Texte intégral
France 2 - Dimanche 14 décembre 1997
Émission : Polémiques
Jean-Michel Mercurol : Des prud’homales qui n’ont pas fait recette. Un taux d’abstention record, à peine un salarié sur trois pour venir désigner les juges sociaux, arbitres des conflits entre 14 millions de salariés et 1 million d’employeurs. Une désaffection qui préoccupent les syndicats parce qu’elle entame leur représentativité même si les rapports de force entre eux n’ont guère varié. Bref, un désenchantement syndical sur fond d’inquiétude sociale.
Louis Viannet (CGT) : Ce qui pose problème, c’est sur le taux de participation. Et ça, c’est sérieux et c’est grave.
Marc Blondel (FO) : Depuis 90, il y a eu 1 million de jugements gagné devant les prud’hommes. C’est quand même quelque chose qui nous sert.
Jean-Michel Mercurol : Reproche essentiel des syndicats envers le gouvernement pour expliquer cette indifférence des électeurs, l’absence de campagne officielle dans les médias et des ratés dans l’organisation du scrutin. Une façon aussi d’évacuer la question de la crédibilité syndicale.
Nicole Notat (CFDT) : Je ne crois pas seulement parce que les salariés marquent un désintérêt pour cette institution ou pour ce vote, c’est que pour certains d’entre eux, c’est une vraie course d’obstacles que d’aller voter.
Jean-Michel Mercurol : Mais l’adoption la semaine en Conseil des ministres du projet de loi sur les 35 heures, riche en conflits potentiels entre patrons et salariés, n’a pas suffi à la mobilisation électorale. Les 35 heures selon Martine Aubry moins rejetées par les patrons qu’il n’y paraît.
Martine Aubry (ministre de l’emploi) : Les chefs d’entreprises, ce sont des gens réalistes. Ils vont regarder ce qu’ils peuvent y gagner. Est-ce que je peux changer mon organisation du travail ? Est-ce que je peux mieux utiliser mon équipement ? Est-ce que les salariés vont pouvoir travailler un peu plus quand j’en ai besoin, 39 heures par exemple, et un peu moins quand il n’y a pas de commande ? Est-ce que l’aide que m’apporte l’État ne va pas m’aider à compenser tout cela ? Eh bien, vous allez voir qu’après tout cela, non seulement ça ne leur coutera pas cher mais ils vont y gagner en compétitivité, ils vont y gagner des parts de marché et ils vont en plus créer de l’emploi grâce à cela.
Jean-Michel Mercurol : Mais l’optimisme ministériel se heurte quand même à l’intransigeance d’Ernest-Antoine Seillière, futur patron des patrons.
Ernest-Antoine Seillière (CNPF) : Nous ne nous laisserons pas faire. En ce qui concerne la mise à mal de nos entreprises …
Jean-Michel Mercurol : Un patronat déterminé, des syndicats en recul électoral, un gouvernement volontariste, autant d’ingrédients qui pourraient bientôt brouiller le climat social.
Michèle Cotta : Marc Blondel, ce ne sont donc pas les sujets qui manquent avec nous. Merci de nous avoir rejoints pour cette deuxième partie de l’émission où nous retrouvons Laurent Mauduit du « Monde ».
Alors, à Marseille, tout à l’heure, nous allons voir monsieur Jean-Marie Gorce qui est président d’une entreprise de 200 salariés et qui veut parler des 35 heures mais tout de suite, Marc Blondel, l’abstention massive aux prud’homales, un tiers seulement des salariés a voté. Quelle est la représentativité des syndicats ? On peut se poser la question en tout cas après un vote de ce genre.
