Texte intégral
Monsieur le Président,
Permettez-moi tout d'abord de vous dire combien je me félicite de prendre la parole aujourd'hui devant la Conférence du désarmement.
Je tiens à cette occasion à m'associer à l'hommage qui a été rendu par toutes les délégations à la mémoire du représentant des Etats-Unis à la conférence, M. LOWITZ.
Je suis heureux que le hasard veuille que ce soit la Chine qui préside aujourd'hui à nos travaux. Cette circonstance me donne l'occasion de saluer le représentant d'un grand pays ami de la France. Sa politique étrangère est fondée, comme la nôtre, sur l'indépendance d'action.
Sa politique de sécurité comme celle de la France repose sur un contrôle exclusif de ses forces. La Chine est, comme mon pays, une puissance nucléaire et spatiale. Je n'hésite pas à dire ici qu'en cette qualité aussi elle contribue, pour sa part, à l'équilibre des forces et donc à la paix.
Comme la France, la Chine, il y a huit ans, a décidé de prendre part aux travaux du nouveau Comité du Désarmement, devenu, depuis, Conférence.
La dernière intervention d'un membre du Gouvernement français devant votre Conférence remonte à 1979. Il s'agissait alors de marquer la transformation d'une institution sui generis, organisée autour de la co-présidence soviéto-américaine, en organe de négociation multilatéral. Cette mutation, et notamment l'abolition de la co-présidence, la France en avait fait en 1978 la condition de sa participation à la nouvelle institution.
La question qui se posait alors était de savoir s'il y avait place, parallèlement à la négociation bilatérale soviéto-américaine, pour une négociation multilatérale. Certains, mettant en avant la prétendue loi attribuée à George KENNAN selon laquelle les chances d'aboutissement d'une négociation sont inversement proportionnelles au nombre de ses participants, ont postulé l'inefficacité, voire l'inutilité de toute enceinte multilatérale consacrée au désarmement. Je voudrais rappeler ici que telle n'est pas la position de la France.
Les travaux menés par votre Conférence dans le domaine des armes chimiques ne le cèdent en sérieux à aucune autre enceinte.
S'agissant des armements conventionnels, le succès en septembre dernier de la Conférence de Stockholm a, dans un autre cadre – celui de la CSCE – montré qu'il n'est point besoin de se retrouver à deux pour aboutir et conclure le premier accord entre l'Est et l'Ouest depuis une décennie. Il s'agit certes d'un domaine limité, celui des mesures de confiance. Personne n'en sous-estime pour autant la portée en Europe, ni la signification sur le plan du contrôle des armements, dans la mesure où s'y trouve consacré le principe de l'inspection sur place.
Avant-hier, à Vienne, s'est réunie à l'ambassade de France la première d'une série de consultations informelles, qui devraient permettre de vérifier s'il est possible de bâtir sur l'acquis de Stockholm dans le domaine du désarmement conventionnel en même temps que dans celui des mesures de confiance. Là encore, mon pays insiste pour que chacun des participants à la CSCE s'exprime en son nom propre et que la négociation ne prenne pas le tour d'une confrontation de bloc à bloc.
La France est favorable à des accords de désarmement qui soient vérifiables et qui s'insèrent dans une démarche progressive. Le maintien du droit à la sécurité de chaque Etat tout au long de ce processus en constitue pour nous le corollaire obligé. La France n'acceptera donc jamais que ses forces ou son territoire soit affectés par une négociation à laquelle elle ne serait pas partie ou dans laquelle elle ne s'exprimerait pas en son nom propre. Ce droit qu'elle revendique pour elle-même, elle le reconnaît naturellement aux autres pays.
Monsieur le Président, Au moment où s'ouvrent les travaux de cette nouvelle session de la Conférence, le sentiment prévaut que les négociations sur la maitrise des armements et le désarmement se trouvent à un tournant. La reprise du dialogue soviéto-américain en 1985 a débouché il y a quatre mois sur la rencontre de Reykjavik. Celle-ci a laissé nombre d'observateurs perplexes.
