Déclarations de M. Hervé de Charette, ministre des affaires étrangères, à Prague les 17 et 18 janvier 1997, et interviews à "Pravo" le 17, RFI le 18 et à "Hospodarske Noviny" le 20, sur la déclaration germano-tchèque, la question des Sudètes, les relations franco-tchèques et l'adhésion de la République tchèque à l'Union européenne et à l'OTAN.

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Circonstance : Voyage de M. de Charette en République tchèque du 17 au 20 janvier 1997

Média : Hospodarske Noviny - Pravo - Presse étrangère - Radio France Internationale

Texte intégral

Point de presse conjoint du ministre des Affaires étrangères, M. Hervé de la Charrette, et du ministre tchèque des affaires étrangères, M. Josef Zieleniec, à Prague, le 17 janvier 1997

Propos du ministre

Monsieur le ministre, mesdames et messieurs, j’effectue en effet une visite de deux jours en République Tchèque, qui constitue mon premier déplacement à Prague. Le moment est très important, puisque les mois qui viennent seront marqués, à la fois par la visite d’État du président de la République, mais aussi par les grandes échéances diplomatiques concernant à la fois l’Union européenne et l’Alliance atlantique. C’est donc un moment extrêmement important pour nous, pour vous, pour l’ensemble des pays européens, puisque ces grandes échéances vont donner un nouveau cours, un nouvel élan à la construction de l’Europe.

Je voudrais d’abord rendre hommage à la maturité, la détermination, la vision politique qui ont présidé à la déclaration récente tchéco-allemande. C’est un événement majeur certainement, pour votre pays et pour l’Allemagne. Je voudrais aussi que vous sachiez que c’est un événement majeur pour tous les Européens. Nous tous, nous avons vécu au cours des générations passées de grands malheurs, qui sont venus de la division de l’Europe. Nous ne pouvons que saluer avec vraiment beaucoup de chaleur et beaucoup d’amitié toutes les initiatives qui sont prises et qui ont un objectif simple : tourner la page, faire en sorte que demain l’Europe ne soit pas faite d’une accumulation de conflits anciens, sources de division, mais qu’au contraire nous nous rassemblions dans l’unité de l’Europe. La déclaration tchéco-allemande constitue un événement très important, un pas très important dans cette direction, comme le seront les décisions que nous allons bientôt prendre concernant l’élargissement de l’Union européenne et l’élargissement de l’Alliance atlantique.

Je suis venu dire à mon collègue que la France était déterminée à appuyer, à encourager, et si cela dépend d’elle, à accélérer tous les processus concernant l’élargissement de l’Union européenne et l’élargissement de l’Alliance atlantique. Nous considérons qu’il s’agit là d’un choix stratégique en faveur de l’unité européenne. Il intéresse, bien sûr, les membres actuels de l’Union européenne mais aussi tous ceux qui ont vocation à y adhérer. Nous sommes très heureux de constater que les efforts qui ont été entrepris par le peuple et les dirigeants tchèques depuis toutes ces dernières années, ces efforts qui ont certainement exigé beaucoup de courage et beaucoup de détermination et qui n’étaient pas faciles à accomplir, placent aujourd’hui la République tchèque en bonne position et lui permettent de constater qu’elle pourra être au premier rang des pays appelés à engager la négociation d’adhésion avec l’Union européenne et ceux appelés à entrer dans l’Alliance atlantique.

Nous sommes convenus, naturellement, de nous consulter de façon très étroite sur l’ensemble de ces projets, de travailler de façon concertée, je dirais la main dans la main, entre les Tchèques et les Français, et de le faire non seulement dans la perspective de la visite du président de la République à Prague, mais aussi dans la perspective à plus long terme d’un renforcement permanent des relations entre nos deux pays.