Marc Blondel (secrétaire général de FO) : Je crois qu’il ne faut pas obligatoirement lire le dossier de cette façon. Lorsqu’il y a les élections professionnelles, les salariés votent généralement en masse pour les organisations syndicales et pour tout vous dire, je me suis laissé quelque peu leurré, moi, sur mon jugement. Il y avait eu élection dans le secteur de la Défense, élection dans EDF, élections dans La Poste, il y avait plus de 80 % de participants aux élections. On disait donc les gens sont attentistes mais ils sont prêts à s’exprimer. Ils se sont exprimés dans les élections professionnelles, ils s’exprimeront dans les élections concernant les prud’hommes. Cela n’a pas été le cas. Alors cela s’explique parce que les élections professionnelles ont lieu dans l’entreprise. Au prud’hommes, il faut sortir de l’entreprise et cela s’explique aussi par quelque chose de très important, les prud’hommes, c’est généralement les gens qui travaillent dans les petites entreprises qui les saisissent. Ce sont les gens qui travaillent dans les petites entreprises, quand il y a un contentieux individuel qui vont devant le Conseil de prud’hommes. Les gens des grosses entreprises n’y vont pas parce ce que ces contentieux-là sont réglés à l’intérieur de l’entreprise par le délégué du personnel par… là où il y a un fait syndical, les prud’hommes c’est secondaire.
Michèle Cotta : Vous avez quand même dit que c’est une catastrophe cette abstention.
Marc Blondel : Je pense que c’est une catastrophe. Alors je m’explique sur ce point. Nous n’avons pas marqué assez notre intérêt pour les prud’hommes et compte tenu notamment de l’Europe mais cela ne porte pas… il ne faut pas déduire de cela ma position sur l’Europe, mais compte tenu… si je réclame un droit social européen, ce droit social européen, il faudra qu’il soit contrôlé et qu’on en vérifie l’application et le cas échéant il y aura des contentieux il faudra aller devant les tribunaux ? Or, en France, nous avions un système particulier qui est celui de prud’hommes, paritaire, électif, dans les 14 autres pays que constitue l’Europe et je ne parle pas de ceux qui vont rentrer maintenant, mais dans les 14 autres pays qui constituent l’Europe, mis à part la Belgique ou il y a le chauvinage, sinon tous les autres c’est des juges professionnels. Cela veut donc dire que l’on risque déjà si on normalise, on coordonne au niveau européen de remettre en cause l’institution. Il eut fallu que les gens votent. Je crois qu’ils n’ont pas très bien senti l’importance, il eut fallu que les gens votent pour marquer notre attachement aux prud’hommes, c’est une nécessité, je rappelle, un million de dossiers gagnés depuis 1990.
Laurent Mauduit (« Le Monde ») : pourquoi vous rejetez la responsabilité un petit peu sur les électeurs ? Est-ce qu’il n’y a pas une part forte …
Marc Blondel : Je … pardonnez-moi …
Laurent Mauduit : Attendez, laissez-moi terminer ma question, est-ce qu’il n’y a pas une responsabilité forte des syndicats ? Je veux dire, il y a des raisons profondes à cette crise, il n’y a pas désaffection …
Marc Blondel : Selon moi, on ne juge pas de la désaffection des salariés vis-à-vis des syndicats à travers cette consultation. Je vous rappellerai que deux consultations, deux sondages avaient indiqué que les gens redonnaient du crédit aux syndicats. La tendance était plutôt dans le sens contraire. Permettez-moi une petite observation, j’ai le droit, je peux être un peu désagréable ?
Michèle Cotta : Vous avez le droit … on va l’être avec vous, attention !
Marc Blondel : C’est la règle du jeu. Je n’ai pas vu beaucoup de mobilisation non plus des antennes de télévision pour les prud’hommes. Je le regrette fortement. Je ne sais pas pour quelle raison, mais nous n’avons pas eu l’occasion, les leaders syndicaux n’ont pas eu l’occasion de s’exprimer, on a beaucoup …
Michèle Cotta : Parce que c’était tous ou pas du tout !
Marc Blondel : Donc on a beaucoup, beaucoup levé le dossier sur … c’est une question de circonstances, je dirais …
Laurent Mauduit : On a envie de vous dire soit, soit, c’est vrai sans doute, sûrement mais est-ce qu’il n’y a pas une responsabilité également des syndicats ? est-ce que pour vous par exemple, Marc Blondel, pourquoi est-ce que Force ouvrière recule en voix comme d’autres confédérations …
Marc Blondel : Toutes !