Comme j'ai eu l'occasion de l'indiquer en décembre, l'opinion a en effet, à tort ou à raison, retenu des conversations de Reykjavik que les Etats-Unis pourraient, le cas échéant, changer de stratégie, abandonner leurs missiles balistiques en Europe, et en particulier faire évoluer leur contribution vers une dissuasion davantage marquée par le recours aux moyens conventionnels. Elle a également retenu de cette rencontre que l'URSS s'affirmait disposée à se débarrasser en dix ans de l'investissement stratégique qui a été de manière continue le sien depuis un quart de siècle. Il n'y a en soi rien de condamnable à évoquer de nouveaux mondes, que l'on souhaiterait naturellement meilleurs. Il peut être intellectuellement stimulant d'évoquer l'adoption de nouvelles stratégies pour demain ou après-demain.
Américains et Soviétiques ont échangé à Reykjavik propositions et contre-propositions concernant des horizons certainement très lointains, probablement utopiques. Encore faut-il prendre garde de ne pas fragiliser les fondements de notre sécurité d'aujourd'hui.
Comme plusieurs dirigeants européens l'ont souligné, il faut maintenant, dans le domaine du désarmement, se concentrer sur ce qui est réaliste, possible et souhaitable.
Pour nous, concrètement, ceci peut se résumer en trois points :
- en premier lieu, souhaiter que puisse se réaliser l'objectif dont sont convenus Soviétiques et Américains à Reykjavik d'une réduction de 50 % en cinq ans de leurs arsenaux stratégiques. Il s'agirait, cela va sans dire, d'un résultat considérable, sans équivalent dans l'histoire des négociations de contrôle des armements et nous ne pourrions, évidemment, que nous en féliciter. Pourquoi dès lors, paradoxalement, dévaloriser par avance cet objectif à cinq ans, en lui opposant des objectifs à dix ans beaucoup plus aléatoires ?
- en deuxième lieu, il s'agirait de garantir le maintien du traité ABM pour une période mutuellement convenue, suivie d'une période qui verrait le cas échéant son aménagement négocié, comme la tentative en a été faite à Reykjavik.
Il existe actuellement, chacun le sait, un débat sur le problème de l'interprétation du traité ABM par rapport aux programmes de recherche menés tant aux Etats-Unis qu'en Union soviétique. Ce débat n'est pas nouveau et doit être soigneusement distingué de la question d'un déploiement précoce de systèmes défensifs. Celui-ci se situerait au-delà de ce qui avait été autorisé en 1972, c'est-à-dire la possibilité de la mise en œuvre de cent intercepteurs antibalistiques autour d'un site unique, comme cela avait été réalisé autour de Moscou.
La position de mon pays à l'égard de l'interprétation des clauses du traité ABM prend pour point de départ une constatation d'évidence : le traité ABM est d'essence bilatérale, et il n'a jamais été question d'envisager son extension à d'autres pays. Dès lors, il appartient aux deux pays signataires de déterminer eux-mêmes :
- ce qui correspond aujourd'hui, compte tenu des nouveaux développements de la technologie, aux dispositions arrêtées en 1972
- ce qui se situe au-delà des dispositions conventionnées agréées
- selon quelles modalités des aménagements peuvent être ou non apportés au traité.
Quelle que soit la solution dégagée, j'ajoute que celle-ci devrait être concertée bilatéralement.
Nous sommes attachés au maintien du traité ABM, ainsi que notre représentant a eu l'occasion de le rappeler en 1984 devant votre conférence. Nous souhaitons donc le voir respecté par les deux parties, y compris en ce qui concerne les activités de recherche. Il est clair qu'elles sont autorisées par ce texte.
Eviter la surprise technologique est en effet un élément de la stabilité du régime du traité et donc de sa pérennité.