Ces relations, nous les voulons denses, nous les voulons intenses à la fois sur le plan politique – dans le dialogue entre nos deux diplomaties et entre nous –, mais aussi sur le plan économique. Nous pensons que des grands progrès ont été accomplis mais qu’il y a encore beaucoup à faire. Il faut développer, bien entendu, les relations culturelles, tant qu’il est vrai qu’entre nous il y a une proximité des cultures, un intérêt mutuel, et, je peux vous le dire, une fascination française pour Prague. Tout cela fait que dans le domaine culturel et artistique nous avons beaucoup de rapports, auxquels nous attachons une très grande importance. Tel est le sens de la visite que j’accomplis ici. Et d’ailleurs, tels sont les sujets dont nous avons parlé ensemble, avec mon collègue ministre des Affaires étrangères de la République tchèque.

Question : Vous avez mentionné des accords qui doivent être signés pendant la prochaine visite du président de la République. De quels accords, de quels arrangements s’agit-il ?

H. de la Charrette : Je crois que c’est un peu prématuré de faire la liste de ces accords puisque précisément nous sommes en train de travailler. Plusieurs échéances de visites sont prévues : nous recevrons à Paris votre ministre de l’Intérieur et votre ministre du Commerce et de l’industrie. Nous avons donc travaillé sur une série de sujets dont j’espère que nous verrons l’aboutissement à l’occasion de la visite du président.

Question : À propos de l’Otan : est-ce que la France nous soutiendra même si les Russes sont toujours contre ?

H. de la Charrette : Ma réponse est oui, très clairement oui. Nous sommes tous d’accord, au sein de l’Alliance atlantique, pour que la question de l’élargissement soit une décision prise entre nous. C’est nous qui en décidons et personne ne peut exercer un droit de veto à une telle décision. Je ne crois pas que la situation que vous envisagez se réalisera, je crois qu’il n’y aura pas d’opposition de la Russie.

Je pense en effet qu’il faut que nous travaillions aussi pour qu’il y ait un accord entre l’Alliance atlantique et la Russie. Je crois que c’est utile pour tout le monde. Nous voulons faire une Europe de demain dans laquelle il n’y ait plus de conflits, dans laquelle il n’y ait plus de désaccord. Cela concerne aussi la Russie, qu’il ne faut pas laisser à l’écart et qu’il ne faut pas humilier. Ma réponse est donc simple : oui à l’entrée de la République tchèque dans l’Alliance atlantique mais que cela ne nous empêche pas d’avoir le souci de travailler avec la Russie. Le chancelier Kohl est allé parler avec le président Eltsine, le président Chirac y va au début du mois de février. La France et l’Allemagne travaillent de plein accord sur ce sujet.

Question : Le président de la République française a dit, en Pologne et en Hongrie, qu’il était favorable à l’admission de ces pays d’Europe centrale dans l’Union européenne avant l’an 2000. Est-ce qu’il le répétera chez nous ?

H. de la Charrette : Je n’ai pas l’ombre d’un doute. Oui, il le répétera. Je l’ai dit moi-même aujourd’hui aux dirigeants de la République tchèque. Nous sommes favorables à l’élargissement de l’Union européenne. Certains pays ont évidemment fait plus d’efforts, ont accepté des sacrifices parfois très difficiles pendant les dernières années. C’est le cas de la République tchèque. C’est le moment de récolter les fruits de ces efforts. Je pense donc que les négociations d’adhésion de la République tchèque à l’Union européenne devraient commencer dès le début de l’année prochaine.

 

Conférence de presse à Prague, le 18 janvier 1997

Si vous voulez bien, je vais commencer par quelques propos pour résumer ce que je suis venu faire à Prague et ce que j’en rapporte.

Je suis venu à Prague avec un message très précis. Je suis d’abord venu pour exprimer au gouvernement et au peuple tchèque l’amitié et le soutien de la France. Nos deux pays ont une longue tradition d’amitié et de relations étroites. Nous sommes heureux de voir que le cours normal de ces relations a repris et nous souhaitons donner à ces relations un nouvel élan et une nouvelle dynamique. Nous saluons avec beaucoup de chaleur et beaucoup d’admiration le chemin remarquable parcouru par votre pays depuis sept ans. En un petit nombre d’années, vous avez brillamment repris votre place, celle qui vous attendait depuis près d’un demi-siècle, dans l’ensemble des nations de l’Europe. Vous vous êtes dotés d’institutions démocratiques, vous les avez fait fonctionner. Vous avez engagé un très grand nombre de réformes économiques. Vous êtes maintenant, parmi les nations de l’Europe centrale et orientale, l’une de celles qui sont en pointe.

