est inadapté ;
    - enfin, d'une façon plus large de faire des propositions pour bâtir une démarche cohérente de santé publique vis à vis de l'usage, de l'abus, de la dépendance des substances psycho-actives (drogues, médicaments psychotropes, alcool).

J'attends de vous, à partir de vos expériences, non pas des solutions - qui peut prétendre à des solutions dans ce domaine ? - mais les principes d'une démarche, qui posent les bases d'un modèle français, que j'appelle de mes vœux. Modèle respectueux des droits des personnes, qui refuse le piège de la dramatisation comme celui de la banalisation, un modèle ouvert et évolutif basé sur votre expérience de terrain, comme celle d'intervenants d'autres pays, et, en particulier de nos voisins européens.

Certains parmi vous ont exprimé leur satisfaction que les professionnels concernés soient consultés avant la prise de décision.

Je crois pour ma part, que cette consultation est une étape indispensable. Avant l'engagement de l'État dans un nouveau plan triennal de lutte contre les toxicomanies, le temps de la réflexion est du temps de gagné pour les prochaines années.

Oui, il est temps de tirer les leçons de vos pratiques, et je m’appuierai sur vos propositions pour prendre mes décisions.

Je voudrais, par ailleurs, souligner que vous allez poser ici les problèmes en terme de santé publique. C'est ce que je vous demande. Mais quelle que soit l'importance de cette approche, elle ne saurait résumer à elle seule la politique de l'État en la matière.

J'attends de vous que vous me fassiez vos propositions librement, je prendrai aussi mes décisions de la même façon.

N'attendez pas de moi, aujourd'hui ou demain, la construction d'un plan d'action définitif puisque justement votre travail, réflexions et propositions seront analysés, notamment pour la définition du prochain plan triennal.