Laurent Mauduit : Pourquoi est-ce que vous, par exemple, qui êtes dans une liste d’encadrement à Paris, vous …
Marc Blondel : Oh … voilà mais enfin écoutez …
Laurent Mauduit : Je mélange les choses ? Non mais … quelles sont les responsabilités des uns et des autres ?
Michèle Cotta : Marc Blondel, la CFDT devient le premier syndicat chez les cadres.
Marc Blondel : Bon, eh bien on va parler alors si vous voulez puisque … vous avez remarqué que la CGC a beaucoup tombé …
Michèle Cotta : Oui, effectivement mais enfin vous vous en réjouissez ?
Marc Blondel : Attendez, la CGC a beaucoup tombé et la CFDT a beaucoup gagné dans l’encadrement. Bon, eh bien, nous verrons. Moi, je vais simplement vous apporter peut-être une nouvelle dont nous n’aurions pas parlé mais qui est une nouvelle sociale, on vient de discuter de l’AGIRC pour savoir si on allait revaloriser les pensions des cadres. Eh bien, on ne les revalorise pas, il y a une majorité CNPF-CFDT. Je crois que les cadres sont bien défendus par la CFDT elle vient de le démontrer justement en refusant l’augmentation …
Michèle Cotta : Vous continuez …
Marc Blondel : Non, je fais un sous-entendu très lourd, ce n’est pas la peine de me faire entrer dans le détail, tout le monde aura compris de que je veux dire.
Michèle Cotta : Enfin vous continuez sur le thème la CFDT collabore quoi !
Marc Blondel : Je pense que la CFDT a été beaucoup aidée dans le secteur des cadres … maintenant, monsieur Mauduit …
Laurent Mauduit : Ce n’est pas cela qui explique que par exemple vous…
Marc Blondel : Non, mais attendez, vous êtes en train de me parler de ma candidature, laissez-moi répondre à ma candidature !
Laurent Mauduit : Ce n’est pas cela qui explique que vous, vous ayez été battu par la CFTC par exemple.
Marc Blondel : Mais je n’ai pas été battu, qu’est-ce que vous racontez ?
Laurent Mauduit : Non légèrement devancé ?
Marc Blondel : Non mais c’est sans importance ! Le problème c’est… Je vous rappelle que c’est un scrutin de listes, justement j’ai voulu montrer aux gens que ce scrutin était suffisamment important pour que le secrétaire général d’une organisation soit candidat. Je n’allais pas prendre des risques monsieur ! Il y avait 9 délégués Force ouvrière en encadrement à Paris, Il y en a 7 mais je suis tête de liste et je suis élu. Ce n’est pas une élection face à face, c’est un scrutin de listes, c’est tout autre chose ! Et je n’ai pas fait de campagne parisienne. Le seul endroit où je suis allé à Paris ? c’est dans le métro pour aller voir les nettoyeurs ? Ils ne sont pas cadres, ils ne sont pas cadres à la société ONET (phon), ils ne sont pas cadres du tout, ce sont des balayeurs, c’est avec eux que j’ai fait la campagne parisienne. Le reste, je l’ai fait en province, tout le monde le sait, ce n’est pas une campagne politique individuelle, c’est autre chose.
Michèle Cotta : marc Blondel, justement, si ce n’est pas une campagne politique, c’est peut-être une campagne un peu sur d’autres terrains ? Quelle part attribuez-vous à vos déclarations sur Nicole Notat ?
Marc Blondel : Je n’ai fait aucune déclaration sur madame Notat !
Michèle Cotta : Comment … enfin il y a une interview que vous contester en partie mais enfin, il y a un malentendu alors dans ce cas-là !
Marc Blondel : Ce n’est pas un malentendu !
Michèle Cotta : On a tous mal entendu !