Mardi prochain sera signé un accord, une déclaration germano-tchèque qui a une très grande importance. Je voudrais saluer le courage et la clairvoyance des dirigeants qui ont su faire ce choix. Je salue cet événement comme un événement considérable pour la République tchèque et pour la République fédérale d’Allemagne. Je salue aussi dans cet événement un moment très important pour l’ensemble des peuples de l’Europe. Ce qui est important pour vous est très important pour nous tous en Europe. C’est pourquoi, en même temps que je salue l’importance de cet événement, je voudrais remercier les dirigeants tchèques et allemands, et les peuples des deux pays, de s’être engagés dans cette voie, à laquelle nous attachons nous-mêmes une très grande importance.

Au début de l’année 1998 sera engagée la négociation en vue de l’adhésion de votre pays à l’Union européenne. Au sommet de Madrid, le 8 juillet prochain, sera décidée l’ouverture de la négociation pour votre entrée dans l’Alliance atlantique. C’est pourquoi les moments que nous vivons sont des moments historiques. Ils préparent l’Europe de demain.

Dans cette Europe-là, votre pays a toute sa place. Nous ne sommes pas simplement désireux d’accepter votre candidature, nous sommes candidats à votre candidature. Dans ce cadre, nous souhaitons renforcer et développer les relations entre nos deux pays. Je crois qu’elles sont très importantes pour nous et qu’elles le sont aussi pour vous. Nous voulons donner à ces relations déjà étroites un élan nouveau.

Cela vaut naturellement dans le domaine politique, c’est-à-dire dans le domaine de nos relations diplomatiques. Nous avons beaucoup de possibilités de confronter nos idées, nos vues en ce qui concerne la vie de l’Europe et la vie internationale. Dans cet esprit, j’ai invité M. Josef Zieleniec à se rendre en visite officielle en France, quelques mois après la visite du président de la République ici, de façon à maintenir un courant permanent de dialogue et d’échanges entre nous. Cela vaut aussi, bien sûr, dans le domaine économique, domaine dans lequel, des deux côtés, nous avons beaucoup progressé. Mais nous sommes encore loin du compte.

La présence économique tchèque en France est encore loin de ce qu’elle peut obtenir. Vos entreprises sont les bienvenues, vos produits sont les bienvenus sur le marché français. De même, la présence française sur les marchés de la République tchèque, en dépit des progrès accomplis, reste encore loin de ce qui est possible et souhaitable. Il y a beaucoup de projets, auxquels nous allons naturellement essayer de donner toute l’impulsion nécessaire, notamment dans le domaine des privatisations des organismes publics.

Enfin, je devrais parler du dialogue culturel entre nos deux pays, qui nous est si naturel, si profond, qui a des racines si anciennes. Je constate avec plaisir que, dans ce domaine, les choses progressent bien.

Naturellement, j’ai passé l’essentiel de mon temps ici, en dialoguant avec mes interlocuteurs, à préparer le voyage du président de la République. La visite d’État du président Chirac a été fixée, d’un commun accord à l’occasion de ma visite, au 2 et 3 avril prochain. Je suis heureux de vous l’annoncer officiellement. Merci.

Question  : Monsieur le ministre, le président Jacques Chirac a répété une fois de plus en Hongrie que, les premiers pays d’Europe centrale et orientale susceptibles d’adhérer à l’Union européenne et à l’Otan pourraient le faire à l’échéance de l’an 2000, et que la France ferait tout pour soutenir cette adhésion. Mais il l’avait déjà dit au moment où tous les experts, y compris ceux de l’Union européenne, considéraient cette échéance comme peu réaliste. Ne s’agit-il pas d’une sorte d’alibi de la part de la France, à savoir que la France dirait, au moment où les négociations traîneraient trop, que ce n’est pas la France qui fait traîner les négociations ?

H. de la Charrette : Cher monsieur, je voudrais qu’il apparaisse clairement ceci : nous sommes désireux que vous entriez le plus vite possible dans l’Union européenne. C’est pour cela que je vous ai dit que vous étiez candidat et que nous étions candidats à votre adhésion.

