Interviews de M. Jean-Louis Debré, président du groupe RPR de l' Assemblée Nationale et ancien ministre de l'Intérieur, dans " Le Parisien" du 9 février 1998 et à RTL le 11 février, sur l'assassinat du préfet Erignac et sur son action, en qualité de ministre, contre le terrorisme corse.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Assassinat du préfet Claude Erignac à Ajaccio le 6 février 1998

Média : Emission L'Invité de RTL - Le Parisien - RTL

Texte intégral

Le Parisien : 9 février 1998

Le Parisien : Quels motifs vous avaient amenés à choisir Claude Érignac ?

Jean-Louis Debré : Il était l’homme qu’il fallait à la Corse : il incarnait, en effet, un État intransigeant, fort et impartial. Un État capable de dominer les groupes de pression, lobbies, intérêts particuliers… Mais un second motif avait compté : Claude Érignac était aussi un homme de dialogue. Or la Corse a besoin de fermeté et de dialogue.

Le Parisien : La fermeté jusqu’où ?

Jean-Louis Debré : Quand j‘étais ministre de l’Intérieur, les forces de police placées sous mon autorité ont arrêté 130 personnes se disant « nationalistes » Une cinquantaine ont été, ensuite, déférées à la justice. Cette politique doit être poursuivie, car elle ne peut donner de résultats que dans la durée. Il faut mettre hors d’état de nuire tous ceux qui se situent en marge de la loi.

Le Parisien : Y compris sur le terrain fiscal ?

Jean-Louis Debré : La loi doit être respectée, en Corse comme ailleurs, dans tous les domaines. Sans aucune exception.

Le Parisien : Faites-vous une distinction entre les « nationalistes » ?

Jean-Louis Debré : Il y a ceux qui respectent la loi républicaine, et les autres. Pour le reste, en France, on ne poursuit personne pour ses idées.

Le Parisien : Comprenez-vous que certains parlent de « peuple corse » ?

Jean-Louis Debré : Pour moi, la Corse, c’est la France. Il y a des Corses, comme il y a des Bretons, des Normands, des Alsaciens… Un point, c’est tout.

Le Parisien : Quel était l’état du dossier corse quand vous avez été nommé ministre de l’Intérieur ?

Jean-Louis Debré : J’ai trouvé une situation extrêmement compliquée… Sans doute avait-on une vue trop optimiste de la volonté des « nationalistes » de respecter la loi, ou de pouvoir la faire respecter.

Le Parisien : En Corse, dit-on, l’État est faible…

Jean-Louis Debré : L’État n’est pas faible. Et il y a d’excellents fonctionnaires. Simplement, il m’a fallu constater avec tristesse que, parfois, la justice était bien lente…

Le Parisien : Nicolas Sarkozy assure que « la Corse est aux prises avec la mafia… ».

Jean-Louis Debré : Tout dépend ce que l’on met sous ce mot. La situation en Corse n’est pas identique à celle qui prévaut en Sicile. Mais, c’est clair, il existe, dans certains domaines, une criminalité organisée à qui la politique sert d’alibi.

Le Parisien : Jean-Pierre Chevènement demande aux Corses de ne pas s’abriter derrière la loi du silence…

Jean-Louis Debré : C’est des Corses eux-mêmes que doit, effectivement, se lever la vague de réprobation. Mais il faut pour cela que les Corses aient le sentiment, j’insiste, que la justice passe.

Le Parisien : Où va la Corse ?

Jean-Louis Debré : Les Corses, leur classe politique en tête, doivent manifester que la violence ne conduit nulle part. Le retour de tous à un comportement civique, citoyen et républicain est une absolue nécessité.


RTL : 11 février 1998

O. Mazerolle : A votre avis est-ce que l’on dispose de pistes qui permettent de déterminer le nom ou l’identité du commanditaire de l’assassinat de C. Érignac ?