Marc Blondel : Non, non, non ! Il y a une lecture particulière d’un texte. Non écoutez, je ne sais pas les effets que cela peut avoir. Ce que je peux simplement dire c’est que pour moi, il n’y en avait aucun, ce n’était absolument pas le sujet. Le problème était le problème des routiers avec les conséquences… Si vous me permettez une seconde, je peux m’expliquer, la CDFDT a signé ce texte sur les routiers, il autorise l’annualisation du temps de travail. C’est d’ailleurs une thèse CFDT, il n’y a pas à la cacher. Bon l’annualisation du temps de travail pour des gens qui travaillent individuellement. Un chauffeur routier travaille individuellement. C’est différent de l’annualisation dans une entreprise où il y a 300, 500 personnes, c’est une modification de l’horaire collectif. Là, cela va être individuellement. Le problème des routiers, c’est justement qu’ils travaillent trop. Eh bien, il se trouve que maintenant les patrons ont obtenu ce qu’ils attendaient depuis 15 ans, ils sont corvéables et malléables à souhait, on leur téléphonera en leur disant « tu prends du fret, tu ne vas pas nous faire rater le client ! ».
Michèle Cotta : On abandonne les routiers, enfin pour le moment …
Marc Blondel : Mais pourquoi vous voulez abandonner les routiers si c’est ma pomme de discorde avec la CFDT ?
Michèle Cotta : Parce que j’ai une question … oui mais alors, est-ce qu’il n’y a pas une autre pomme de discorde plus grosse avec le patronat ? Lorsque vous entendez le futur, enfin celui qui sera élu le 16 décembre, Ernest-Antoine Seillière être contre les 35 heures, dire qu’il veut déstabiliser à cet effet le gouvernement, qu’il veut … quelle est votre réaction … Est-ce que …
Marc Blondel : Moi, je lève les bras aux cieux !
Michèle Cotta : Oui votre ennemi principal, comme on le disait tout à l’heure, quel est votre ennemi principal, la CFDT ou les patrons ?
Marc Blondel : Par définition, écoutez, mon ami principal, ce sont les salariés et mes adversaires, ce sont ceux qui n’accordent pas satisfaction aux salariés. Parfois, c’est le gouvernement, parfois c’est le patronat, voilà… bon. Qu’on soit très clair. Moi, je ne comprends pas et j’ai mis cela sur le compte de la campagne électorale – pour monsieur Seillière – je ne comprends pas qu’il puisse annoncer qu’il va déséquilibrer etc. le gouvernement ! Si il se sert du CNPF comme d’un organe politique, comme nous sommes ses interlocuteurs, qu’on le veuille ou non, on va nous amener sur le terrain politique. Je pense que c’est aberrant. Deuxièmement, au moment où il plaide le libéralisme, plus il sera fermé et plus nous nous retournerons vers le gouvernement pour obtenir satisfaction c’est-à-dire plus nous provoquerons l’interventionnisme de l’État. Je ne suis pas sûr que tactiquement ce soit bien. J’ai fait une lettre ouverte moi au futur président. Il y a toute une série de dossiers qu’il nous faut régler et qui découlent du 10 octobre justement et j’aimerais bien qu’il me réponde qu’il est prêt au moins à regarder les choses. Il y a des choses que je ne laisserai pas faire. Permettez-moi de vous dire due la 10 octobre, nous avions obtenu que le gouvernement mette de l’argent pour dégager des gens qui auraient travaillé à 14 et 15 ans et qui auraient 40 ans d’activité, vous savez dans un système ARPE bis bon, environ 150 000 personnes dans le privé qui partiraient et 150 000 embauches ce n’est pas négligeable. Le gouvernement dit je suis prêt à y mettre de l’argent mais pour cela, il faut que vous vous mettiez d’accord avec le patronat. Je ne vais quand même pas laissez le patronat fuir ! Et ça, je solliciterai monsieur Seillière et au besoin, je le rendrai responsable de la situation s’il ne permet pas d’engager les discussions mais… J’ai un petit optimisme puisque vendredi, cela ne s’est pas trop mal passé du côté de l’ARPE justement. Vous savez que les gens qui sont nés en 1940 vont avoir le droit de partir à 57 ans et demi, ils vont avoir le droit de partir et toujours à 65 % du salaire. Le patronat voulait remettre en cause le niveau. Nous avons fait face tous, toutes les organisations syndicales ont fait face à l’initiative d’ailleurs de la mienne et nous avons obtenu de maintenir pour les gens de 1940. Monsieur Seillière va commencer dans quelques jours avec un accord qui est un bon accord.