La négociation va s’ouvrir au début de l’année 1998, compte tenu du calendrier de la conférence intergouvernementale, qui doit s’achever au mois de juin. Il a été convenu que la décision d’ouvrir ces négociations avec ceux des pays qui sont prêts serait prise six mois après la CIG. D’ici le 1er janvier 2000, il restera donc deux années. Cela correspond à la durée des négociations, tel qu’on l’a vu dans les précédentes discussions. Nous, nous sommes demandeurs, nous souhaitons que cette négociation soit menée rondement et naturellement et que la ratification soit menée également à un rythme soutenu. L’intérêt commun, le vôtre me semble-t-il, le nôtre, sans aucun doute, c’est que tout cela soit mené avec détermination et en marchant, non pas aux pas des experts, mais au rythme de la volonté politique.

Question : Monsieur le ministre, vous avez mentionné le sommet de Madrid comme date du début des négociations pour l’adhésion à l’Alliance atlantique. Quel est l’espace que la France souhaite réserver à l’attitude négative de la Russie à l’égard de l’adhésion des PAECO à l’Otan ?

H. de la Charrette : La question de l’élargissement de l’Alliance atlantique est une question qui est naturellement sous la responsabilité des membres de l’Alliance. Nous sommes convenus que la décision d’ouvrir des négociations avec certains pays, dont le vôtre, sera prise au sommet de Madrid.

En même temps, il est vrai qu’il est de l’intérêt commun de tous les peuples de l’Europe que la Russie ne soit ni marginalisée ni humiliée. Nous ne cherchons pas à recréer en Europe de nouvelles divisions. Nous souhaitons, en effet, que dans la nouvelle architecture de sécurité de l’Europe, chacun, chaque nation, y compris la Russie, trouve sa place et reçoive les garanties appropriées pour sa propre sécurité.

C’est pourquoi nous envisageons que l’Alliance atlantique puisse négocier une charte avec la Russie. Cette analyse est l’analyse de la France. Elle est partagée par l’Allemagne. Je crois qu’elle correspond à un désir général en Europe. Elle fait l’objet de discussions approfondies avec l’ensemble de nos partenaires.

Le chancelier Kohl s’est rendu à Moscou, il y a quelque dix jours, pour parler avec le président Eltsine. Le président Chirac doit se rendre lui-même à Moscou le 2 février prochain. Comme vous savez aussi, nous discutons étroitement de ces questions avec nos amis américains. M. Solana est attendu lundi, je crois, à Moscou, pour poursuivre au nom de l’Alliance atlantique, les discussions avec la Russie sur ce projet de charte. Comme vous le voyez, nous poursuivons ces deux objectifs – l’élargissement de l’Alliance et la discussion et l’adoption d’une charte entre l’Otan et la Russie – comme deux négociations parallèles qui ont une très grande importance pour nous tous.

Question : Comment évaluez-vous les chances d’adhésion de la Slovaquie et quels sont les éléments qui pourraient compromettre cette adhésion ?

H. de la Charrette : Je vais d’abord dire une chose très simple. Tous les onze pays d’Europe centrale et orientale ont les mêmes chances, et d’ailleurs pas simplement les mêmes chances, le même droit. C’est un fait tout à fait important et généralement insuffisamment souligné, je crois.

 

RFI - 18 janvier 1997

RFI : À propos de la déclaration germano-tchèque qui sera signée par le chancelier Kohl et par le Premier ministre Klaus mardi prochain, vous estimez que c’est une démarche importante ?

H. de la Charrette : Oui. Je crois que c’est un événement majeur. Comme vous le savez, entre l’Allemagne et les Tchèques, il y a eu de façon quasi permanente la question des Sudètes, qui a été aussi l’un des enjeux de la guerre 1940-1945. C’est donc un sujet tragique pour ces deux pays. Je crois qu’il est très important pour ces deux pays, sept ans après la chute du rideau de fer, de décider de régler ce problème.