Jean-Louis Debré : D’abord, si je le savais je ne vous le dirais pas. Ce que je peux vous dire et qui est le fruit de mon expérience, c’est qu’il y a actuellement, me semble t-il, deux pistes possibles et qui auront des conséquences différentes. La première piste, c’est ce que l’on appelle la piste nationaliste mais attention, ce ne sont pas, me semble t-il, les mouvements nationalistes habituels. Ce sont des dissidents nostalgiques de l’échec du nationalisme, ce sont des soldats perdus d’une cause perdue, des nostalgiques d’un nationalisme rejeté par les Corses eux-mêmes et qui sont dans une logique extrême. Un petit groupe.

O. Mazerolle : Le fameux groupe Sampieru ?

Jean-Louis Debré : Je pense qu’en plus des dissidents de ce groupe même – donc, un tout petit groupe extrêmement violent et jusqu’au-boutiste – il y a une deuxième piste que j’appellerais la « voyoucratie corse » qui prend le nationalisme comme alibi et cela pourrait être lié à des intérêts qui se situent dans le sud Bonifacio, Cavallo, Spérone. On retrouve toujours cet endroit comme un endroit difficile où il y a un certain nombre de voyous et je crains que ces voyous utilisent le thème nationaliste ou l’alibi nationaliste pour commettre leurs attentats. Ce sont deux pistes, je ne suis pas enquêteur.

O. Mazerolle : Ces deux pistes pourraient conduire au même commanditaire.

Jean-Louis Debré : Ces deux pistes pourraient conduire à un ou plusieurs commanditaires. C’est l’hypothèse que je formule mais je ne suis pas enquêteur.

O. Mazerolle : Et vous, vous avez une idée qu’il peut y avoir des liens entre les commanditaires et la mafia italienne ?

Jean-Louis Debré : C’est plus compliqué que cela. Qu’il y ait en Corse des organisations criminelles organisées, c’est sûr. Ce n’est pas la même organisation que la mafia sicilienne ou que la mafia calabraise. Donc, quand on dit il y a une mafia, je préfère dire qu’il y a en Corse certains organismes qui se sont organisés pour commettre des crimes ou des délits mais pas tout à fait du même type que la mafia sicilienne.

O. Mazerolle : Le pistolet qui a servi à l’assassinat de M. Érignac provenait d’une gendarmerie dont les deux gendarmes avaient été pris en otage. Est-ce que d’autres armes, est-ce que d’autres matériels avaient été pris dans cette gendarmerie ?

Jean-Louis Debré : Il faudrait le demander aux enquêteurs. Ce que je crains – et c’est les bruits qui courent en Corse- c’est qu’il n’y ait pas eu qu’un pistolet qui ait été dérobé. Je crains qu’il y en ait eu un autre et je crains aussi – cela a été dit localement – qu’on ait dérobé des uniformes de gendarmes. C’est ce qui me fait craindre qu’il y ait le risque d’autres attentats.

O. Mazerolle : Compte-tenu de votre expérience, estimez-vous que l’enquête peut arriver rapidement à déterminer et à faire arrêter les assassins ?

Jean-Louis Debré : Oui parce que le Raid est retourné en Corse et quand j’y étais, je les avais mis en permanence et très nombreux. Ils sont là et travaillent avec beaucoup de talent. Les services de police que nous avons envoyés là-bas, que le Gouvernement a envoyés là-bas, sont des services de premier plan et très efficaces.

O. Mazerolle : Il y a toute une polémique sur le rôle de l’État en Corse. Hier matin, J. Rossi, qui est l’un des élus corses, disait que dans le fond, c’est parce que l’État a commencé à discuter avec les nationalistes que les élus corses ont perdu la possibilité d’agir ?

Jean-Louis Debré : Aux mots, aux formules, aux images, aux affirmations, aux pétitions de principe, je voudrais opposer ce que l’État a fait, en tous les cas lorsque j’avais la responsabilité du ministère de l’Intérieur. Je voudrais vous rappeler un certain nombre de chiffres qui sont des chiffres que l’on peut vérifier. Entre 1996 et 1997, le Gouvernement auquel j’appartenais – j’avais la responsabilité du dossier corse – a interpellé 317 terroristes et en a écroué plus de 110. Jamais dans l’histoire de la Corse, on avait autant interpellé et autant arrêté de nationalistes. Ce que je déplore et ce que je regrette, c’est qu’aujourd’hui, il y ait dans nos prisons encore 50 ou 60 terroristes corses que j’ai fait arrêter, donc j’ai pris la responsabilité et qui ne sont pas jugés. Le police en Corse a parfaitement fait son travail, l’État a parfaitement fait son travail. Elle a identifié, interpellé, déféré à la justice ne les a toujours pas jugés.