Michèle Cotta : Alors parlons donc des 35 heures. Le projet de loi est arrivé sur la table de gouvernement et il prévoit donc le passage aux 35 heures en l’an 2000 pour toutes les entreprises de moins de 20 salariés, alors, nous avons en ligne …
Marc Blondel : Vous voulez me répétez cela madame ?
Michèle Cotta : Le passage aux 35 heures en l’an 2000.
Marc Blondel : Il prévoit la durée légale du travail à 35 heures ! Nous reviendrons là-dessus si vous le voulez … c’est tout le problème.
Michèle Cotta : Oui, oui d’accord ! très bien ! Nous avons en ligne depuis Marseille Jean-Marie Gorse qui est président national du Centre des jeunes dirigeants d’entreprise et qui je crois, a une question à vous poser. Monsieur Gorse, merci d’être avec nous.
Jean-Marie Gorse (président du CJD) : Oui, nous nous faisons beaucoup de souci par rapport à cette loi qui va souvent être prise comme une loi de contrainte dans l’entreprise alors que l’on reste persuadé que nous pouvons passer par une réduction du temps de travail est avant tout la capacité à créer de l’emploi et cette loi en l’état ne créera pas d’emploi. Nous sommes persuadés au CJD que nous pouvons passer par une réduction du temps de travail rendue indissociable de l’annualisation et ainsi négocier entreprise par entreprise un vrai cadre d’évolution de ce que sera le travail. Mais pour cela, il faut une présence syndicale forte dans les PME. L’entreprise française et notamment les PME sont un peu handicapées du dialogue social avec les syndicats. Je souhaiterais savoir ce que Marc Blondel pensait… qu’est ce qui justifierait sa frilosité par rapport à l’annualisation d’une part et d’autre part, qu’est-ce qu’une organisation syndicale comme FO ferait pour reprendre pied dans la PME et je parle de la PME y compris à partir de 20 salariés pour qu’enfin sur le terrain au plus près des problèmes, on puisse rentrer dans des négociation qui soient là porteuse d’espoir et permettent de se sortir un peu de cet emploi normé qui pèse considérablement dans la performance des entreprises.
Marc Blondel : Monsieur Gorse me pose beaucoup de questions. Il y en a une à laquelle je vais répondre immédiatement c’est le problème de l’annualisation. Mon cher monsieur, l’annualisation, c’est d’autoriser – parce qu’il faut expliquer un peu les choses – de faire 48 heures pendant 3 semaines ou 4 semaines et puis le mois suivant ou deux mois après faire 30 heures. Eh bien, si c’est cela… pour répondre à un surcroît de travail, admettez avec moi que c’est une façon d’éviter d’embaucher car on pourrait très bien embaucher au moment où il y a un surcroît de travail, y compris de manière temporaire. L’annualisation est un moyen d’éviter l’embauche. Cela s’appelle la souplesse, cela s’appelle la flexibilité quand on est au Luxembourg, la souplesse quand on est en France mais c’est bien pour éviter d’embaucher, c’est évident. C’est le contraire du postulat, que le gouvernement a choisi. Je rappelle que lorsque nous avons parlé des 35 heures moi j’ai posé la question : est-ce que les 35 heures c’est une satisfactions d’une revendication sociale qui est toujours de travailler moins ? C’est une revendication je dirais naturelle. Si c’est ça, on y va progressivement une heure tous les ans. Ou est-ce que vous voulez avoir un effet sur l’emploi ? Si c’est un effet sur l’emploi, il faut le faire le plus rapidement possible. Je crois que l’on a fait …
Michèle Cotta : Vous pensez que cela va avoir un effet sur l’emploi ? Vous, vous faites partie des gens qui disent : 35 heures …
Marc Blondel : Attendez ! Moi, je pense surtout que si l’on soutient l’économie par la demande, il y aura un effet sur l’emploi. Si l’on fait l’effet d’âge que j’ai rappelé tout à l’heure avec les 14 ans il y aura un effet sur l’emploi. Si enfin on réduit la durée de l’emploi, cela peut être le catalyseur qui amplifie la chose. Je ne crois pas que la réduction de la durée du travail à 35 heures en elle-même, seule, soit capable de répondre aux objectifs que le gouvernement s’est fixés ?
