Texte intégral
L’Est Républicain : Les maires de Marseille et de Lyon, Jean-Claude Godin et Raymond Barre, ont signé une « charte de coopération » qui confirme leur soutien commun au grand canal Rhin-Rhône. Que pensez-vous de l’initiative ?
Brice Lalonde : Je dois avouer que je ne comprends rien à la logique des partisans de ce projet. Car si l’on estime, comme eux, que la réalisation d’une liaison fluviale entre la Mer du Nord et la Méditerranée est importante, pourquoi s’acharner à lui faire suivre le pire tracé qui soit ? Et pourquoi avoir abandonné, voici plus de trente ans, la première option qui empruntait l’axe Coblence-Nancy-Moselle ? Il aurait au moins fallu examiner cette hypothèse sérieusement. Au lieu de ça, on l’a oublié dans les brumes du passé pour choisir le passage par Mulhouse et la vallée du Doubs. C’est irrationnel…
L’Est Républicain : Et vous pensez qu’il serait encore envisageable de revenir à la première solution ? En dépit des acquisitions foncières réalisées sur le second tracé ?
Brice Lalonde : Il faut savoir si le gouvernement a du courage politique ou pas ! Certains ministres semblent confondre ce courage et l’obstination à poursuivre le projet. Alors que le véritable courage, en la circonstance, consisterait à renouer avec le simple bon sens. C’est-à-dire adopter le tracé à la fois le plus rapide, le plus simple et le plus onéreux.
Je crois qu’on pourrait se donner quelques mois supplémentaires pour vérifier les différentes hypothèses. Quant à la Compagnie nationale du Rhône, si l’option change, elle pourra toujours louer à leurs anciens propriétaires les terrains achetés. Et eux, ils y feront de l’agriculture biologique !
L’Est Républicain : En ce concerne Génération Écologie, vous réclamez donc un réexamen de l’alternative lorraine…
Brice Lalonde : Oui, ne serait-ce que pour connaître les raisons qui ont motivé son abandon et juger si elles sont valables ou pas. Le tracé de la vallée du Doubs, c’est le plus mauvais qui soit. Elle est non seulement belle mais sinueuse, calcaire, pleine de trous comme du gruyère, pas assez approvisionnée en eau pour ce projet surdimensionné, prévu pour un gabarit incompatible avec la hauteur des ponts.
En plus, il faut franchir une montagne. En face d’une telle accumulation de handicaps, on aimerait bien savoir ce qui rend ce choix plus pertinent que l’autre. Sauf, bien sûr, s’il s’agit d’un défi d’ingénieurs qui veulent matérialiser leur délire. En tout cas, leur montage a enfanté un monstre.
L’Est Républicain : Le chef de l’État lui-même s’y est déclaré « intuitivement favorable ». Savez-vous pourquoi ?
Brice Lalonde : Au début, j’ai pensé comme tout le monde qu’il s’agissait de faire plaisir au maire de Lyon. Mais Raymond barre, dans cette affaire, est isolé. Sa municipalité est loin d’être d’accord.
Et puis 30 milliards de francs, c’est quand même cher payé pour lui faire plaisir ! Je ne sais pas s’il les vaut.
Là encore, ce n’est pas de la bonne politique pour le gouvernement de rendre la situation aussi peu claire, avec des ministres qui ne paraissent pas soutenir des stratégies identiques. On ne sait pas ce qui est vraiment décidé et ce qui ne l’est pas.
L’Est Républicain : Vous pensez donc que rien n’est joué…
Brice Lalonde : L’attitude qui consiste pour satisfaire les partisans du grand canal, à faire semblant de pousser la procédure par la vallée du Doubs pour tout abandonner dans six mois, c’est un peu malsain, mais vraisemblable.
Si ce projet continue, c’est parce qu’on a volé de l’argent dans la poche d’EDF et qu’il faut le justifier. Or ce financement flibustier d’une idée colbertiste est inadapté aux besoins.
Les autoroutes de l’information correspondent davantage à l’économie du XXIème siècle que ce canal de François Ier.
La compétitivité doit se construire à partir du capital humain, pas sur la base d’infrastructure du passé.
En résumé, Génération Écologie reste dans l’opposition au projet. Le mouvement participera-t-il aux manifestations du printemps prochain ?
Certainement ! Ce tracé de la vallée du Doubs constitue une erreur et nous avons toujours été aux côtés du WWF dans ce dossier.
Lorsque j’appartenais au gouvernement, nous nous posions déjà la question : que faire de cette Compagnie du Rhône qui ne sait que construire des canaux et barrages ?
C’est d’ailleurs la difficulté de ces structures créées pour une mission précise et qu’on a du mal à faire disparaître quand c’est fini ; elles veulent survivre à tout prix et elles cherchent tous les moyens pour ça…