- Enfin, un troisième objectif devrait être la réduction des missiles de portées intermédiaire américaines et soviétiques en Europe au cours de la même période de cinq ans. L'option zéro a été acceptée implicitement en 1979 par nos partenaires de l'Alliance et explicitement proposée par eux en 1981. Les raisons politiques en sont bien connues. La situation en 1987 est toutefois différente. En 1981 nos partenaires de l'Alliance avaient proposé d'échanger l'abandon d'un déploiement annoncé, mais qui n'était pas encore réalisé, contre la réduction du nombre de missiles existant du coté soviétique. En 1987, il existe des missiles de portée intermédiaire de part et d'autre, mais en nombre inégal. Aussi faudrait-il que, demain, la mise en œuvre d'une telle formule, qui, de toutes les manières, supposerait un échéancier et des mesures de vérifications très précises, ne débouche pas sur une situation de moindre sécurité pour l'Europe.
L'application d'une entente éventuelle entre les Etats-Unis et l'URSS sur l'option zéro suppose donc que soit préservée la sécurité de l'Europe, c'est-à-dire :
- d'une part, que la possibilité d'un contournement par le haut et par le bas d'un tel accord soit évitée, je pense plus particulièrement à la question de missiles à plus courte portée (SRINF). Celle-ci préoccupe à juste titre non seulement le gouvernement de la RFA, mais également celui d'autres pays Européens.
- d'autre part, que les conséquences des déséquilibres conventionnels actuels ne se trouvent pas aggravées. Ce dernier point l'apparente à un constat d'évidence, encore faut-il ne pas le perdre de vue : on ne se souvient pas qu'il ait été abordé à Reykjavik.
Ces perspectives intéressent directement l'Europe et sa sécurité. L'Europe, comme le constatait le Président de la République française, « reste partagée entre la sécurité qui existe et la sécurité qu'elle espère ». Dans ses mémoires sur l'Europe d'avant le premier conflit mondial, écrites au moment ou pour la seconde fois la guerre conventionnelle ravageait notre continent, l'écrivain autrichien Stephan ZWEIG notait « maintenant que la grande tempête l'a fracassé depuis longtemps, nous savons désormais que ce monde de la sécurité n'était qu'une construction de songe. Pourtant nos parents l'ont habité comme une maison de paix ».
Aujourd'hui, l'Europe voit sa sécurité assurée de façon bien réelle par la dissuasion nucléaire.
Elle ne peut donc envisager une évolution en sens contraire, qui rendrait la guerre conventionnelle et chimique à nouveau possible et sans doute probable un jour, compte tenu de l'asymétrie des forces en présence et de la géographie. Il n'y a donc pas de dissuasion purement conventionnelle qui puisse assurer la sécurité de notre continent.
Monsieur le Président,
La France est favorable à un retour à l'équilibre des forces conventionnelles en Europe, si possible à un niveau moins élevé. Elle souhaite également que les négociations soviéto-américaines sur les armes stratégiques et sur les missiles de portée intermédiaire aboutissent.
Elle considère toutefois, comme l'a rappelé le Premier ministre, Monsieur Jacques CHIRAC, qu'aussi longtemps que nous serons confrontés au surarmement de deux superpuissances en même temps qu'au déséquilibre des forces classiques en Europe notre sécurité passera par la dissuasion nucléaire.
Mon pays n'acceptera donc pas une prise en compte directe ou indirecte de ses forces nucléaires dans des négociations auxquelles elle n'entend pas se joindre tant que les conditions qu'elle a posées ne seront pas réunies. La France a, par la voix du Président de la République, en septembre 1983 et en juin 1984, fait connaitre les conditions, qui lui permettraient d'apporter sa contribution à un processus effectif et vérifiable de désarmement nucléaire :
- que l'écart entre l'arsenal nucléaire des deux grandes puissances d'une part et celui de la France d'autre part ait changé de nature
- qu'aient été corrigés les importants déséquilibres existant en matière d'armements conventionnels et que l'élimination de la menace chimique soit devenue réalité
- qu'aucun système défensif nouveau aboutissant à déstabiliser les fondements actuels de la dissuasion, et donc de la paix, n'ait été mis en œuvre.
Le problème des forces tierces dans le processus du désarmement nucléaire doit être ramené à sa juste mesure.
Les forces nucléaires stratégiques françaises représentent aujourd'hui moins de 2 % du potentiel comparable américain ou soviétique.