Michèle Cotta : Alors vous êtes d’accord avec monsieur Gorse là-dessus alors ?
Marc Blondel : Oui oui ! On me faisait le reproche de ne pas le mettre en première revendication. Je ne le mettais pas en première revendication. Je le mettais en troisième revendication. C’est évident et je continu à penser cette logique si on ne fait pas du keynésianisme et en même temps un effet d’âge et la réduction de la durée du travail, nous aurons … écoutez, enfin 35 heures dans deux ans !
Laurent Mauduit : Un mot sur la flexibilité. Le futur patron du CNPF, le patron des patrons, monsieur Seillière a fait une campagne très violente contre les 35 heures. Vous ne dites pas que le choc en retour risque précisément … Parce qu’en fin de course, il faudra qu’il y ait une négociation avec le patronat, vous, l’État …
Marc Blondel : Je voudrais bien ! C’était la troisième réponse que je voulais faire à monsieur Gorse. Moi, mon problème est de savoir si monsieur Gorse se sent lié par les déclarations de monsieur Seillière. Si monsieur Gandois puis monsieur Seillière déclarent qu’il n’y aura aucune négociation, alors effectivement nous n’avancerons pas. Si monsieur Gorse et si la CGPME, que sais-je moi, les jeunes dirigeants et la CGPME décident qu’il faut avancer dans la négociation, je suis leur interlocuteur, ça c’est évident !
Michèle Cotta : Quelle est votre réponse monsieur Gorse ? Vous acceptez les yeux fermés ce que va dire Ernest-Antoine Seillière ou vous allez être libre… libre arbitre sur les négociations ?
Jean-Marie Gorse : Oui on a un total libre arbitre mais je pense que l’impasse dans laquelle nous sommes et en revenant aux enjeux, j’ai été très sensible … l’autre jour j’ai … enfin hier j’ai consulté le site Web de FO avant de venir et je regardais le dernier édito de Marc Blondel qui était une lettre…
Marc Blondel : Une lettre … pardon oui, une lettre d’une dame que j’ai reçue, j’ai voulu garder l’anonymat … pour tout vous dire, pardonnez-moi monsieur, au risque d’apparaître comme sensible mais lorsque je l’ai lue, j’ai eu les larmes aux yeux sérieusement.
Michèle Cotta : Nous l’avons là … c’est-à-dire que c’est une lettre adressée par une mère de famille dont le fils vient de se suicider parce qu’il n’a pas de travail.
Marc Blondel : 22 ans il avait …
Jean-Marie Gorse : Alors monsieur Gorse quel était …
Jean-Marie Gorse : C’est à ce titre-là, c’est pour bien rappeler l’enjeu et chaque fois que j’entends Marc Blondel… alors est-ce qu’il va falloir négocier ? Mais bien sûr qu’il va falloir négocier parce qu’on est dans une situation qui n’est pas admissible et il va falloir créer dans l’entreprise des moyens de permettre au plus grand nombre de passer par l’entreprise, de retrouver ce lien avec le travail. Et c’est 5 millions de personnes qui sont concernées. Alors, par rapport à cela bien sûr qu’il va falloir renégocier mais pour cela, encore faut-il que tous les acteurs, c’est-à-dire patronat, syndicats et gouvernement éclairent un peu ce que sera l’emploi de demain. Et l’emploi de demain, ce ne sera clairement plus celui qu’on connut nos parents au cours des 30 glorieuses. Quand j’entends Marc Blondel parle de l’ARPE et du départ à la retraite pour permettre d’embaucher des jeunes, je crois que l’on reste dans un cycle très binaire où on est au travail et on a un emploi ou alors on sort par le chômage ou par la retraite. Je crois que maintenant, il faut aller vers d’autres organisations du travail qui seront forcément différentes de celles que l’on connaissait jusqu’à présent.