O. Mazerolle : Parallèlement à cette fermeté à l’égard de ceux qui peuvent être des criminels, est-ce qu’il n’y a pas eu de la part de votre ministère lorsque vous étiez ministre de l’Intérieur des contacts, des discussions avec des responsables nationalistes et du FLNC Canal Historique dans l’espoir de les voir réintégrer la légalité ?

Jean-Louis Debré : Nous avions deux impératifs, deux directions de travail. Un : la fermeté et l’affermissement de l’État de droit. Je viens de vous montrer par un certain nombre de chiffres, d’interpellations, le travail tout à fait exceptionnel fait par la police à cette époque-là. Et puis nous avons eu des discussions avec les représentants élus de l’île. Je suis allé à plusieurs reprises en Corse et je les ai vus au ministère ; tous les représentants élus de l’île, quels qu’ils soient et quel qu’était leur passé pourvu qu’ils aient été élus par les Corses lors des élections.

O. Mazerolle : Il y a eu quand même l’épisode de Tralonca, fameuse conférence de presse tenue dans le maquis par environ 600 militants du FLNC Canal Historique…

Jean-Louis Debré : Je vous laisse la responsabilité du nombre de participants.

O. Mazerolle : En tous cas, un grand nombre, le 12 janvier 1996 et le lendemain, vous êtes en Corse et vous ne dites pas un mot de cette conférence de presse clandestine et ensuite, vous prononcez un discours dans lequel vous annoncez le rééchelonnement des dettes fiscales et sociales, vous vous dîtes ouvert au dialogue. L’espace nécessaire à la discussion et au dialogue est ouvert ; dialogue ne veut pas dire compromission. On a l’impression que tout se met en place comme dans un puzzle bien construit. Les nationalistes se rangent, ils annoncent la trêve et vous, vous dites que c’est peut-être l’occasion – c’est une interprétation – de leur permettre de réintégrer la légalité.

Jean-Louis Debré : D’abord, premièrement, vous n’y êtes pas et donc quand vous dites 600 personnes, vous êtes complètement manipulé par ceux qui ont fait la manifestation. Deuxièmement, ils annoncent une trêve. Troisièmement, vous n’avez pas lu mon discours jusqu’au bout et depuis le début, car je commence par dire que nous appliquerons la loi et la fermeté dans l’application de cette loi. Je vous en ai apporté la preuve puisque jamais dans l’histoire de Corse, on a autant interpellé de personnes et jamais, on a autant déféré à la justice d’individus terroristes avec des dossiers en béton c’est-à-dire que l’on ne se contentait pas de rumeurs, de bruits, d’affirmations mais on avait des preuves. D’ailleurs, ils sont toujours restés en détention car moi, j’ai fait mettre des individus en détention, on ne les a pas remis en liberté huit individus en détention, on ne les a pas remis en liberté huit jours après. Ouverture, dialogue et discussion sur l’avenir de la Corse avec tous les élus de la Corse quels qu’ils soient !

O. Mazerolle : Même F. Santoni ?

Jean-Louis Debré : Je n’ai jamais discuté avec quelqu’un qui n’avait pas un mandat électif.

O. Mazerolle : Ni des membres de votre cabinet ?

Jean-Louis Debré : Ni des membres de mon cabinet.

O. Mazerolle : Ni des proches collaborateurs ?

Jean-Louis Debré : Ni des proches collaborateurs.

O. Mazerolle : Et quand le Président de la République, le 12 décembre 1996, dit sur TF1, il n’est pas possible qu’on les ait passé ou qu’on ait négocié et je le déplore ?

Jean-Louis Debré : On n’a rien négocié car il n’y a pas à négocier l’application de la loi !