Texte intégral
A. Ardisson : Irez-vous à Strasbourg samedi ?
J. Lang : Naturellement oui.
A. Ardisson : Ce type de manifestation, comme le banquet républicain qui s’est tenu hier soir dans la même ville mais du côté de la droite, n’aboutit-elle pas à mettre le FN au centre de la politique française ?
J. Lang : Oui, la question est posée. Et je crois que la réponse est double. À la fois, il faut s’opposer à ce mouvement et même porter un coup d’arrêt à son développement et d’autre part, naturellement, il faut se tourner vers le futur et le futur ne se construit pas avec le FN. Le FN, j’ai envie de dire, l’affront national, c’est un mouvement qui déshonore notre pays. C’est un mouvement totalitaire, fondé sur la haine de soi, sur la haine des autres, il suffit d’ailleurs d’aller dans les villes dirigées par le FN, la censure, la délation, l’insécurité, le terrorisme intellectuel y règnent en maîtres. Mais, au-delà même du FN, il y a plus grave encore, une sorte de lepénite qui parcourt ici ou là la société, qui est une maladie contagieuse, une sorte de venin qui s’incruste ici et là par petits abandons, petites lâchetés. Relisez « Peur et misère du IIIe Reich », Brecht explique très bien comme cela que par petits consentements, complaisances quotidiennes, les extrémistes réussissent à gagner du terrain. Et puis, il y a cette lepénite je dirais, déguisée, masquée, camouflée sous d’autres étiquettes. Le maire de Nice par exemple, qui vient du FN et qui aujourd’hui est RPR et qui a organisé ce référendum contre les pauvres. Et parfois, certains maires sont des frères siamois du FN. Alors vient un moment où on a envie de dire : ça suffit ! Il faut se sortir d’une sorte de complaisance ou de connivence et mener contre ce mouvement, quelles qu’en soient les formes, un combat sans merci. C’est pourquoi je me réjouis qu’un sursaut se soit produit à Strasbourg pour enrayer la marée brune.
A. Ardisson : Mais est-ce qu’à en faire trop ou à vouloir donner ce coup d’arrêt, on ne risque pas d’aboutir à l’effet inverse de ce que l’on souhaite ? Au fond, quel sera selon vous le résultat de cette manifestation ?
J. Lang : D’abord, ce qui se passera à Strasbourg réchauffe le cœur. Je crois que c’est un événement qui fera date par son ampleur et surtout par son esprit, car la riposte est venue moins de telle ou telle organisation que de la société elle-même. C’est une riposte, comme l’a appelée le maire de Strasbourg, une riposte citoyenne des associations, des religions, des créateurs. Il n’y a pas seulement l’événement, mais, depuis deux ou trois jours, des débats, des concerts, des rencontres. Je crois que tout à coup s’affirme ce mouvement représenté par 85 % de Français qui ne veulent pas se reconnaître à travers ce mouvement totalitaire. De temps en temps, il faut prendre conscience de sa force. D’ores et déjà, d’ailleurs, on sent que le FN a été mis sur la défensive. Et il faut le faire trembler et vaciller un peu plus pour que ses idées même régressent. Mais, je reviens à votre question, vous avez raison, ça ne suffit pas. Ce serait effectivement se laver les mains d’une responsabilité présente ou future que de dire il suffit d’excommunier le FN. Il faut au contraire, et c’est là l’essentiel, s’attaquer à la racine du mal et pas seulement par des mots, s’attaquer aux causes, les peurs, les angoisses entretenues par le chômage, les conditions de vie, l’absence d’idéal mobilisateur, l’impuissance des pouvoirs publics et les promesses non tenues. C’est le rôle en particulier de la gauche mais aussi sans doute, s’ils le souhaitent, des autres partis.
A. Ardisson : Que pensez-vous des initiatives de cette partie de la droite qui veut lutter contre le FN en démontant son programme tel un mécano qui ne peut pas tenir debout ?
J. Lang : Oui, pourquoi pas. On ne peut pas se plaindre lorsqu’ici et là des responsables politiques, quelle que soit leur appartenance, s’attaquent aux idéologies extrémistes et montrent quelles conséquences sur le terrain aurait cette idéologie d’ailleurs il suffit de regarder les villes où il dirige. C’est une idéologie de mort. Je crois qu’il faut surtout être positif, dire : nous voulons substituer à cette idéologie de mort, une idéologie de vie, tournée vers le futur. Notre volonté, c’est que plutôt que la haine nous préférons l’amour, plutôt que l’exclusion nous préférons la fraternité, plutôt que l’oppression nous préférons la liberté. En cette veille de week-end pascal, moi je ne suis pas croyant, je retiens le message d’amour que les religions nous transmettent. Il s’agit demain de recoudre le tissu social, de refonder le pacte républicain et de répondre à ce qu’Alain Souchon appelait, si justement, la soif d’idéal.
A. Ardisson : Que pensez-vous du programme d’intégration présenté, hier, par Éric Raoult, parce que cela fait partie peut-être de cette volonté de recoudre le tissu républicain et en même temps, c’est critiqué à gauche ?
J. Lang : Il y a un point positif dans ce programme, s’il est suivi de faits – c’est toujours la question que l’on se pose quand il y a une annonce officielle –, c’est sur les naturalisations. Pour le reste, je le regrette, c’est du déjà entendu. C’est du déjà entendu sans moyens. Je me réjouis quand on dit : « On va faire mieux pour épauler les enfants dans les écoles des quartiers difficiles », mais je ne peux pas ne pas constater que les crédits depuis quatre ans dans les zones d’éducation prioritaire sont en baisse. Je ne peux pas ne pas constater que les crédits culturels ou sportifs accordés aux associations des quartiers sont en réduction et je dirais que cela aussi contribue à créer ce malaise général. Les gens souvent se disent : « Ras la casquette des plans mirifiques sans lendemain », et souvent ils ont l’impression d’avoir, en face d’eux, des ministres virtuels plutôt que des ministres réels. Les médias, qui ont tendance à orchestrer les annonces ministérielles, feraient bien, de temps en temps, de vérifier sur le terrain si ces annonces sont suivies d’effets ou pas.
A. Ardisson : Quand l’annonce arrive, on ne peut pas vérifier encore. C’est un peu tôt.
J. Lang : Non, mais donnez-vous rendez-vous trois mois plus tard.
A. Ardisson : Je change de sujet mais parce qu’il y a une manifestation nationale qui concerne la grève des internes. Cette grève a l’air de s’enkyster pour employer une comparaison médicale. On n’entend pas tellement la gauche là-dessus : est-ce que vous considérez comme le gouvernement que c’est une question d’incompréhension ou un faux débat ?
J. Lang : Je dirais que cette grève est l’impression même d’un mal plus général qui atteint notre démocratie, et qui ne date pas d’aujourd’hui mais qui s’est aggravé, me semble-t-il, au cours des derniers temps : c’est que le dialogue social ne marche pas bien. On n’arrive pas à se parler, à se rencontrer, à négocier. Du coup, telle ou telle catégorie pour se faire entendre se livre à un coup d’éclat ou organise un mouvement national pour attirer l’attention des responsables. C’est l’occupation un jour du Crédit Foncier, c’est le blocage des routes par les routiers et c’est aujourd’hui cette manifestation des internes. Et on aimerait que le mot dialogue fasse plus souvent partie du lexique gouvernemental et d’une manière plus générale du lexique politique des dirigeants d’aujourd’hui et de demain.