Michèle Cotta : Merci monsieur Gorse. Monsieur Blondel, vous réagissez là ?
Marc Blondel : Oui, oui enfin moi je veux bien la promesse de la nouvelle organisation du travail etc. moi je veux bien. Vous savez, dans la vie, il y a eu des mutations etc. Quand Michelin à Clermont-Ferrand, c’est les cultivateurs qui se sont mis à devenir des gens qui travaillaient à l’usine etc. etc. pour demain, pour les métiers modernes, les gens s’adapteront. N’ayez pas peur, les Français ne sont pas plus crétins que les autres. À mon avis, ce n’est pas le problème. Le problème, c’est que nous avons, monsieur le rappelait, 5 millions de chômeurs … moi je ne dis pas cela mais enfin 5 millions de personnes en difficulté et qu’il n’y a pas de moyen de stabiliser, encore moins de régresser. Donc, il faut se dépêcher de trouver des solutions. La solution c’est deux paris, c’est clair. Moi, je parie sur la relance par le keynésianisme des opérations d’âge parce qu’en plus, cela rajeunira notamment, puisque nous parlerons automobile dans quelques secondes, notamment la pyramides d’âge dans l’automobile, cela rajeunira … et deuxièmement, je crois effectivement à la réduction et à la modification … moi, je suis d’accord, je vais le dire publiquement, je suis d’accord pour que l’on travaille 6 jours sur 7. Je suis d’’accord si les salariés en ont bien entendu une partie de l’usufruit parce que ce n’est pas …
Laurent Mauduit : Donc vous voulez dire un peu de flexibilité.
Marc Blondel : Mais je suis d’accord sur l’organisation du travail. Ce que je ne souhaite pas c’est que l’on fasse deux choses contradictoires. D’un côté on dise qu’on embauche et de l’autre côté, on mette debout des systèmes pour éviter d’embaucher. Sur 6 jours, on embauche. Ceci étant, je veux quand même rappeler parce que la position du patronat me fait sursauter, pour l’instant le Premier ministre n’a pas dit que c’était 35 heures payé 39, il ne le dire pas, il n’a pas le droit.
Laurent Mauduit : Il a dit que c’était anti-économique.
Marc Blondel : Il n’a pas le droit de le dire ! il peut augmenter le SMIC, il peut augmenter le salaire des fonctionnaires, il ne peut pas augmenter le salaire du privé. Lorsque nous l’avons fait en 68 pendant … 3 jours après, on a signé des accords pour justifier la décision qui avait été prise. C’est-à-dire que monsieur le Premier ministre a dit 35 heures durée légale. Mon vrai problème à moi, 35 heures durée légale, si je fais 39, je serai payé 36, 37, 38 et 39 en heures supplémentaires. 25 % en plus. Cela veut dire 4 heures payées 5 heures.
Michèle Cotta : Pour vous, cela vous paraît simplement une augmentation de salaire.
Marc Blondel : Même pas ! 4 heures payées 5 heures. 2,86 %. À l’an 2000, s’il n’y a pas de négociation, cela veut dire que mon salaire à moi, ce sera exactement identique plus 2,86 %. Comme 98, 99, 1,5 d’inflation, je n’aurais même pas le même salaire que maintenant. C’est ça les données exactes. Le problème se pose sur le SMIC. Sur le SMIC, s’il augmente le SMIC, dans le rapport 35-39, cela fait 11,44. S’il fait ça, il fait sauter toutes les grilles de salaires, tout le monde le sait. Parce que les salaires les plus bas vont monter de 11,44, le SMIC, cela veut dire qu’il n’e va plus y avoir de hiérarchie mais ça, je le sais, c’est la revendication que l’on avait, nous, le 10 octobre en demandant à négocier justement les grilles de salaires. Et c’est ce que les patrons doivent faire maintenant. Il faut qu’ils négocient avec nous les grilles de salaires.
