Interview de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, dans "Paris-Match" du 26 février 1998, et déclaration en réponse à une question sur la sortie de la crise irakienne et la proposition de lever l'embargo, au Sénat.

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Média : Paris Match

Texte intégral

Entretien  avec « PARIS-MATCH » (Paris, 26 février 1998)

Q. La position spécifique de la France dans la gestion de la crise irakienne aura-t-elle des conséquences dans nos relations avec les États-Unis ? N’est-ce pas paradoxal que la France se soit retrouvée l’alliée de la Russie ?

R. Ce ne sont pas des alliances mais des ajustements successifs à cinq (les membres permanents du Conseil de sécurité). Et, là, c’est plutôt Moscou qui a soutenu nos efforts (par exemple, nos idées sur les modalités d’inspection). Depuis une dizaine de jours, la tentative d’une sortie de crise diplomatique s’est organisée autour des propositions françaises. Le travail diplomatique de la France, depuis le début de cette crise, est salué par tous les pays, y compris les États-Unis, qui n’ont émis aucune critique à notre encontre. Une vraie solution à la crise des sites présidentiels semble trouvée, durable, conforme aux résolutions. La perspective des frappes s’éloigne grâce à la combinaison des pressions de toutes sortes, des propositions diplomatiques de la France et du très remarquable travail de M. Kofi Annan. Il faut s’en réjouir.

Q. Selon vous, la dictature de Saddam Hussein pourra t-elle résister à un second bras de fer, en moins de dix, avec la communauté internationale ?

R. Il est hasardeux de faire de la politique-fiction sur l’Irak ! Depuis 1990, Saddam Hussein a surmonté toutes les épreuves : malgré l’attaque de la coalition, malgré le vote des résolutions de l’ONU, malgré la rébellion kurde, malgré les mouvements de résistance chiite, malgré l’embargo, il est resté au pouvoir.

Q. Saddam Hussein s’impose aujourd’hui comme le plus énigmatique des dirigeants du monde. La France a-t-elle pris en compte la dimension psychologique du personnage dans l’analyse de cette crise ?

R. Bien sûr, et c’est pour cette raison que la France a jugé indispensable que Saddam Hussein entende directement et lui-même la position de la France par la voix d’un envoyé spécial muni dans ce but d’un message du président de la République. Car Saddam Hussein n’a depuis longtemps presque plus aucun contact avec les chefs d’États, ni du monde arabe ni du monde occidental. Et, le passé l’a prouvé, il peut commettre d’immenses erreurs de jugement.

Q. Quelles seraient les répercussions au Moyen-Orient d’un pouvoir irakien fragilisé ?

R. Cette région demeure potentiellement explosive : problème kurde, enjeux pétroliers, changements encore incertains en Iran, asphyxie du processus de paix. Déstabiliser en plus l’Irak serait irresponsable. C’est pourquoi tous les dirigeants arabes souhaitent l’application des résolutions de l’ONU, mais étaient aussi hostiles à des frappes militaires contre l’Irak. Jusqu’où, en effet, irait l’onde de choc ? Limiter la capacité agressive de l’Irak, voilà la vraie préoccupation des pays arabes. La France, elle aussi, s’est interrogée publiquement sur l’opportunité, l’utilité et les conséquences d’une action militaire contre l’Irak. Rappelons que, en sept ans de travail sur le territoire irakien, l’UNSCOM est parvenue à démanteler plus d’armes que ce qui a été détruit pendant la guerre ! L’UNSCOM a imposé au pouvoir irakien la surveillance permanente de près de 300 établissements, et de plus de 60 sites. Il faut poursuivre dans cette voie pour les armes chimiques et bactériologiques, ce qui deviendrait impossible en cas de frappe.


Réponse à une question d’actualité au Sénat (Paris, 26 février 1998)

M. le Président,
Mesdames et Messieurs les Sénateurs,
M. le Sénateur,

Concernant les suites de l’accord, la situation à New York est la suivante : un débat s’est engagé entre les membres du Conseil de sécurité sur l’opportunité d’une résolution et le contenu de cette résolution. La France est favorable à une résolution pour bien montrer que le Conseil de sécurité, non seulement prend note mais approuve et accueille favorablement l’accord signé par M. Kofi Annan avec le vice-Premier ministre Tarek Aziz et d’autre part, pour adresser un signal très clair dans deux directions, les deux branches de l’alternative.

Si l’Irak joue le jeu de l’accord, il faut qu’il puisse savoir, de la part du Conseil de sécurité que, dès que les conditions prévues à l’article 22 de la résolution 687, votée après la Guerre du Golfe, dès que ces conditions seront remplies - la France s’engage à dire que, les conditions étant remplies -, l’embargo doit être levé. C’est la réponse à votre question sur la levée de l’embargo. Il faut que les conditions soient remplies. Nous espérons que cet accord permettra de hâter ce moment, et, en ce qui nous concerne, nous allons continuer à y travailler. Je dirai que, pour l’Irak, naturellement pour le peuple irakien mais aussi pour toute la région, le plus tôt sera le mieux. Il faut également envoyer un signal clair pour dire que si les dirigeants irakiens, qui se sont engagés cette fois-ci - parce que ce n’est pas uniquement une résolution qui leur est imposée, mais un accord qu’ils signent -, s’ils n’appliquent pas l’accord tel qu’il est prévu, tel qu’il va être confirmé par le Conseil de sécurité, ils s’exposeraient naturellement aux plus sérieuses conséquences. La résolution est nécessaire pour que l’avenir soit clairement déterminé. Ce que nous souhaitons, ce à quoi nous croyons, ce à quoi nous allons nous employer, c’est de pouvoir aller vers la « sortie du tunnel » pour reprendre l’expression consacrée. Il faut pour cela que les conditions soient remplies.

Il y a d’autres régions du monde dans lesquelles des résolutions ont été votées par le Conseil de sécurité, parfois depuis extrêmement longtemps, et qui ne sont pas appliquées. La position de la France est, bien sûr, que tout doit être fait, au sein du Conseil de sécurité comme ailleurs, pour qu’elles trouvent enfin un commencement d’application. C’est le cas au Proche-Orient comme partout ailleurs. Il n’y a pas à raisonner autrement même si on ne peut pas plaquer sur une crise, les solutions qui ont été employées pour sortir d’une autre. Chaque cas est particulier, les protagonistes ne sont pas les mêmes, les solutions à trouver ne sont pas identiques. Quant à la philosophie générale de la valeur des résolutions au rôle du Conseil de sécurité et au rôle retrouvé, du Secrétaire général des Nations unies, que nous avons contribué à consolider, il faut raisonner de la même façon.