Monsieur le Président,
Quelle est donc en définitive la situation quatre mois après la rencontre de Reykjavik ?
Je dirai qu'il existe aujourd'hui la possibilité et même l'espoir de parvenir à reconstruire une politique de désarmement et de contrôle des armements sur des bases plus réalistes.
L'échange de l'ambition d'un monde dénucléarisé contre celle d'un monde sans armes balistiques conduit à l'impasse.
De la manière dont s'effectuera, tant à Washington qu'à Moscou, le retour à une plus juste appréciation de ce qui est concrètement possible et souhaitable dans la négociation, dépendront les progrès réels dans le domaine de la limitation des armements nucléaires. Ceci est non seulement vrai pour 1987, mais aussi pour les années qui viennent.
Si j'ai longuement évoqué les perspectives de « l'après Reykjavik » et les négociations sur le désarmement nucléaire, c'est que je sais à quel point ces questions sont un objet d'attention pour les délégations à la Conférence.
Celle-ci n'en a pas moins ses préoccupations et ses taches propres, je veux dire les essais nucléaires, les armes chimiques et l'espace.
Nous connaissons l'importance qu'attachent la plupart des membres de cette Conférence à une interdiction totale des essais nucléaires. Celle-ci s'inscrit dans le prolongement d'une préoccupation qui, en fait, dans les années soixante, concernait bien davantage l'environnement que le désarmement. Elle découle aussi d'engagements pris dans le cadre d'accords de désarmement auxquels la France n'a pas souhaité participer, c'est-à-dire d'une part l'accord de 1963 sur l'arrêt des explosions atmosphériques, et d'autre part ce qu'un expert français a qualifié « d'accord de désarmement des pays non armés » – le traité de non-prolifération.
Pas davantage qu'hier, la France n'estime, aujourd'hui, que l'arrêt des essais constitue un préalable à des progrès sur la voie du désarmement nucléaire. Elle soutient que c'est bien au contraire à l'issue d'un processus à long terme qui verrait un désarmement nucléaire entrer effectivement dans les faits, que l'arrêt des essais pourrait revêtir une signification.
Il s'agit donc d'une différence importante avec nombre de pays ici représentés sur la séquence souhaitable des mesures de désarmement. Je pense qu'il est honnête de le reconnaître et que la clarté en ces matières sert davantage que l'ambiguïté.
A ces considérations de principe s'ajoute le fait que la France n'a pas effectué le dixième des explosions nucléaires auxquelles ont procédé les deux grands. Elle n'effectue pas de tirs supérieurs à ce seuil de 150 kilotonnes dont on parle si souvent, depuis si longtemps, et qui apparait aujourd'hui si difficile à vérifier avec précision. Elle ne voit enfin aucune raison de se prêter à l'obsolescence planifiée de sa force de dissuasion.
Pour toutes ces raisons, nous avons indiqué à l'Union Soviétique que nous n'avions pas d'objection, mais ne voyions pas non plus d'avantage au moratoire qu'elle a proposé et mis en œuvre. Constatons toutefois que, par la bouche du Maréchal AKHROMEEV, le 25 août dernier, elle reconnaissait que les essais nucléaires n'avaient pas que des effets négatifs. Le chef d'état-major des armées, Vice-Ministre de la Défense, admettait en effet qu'un pourcentage élevé d'entre eux servait à tester la fiabilité des armes existantes. Il s'agit d'un constat également effectué du côté américain. Or, dans un monde où le nombre des ogives nucléaires serait réduit de moitié, la fiabilité des armes existantes ne pourrait que revêtir plus d'importance. C'est là un problème qui ne pourra être indéfiniment ignoré.
Monsieur le Président,
Les travaux de cette conférence en vue de l'élaboration d'une convention internationale sur l'interdiction de la fabrication des armes chimiques et l'élimination des stocks constituent certainement l'une des tâches les plus délicates auxquelles elle se soit attelée.