Michèle Cotta : Marc Blondel, on attend donc la réponse des patrons. On est très intéressé, on sera très intéressé de voir si monsieur Seillière, vous raccrochez les liens ou pas, peut-être dernière question sur l’automobile, donc Toyota à Valenciennes, est-ce que vous considérez que c’est espoir pour les chômeurs qui trouvent du travail sur Valenciennes ou est-ce que c’est une crainte pour vous et pour l’industrie automobile ? Vous avez une minute et demie pour répondre !
Marc Blondel : Oui, on ne peut pas dire « oui » ou « non ». Ce n’est pas aussi brutal que cela. Qu’il y ait une entreprise automobile japonaise qui s’installe en France, c’est clair, cela donne du travail, bravo. Ceci étant, ils ont les moyens de savoir faire. Avant l’annonce, moi j’avais reçu une lettre et cette lettre me propose de me rencontrer – beaucoup mieux que monsieur Seillière – elle propose de nous rencontrer. Le problème de fond et vous allez dire que je prends un malin plaisir à compliquer les dossiers, c’est de savoir comment ils vont embaucher. Est-ce qu’ils vont embaucher à 39 heures ou est-ce qu’ils vont anticiper et embaucher à 35 ? Et s’ils embauchent à 35, est-ce qu’ils vont avoir les aides correspondantes que l’on veut donner à ceux qui de 39 descendront à 35 ?
Michèle Cotta : Vous ne répondez pas tout à fait à la question. La question posée c’est quand même, est-ce que c’est une bonne chose de voir dans une région complètement déshéritée l’arrivée de Toyota ?
Marc Blondel : La question ne se pose même pas ! La question ne se pose même pas ! Dans le valenciennois, que je connais bien, il n’y a pas de boulot. On ramène du travail aux gens, on ne peut que s’en féliciter. Tout le monde vous dira « oui mais une entreprise Toyota est une entreprise étrangère ». Peut-être … question : « est-ce qu’elle a reçu des aides françaises ? » Là, peut-être un petit peu de nuance. Bon ceci étant, écoutez, si nous ne prenions pas Toyota, c’était les Allemands ou les Italiens qui la prenaient … Ils pénétraient le marché français comme cela.
Laurent Mauduit : Aucun paradoxe après l’annonce de la fermeture de Vilvoorde, l’usine de Renault ? Vous arrivez à comprendre …
Michèle Cotta : C’est en Belgique.
Laurent Mauduit : En Belgique, absolument oui.
Marc Blondel : Oui, non mais attendez, ce n’est pas une question de paradoxe. Le problème, c’est que moi je ne me fais aucune illusion. Renault est devenue une entreprise capitaliste et qui obéit aux mêmes règles que les autres. Ce qui compte là c’est que les salariés de Toyota soient au niveau des salariés de chez Renault, voire de chez Peugeot ou réciproquement parce que sinon, effectivement comme il va prendre une part de marché, on va avoir des conséquences qui vont être dramatiques mais sinon, vous savez, sinon c’est les fonds de pension. Il y a combien d’entreprises françaises qui travaillent avec les fonds de pension japonais ou avec les fonds de pension américains ? Là, il faut faire de l’intérêt pour que les citoyens américains en bénéficient. Là, c’est l’argent qui arrive peut-être même d’ailleurs où vont-ils emprunter de l’argent en France, on n’en sait rien.
Michèle Cotta : Marc Blondel, merci ! À 13 heures, le journal est présenté par Laurence Piquet. C’était la dernière émission de l’année 97. Nous nous retrouverons le 4 janvier 1998. Bonnes fêtes et bonne année ! Au revoir.