Extraits d'une interview de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, à la chaîne de télévision italienne RAI le 23 janvier 1998, sur le projet de loi sur la réduction du temps de travail à 35 heures.

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Média : Contemporaine - Presse étrangère - RAI - Télévision

Texte intégral

Q. Pourquoi cela a-t-il un sens de parler des 35 heures en France ?

R. Tout d'abord parce qu'on est confronté en France à une situation de chômage de trois millions cinq cent mille personnes. Nous n'avons pas encore tout essayé. Il n'y a pas seulement les 35 heures, nous devons aussi créer des emplois pour les jeunes. Nous avons créé 350.000 emplois pour les jeunes. Nous voulons relancer la consommation en augmentant les salaires, puis nous proposons cette loi sur les 35 heures qui est une loi qui servira à partager le travail.

Q. Au moment où en France les chômeurs dressent des barricades, les 35 heures vous paraissent une réponse adaptée ?

R. Je le crois tout à fait. Si nous avions écouté les chômeurs qui ont occupé le siège du PS, nous aurions eu les 35 heures tout de suite. L'idée de partager le travail est une bonne idée, mais celle du gouvernement va au-delà. Notre idée, c'est qu'il est nécessaire non seulement de réduire le temps de travail, mais aussi de le réorganiser. Je répète, pour nous, il s'agit de renforcer la flexibilité. Nous proposerons également des incitations financières pour que les entreprises réduisent plus rapidement le temps de travail. Nous le ferons en négociant, entreprise par entreprise. Ce ne sera donc sûrement pas un système centralisé comme le prétend par exemple le patronat français. Il est clair qu'après le vote de la loi, nous procéderons à des négociations. Si ceux qui ont un emploi travailleront moins, cela permettra une réorganisation du travail et augmenter la possibilité d'embauche pour les autres. Nous allons créer des centaines de milliers d'emplois. Trois études macro-économiques ont été réalisées dont une à la Banque de France, un institut de tradition libérale, et ont parlé de la création de 300.000 emplois si on passe aux 35 heures en France,

Q. (sur la réduction des salaires)

R. Certes, il existe deux modèles, le modèle américain que nous connaissons, avec des salaires bas, une protection sociale faible, des emplois précaires et une politique monétaire plus permissive que la nôtre, et il y a un modèle européen qui garantit une protection sociale élevée, qui a un coût en termes de prélèvements obligatoires, avec des emplois stables et en revanche un taux de chômage plus élevé. Et bien, il faut trouver une troisième voie, dans laquelle on ait à la fois un niveau de protection sociale élevé et un niveau de chômage ha. Pour nous, la réduction du temps de travail est l'un des moyens d'y parvenir.

Q. Quant à la réduction des salaires, tous les économistes savent que cela ne sert à rien, que cela entraîne une diminution de la consommation. Comment les entreprises peuvent-elles investir, créer des emplois, obtenir la croissance s'il n'y a pas de Consommateurs ?

R. En France, comme en Italie en ce moment, nous assistons à un certain retour de la croissance, une croissance qui est nécessaire, mais qui ne doit pas désorganiser les entreprises. J'ai été cet après-midi dans une petite entreprise de 300 employés où le temps de travail hebdomadaire est de 33 heures et demie et tout fonctionne sans problème.

Q. Est-ce qu'on crée des emplois en réduisant le temps de travail ?

R. L'Italie et la France sont deux pays différents, même si nous sommes deux pays qui en Europe ont choisi de réduire le temps de travail. Mais tous réduisent le temps de travail. Même en Allemagne on négocie, en Grande-Bretagne, etc... J'insiste sur ce point. Je ne fais pas confiance aux économistes, peut-être parce que je suis moi-même un économiste. Je me réfère surtout aux historiens et j'observe que depuis un siècle le temps de travail diminue continuellement. Nous avons parlé de l'après-guerre ; on a créé à ce moment-là des centaines de milliers d'emplois. En France, nous avions déjà réduit le temps de travail en 1936 avec la gauche, puis nous avons voté la loi sur les 40 heures en 1942, puis sur les 39 heures qui n'a créé que quelques nouveaux emplois parce qu'il y avait trop de rigidité.

La question est la suivante : est-ce qu'on crée des emplois en réduisant le temps de travail ? La réponse est : cela dépend comment on le fait. Pour créer des emplois, il faut clairement un dialogue social. De ce point de vue, c'est aux entreprises de trouver une solution. Nous proposerons des incitations fiscales pour que le coût de la compensation salariale, c'est-x-dire le coût supplémentaire pour les entreprises soit assumé en partie par la collectivité. Si ces deux conditions sont remplies, alors à ce moment-là oui, on peut réduire le temps de travail et c'est ce que voulons faire en France.
Pas une réduction rigide, pas une réduction uniforme ou imposée, mais négociée entreprise par entreprise. Si on fait comme cela, cela ne représentera pas un coût supplémentaire, il y aura au contraire une plus grande flexibilité, des heures de travail en moins et une meilleure organisation du travail.