L'effort accompli a permis de dégager certaines convergences significatives sur l'architecture et sur nombre d'éléments importants de la future convention. Il demeure qu'au fur et à mesure que les travaux avancent apparaissent les véritables difficultés. Ceci découle de l'évolution naturelle d'une négociation dans un domaine aussi complexe mais impose, en même temps, un certain nombre de choix :
1) Souhaitons-nous une convention, qui, comme celle sur les armes biologiques, se contente de poser le postulat selon lequel les armes chimiques doivent être bannies sans que l'on se préoccupe véritablement de l'efficacité d'une telle interdiction et de sa vérification ? Ou bien estimons-nous qu’il s'agisse d'armes dont l'efficacité militaire apparait malheureusement de moins en moins à démontrer et qui risquent donc de se banaliser ? Des résultats, acquis par étapes et limites non pas sur le plan géographique – car la facilité avec laquelle ces armes peuvent être transportées ôterait toute signification à une telle approche – mais au niveau des stocks détenus, ne constitueraient-ils pas déjà un acquis considérable ?
2) Souhaitons-nous exercer par le biais des mécanismes de vérification une pression permanente sur le fraudeur potentiel, ou sommes-nous prêts à nous contenter d'une vérification imparfaite parce que nul ne saura jamais si des stocks clandestins n'ont pas été reconstitués ou dissimulés ?
3) Quelle articulation doit être établie entre la future convention et les dispositions du protocole de Genève de 1925 sur des armes chimiques ?
4) Devons-nous faire porter nos efforts en priorité sur les armes chimiques classiques, celles que l'on pourrait qualifier de « bas de gamme », accessibles à la plupart des pays disposant d'installations industrielles ? Entendons-nous, au contraire, accorder la priorité aux agents de guerre chimique les plus modernes, voire prévenir l'apparition de futures technologies dans ces domaines ? Une telle ambition est-elle même réaliste ?
Ces débats sont sous-jacents aux travaux de votre conférence. Ils en expliquent la complexité et donc la lenteur inévitable.
Mon pays souhaite aboutir à des résultats même si ceux-ci s'avèrent en définitive limités, dans une première étape, par exemple, à la destruction progressive des stockent des installations de production au cours d'une période à déterminer.
Cette même approche par étapes pourrait être utilisée en ce qui concerne la solution à apporter au problème des listes d'agents super toxiques. On sait qu'il est difficile d'identifier, à ce stade, les possibilités d'usage militaire de certains d'entre eux, qui trouvent déjà leur application dans le domaine civil, par exemple s'agissant de la pharmacie. Il devrait être possible de confier au comité consultatif envisagé par la convention le soin d'en déterminer le régime à l'occasion d'une étape ultérieure de la négociation ou de la mise en œuvre de la convention. La délégation française présentera des propositions en ce sens. D'une manière générale, bien évidemment, elle ne ménagera aucun effort pour que des résultats concrets soient atteints, y compris au cours de la présente session.
C'est toutefois en fonction de ces incertitudes de la négociation que la France n'exclut pas de se doter dans ce domaine d'une capacité limitée et purement dissuasive. Celle-ci, compte tenu des engagements souscrits par la France lors de la signature du protocole de Genève de 1925, serait uniquement destinée à la riposte et non à l'attaque en premier. En tout état de cause, la négociation en cours, à laquelle nous continuons d'accorder une très grande priorité, ne saurait constituer un moratoire pour la France, comme d'ailleurs pour aucun autre pays.
Monsieur le Président,
Chacun sait ici, que, parallèlement au débat que cette conférence doit poursuivre sur des mesures susceptibles de contribuer à la prévention de la course aux armements dans l'espace extra atmosphérique, des négociations se tiennent bilatéralement, dans cette même ville, entre Soviétiques et Américains. Notre objectif ne peut être de privilégier l'une ou l'autre de ces approches ou de faire en sorte qu'elles se gênent mutuellement.
Il demeure que la Communauté Internationale a, au milieu des années 80, intégré dans ses préoccupations les problèmes de l'utilisation militaire de l'espace, au même titre qu'elle avait, au milieu des années 50, reconnu que les problèmes de l'ère nucléaire ne pouvaient lui être indifférents, alors même que la possession de l'arme était, à cette époque, limitée à deux pays.
En 1978, en proposant la mise en place d'une agence internationale de satellites de contrôle, puis en 1984, à l'occasion des propositions qu'elle a présentées devant cette conférence, la France a souligné que ces problèmes ne pouvaient être soustraits au débat multilatéral.
Nous attachons naturellement la plus grande importance au traité sur l'espace de 1967. Il demeure, comme l'ont bien montré vos travaux, que le régime actuel apparait insuffisant, notamment en ce qui concerne l'immunité des satellites tiers. La France présentera, dans le cadre des travaux du groupe AD HOC, des propositions qui tiennent compte de la difficulté de formuler un régime fondé uniquement sur la définition d'une arme antisatellite.
Il n'existe en effet pas de mode unique de destruction des satellites et il ne serait donc pas réaliste de vouloir fonder un régime international sur une interdiction des systèmes ASAT, qui ne pourrait que rester incomplète.
Ce qui apparait prioritaire, c'est de mettre en œuvre les principes fondamentaux du régime actuel de l'espace, à savoir son utilisation dans des conditions d'égalité, de non-discrimination entre Etats et de non appropriation de l'espace. Au service d'une telle approche, un certain nombre de mesures concrètes peuvent être envisagées, concernant l'immatriculation et la notification des objets spatiaux, ainsi qu'un code de conduite multilatéral applicable aux activités spatiales.
Sur le plan institutionnel, l'idée de confier à l'agence internationale de satellites de contrôle le soin de gérer l'application des mesures de transparence et du code de conduite des activités spatiales, peut être envisagée.
Monsieur le Président,
Trop souvent dans le domaine du désarmement nous devons reconnaitre, au risque de décevoir ou de n'être pas compris, que rien ne sera jamais aussi aisé, complètement satisfaisant et rapide que nous pourrions l'espérer. Dans le monde nucléaire, compliqué et changeant, ou nous nous sommes irréversiblement engagés depuis un demi-siècle, la menace est devenue plus diverse. Paradoxalement les armes les plus modernes sont aussi celles dont il apparait qu'on se servira le moins. Comment dès lors s'étonner que la raison trébuche face au soupçon ?
La France souhaite contribuer au désarmement, mais comme tout autre Etat elle entend que la négociation serve d'abord à la sécurité de chacun. Si de surcroit le désarmement peut contribuer à l'entreprise du développement, elle serait naturellement la première à s'en féliciter. C'est dans cette perspective qu'elle considère comme très importante la réunion de la Conférence des Nations Unies sur la relation entre désarmement et développement, dont elle a pris l'initiative en 1983, et qui s'ouvrira à New York, cet été.
Monsieur le Président,
Nous savons tous à quel point le contrôle des armements représente un effort nécessaire pour assurer la prévisibilité et la stabilité d'un environnement international, dont l'évolution technologique remet sans cesse en cause les structures.
Ce n'est pas aujourd'hui que la hantise de voir le progrès des armes prendre le pas sur la négociation résume le dilemme du contrôle des armements. Dans le domaine des armes nucléaires en particulier, il y a près de 20 ans que les négociateurs voudraient bien, comme le jeune Tancrède du « Guépard », n'accepter « que tout change que si tout, après, reste comme avant ».
Il est inévitable, dans ce contexte, que l'opinion se préoccupe davantage des guerres qui vont changer, plutôt que des guerres qui se font.
Et pourtant nous savons bien que si les armes tuent, ce sont les hommes qui déclenchent les conflits. Les armes modernes ne sont pas la cause première des tensions. Celles-ci découlent d'antagonismes plus anciens, de divergences d'intérêts permanents qu'il appartient à une diplomatie patiente de concilier.
Une politique de désarmement et de contrôle des armements qui ne s'attaquerait qu'aux conséquences et non aux causes de la tension et de l'absence de confiance entre les Nations ne peut déboucher sur des résultats durables, c'est-à-dire la sécurité à laquelle chacune de nos Nations aspire.
Rien n'est plus difficile, on le sait. Rien ne mérite donc davantage nos efforts.