La déclaration germano-tchèque qui sera signée ici solennellement par le chancelier Kohl dans quelques jours sera un événement très important. Ce qui est un événement considérable pour les Allemands et les Tchèques et aussi un événement majeur pour tous les Européens.

Il va de soi que sur la route de la construction européenne, il nous appartient d’enlever tous les obstacles. Parmi les obstacles, il y a des conflits d’hier qui doivent être réglés un à un, et la situation des minorités, qui doivent être traitées une à une. Les Allemands et les Tchèques viennent de prendre une décision très courageuse, très lucide, très porteuse pour l’avenir. Elle l’est pour eux, elle l’est pour nous.

RFI : On a peut-être le sentiment que les responsables politiques tchèques ont une vision assez atlantiste de l’Europe, si vous me permettez l’expression. C’est un sentiment que vous partagez ? Est-ce que vous avez l’impression que la France et les Tchèques sont sur la même longueur d’onde, lorsqu’ils parlent d’enjeu européen, de construction européenne et même d’intégration à l’Alliance atlantique, alors que la France, par exemple, évoque et plaide pour une rénovation de cette Alliance ?

H. de la Charrette : Oui, il est normal que nous, qui sommes au sein de l’Alliance, attachions une importance à la modernisation de celle-ci, à sa rénovation, avec pour objectif et pour ambition d’organiser un nouveau partage des responsabilités, dans lesquels les Européens joueraient un rôle plus important.

Mais je comprends tout à fait, chacun peut comprendre, que celui qui est en dehors d’une organisation est d’abord préoccupé d’y entrer. Ainsi en est-il pour les Tchèques, qui souhaitent entrer dans les meilleurs délais à la fois au sein de l’Union européenne et au sein de l’Alliance atlantique. Je suis persuadé qu’une fois qu’ils seront à l’intérieur de ces instances, où la France les accueillera avec beaucoup de plaisir et beaucoup de chaleur, ils mesureront la nature des préoccupations que nous exprimons de notre côté. Et il faut laisser au temps, le temps de faire son œuvre.

RFI : Il y a en ce moment une réflexion en cours sur la relation que l’Alliance atlantique doit définir avec la Russie dans le cas de cet élargissement. On parle éventuellement d’une participation de la Russie aux « instances politiques » de l’Alliance atlantique. Est-ce que vous êtes favorable à ce type de formule ?

H. de la Charrette : Il est prématuré d’entrer dans les détails que vous évoquez. Ils sont naturellement très importants mais, pour l’instant, ce que nous souhaitons, ce que pour quoi nous travaillons, c’est de faire en sorte qu’une charte puisse être négociée puis signée entre l’Otan et la Russie. Rien ne serait plus mauvais que de créer une situation dans laquelle la Russie se sentirait marginalisée, voire humiliée par les dispositions de sécurité que nous prendrions de notre côté au sein de l’Otan. Aussi faut-il avoir une approche globale des questions de sécurité en Europe, de telle sorte que tous les pays européens, y compris ceux qui ne sont pas dans l’Alliance et tout particulièrement la Russie, puissent exprimer leur satisfaction de cette nouvelle architecture.

Nous sommes dans un monde nouveau. Hier, il s’agissait de se rassembler pour se défendre contre une menace venue de Moscou. Aujourd’hui et plus encore demain, je le crois, cette menace aura disparue. Il faut donc, entre pays partageant un même idéal, veiller à se donner mutuellement toutes les assurances et les garanties de sécurité dont chacun a besoin pour se consacrer à la seule chose qui compte : le développement.

 

Entretien avec le journal « Hospodarske Noviny », à Prague, le 20 janvier 1997

Hospodarske Noviny : Il y a quelques jours, le président français, Jacques Chirac, a répété en Hongrie l’opinion que les premiers pays d’Europe centrale et orientale pourraient devenir membres de l’Union européenne déjà en l’an 2000. Toutefois, nombre de spécialistes de la Commission européenne estiment que cette date n’est pas réaliste. Ne s’agit-il pas d’une sorte d’alibi pour la France qui pourrait déclarer plus tard n’être pour rien dans le retard éventuel de l’élargissement de l’Union européenne ?

H. de la Charrette : Je souligne que nous souhaitons que vous deveniez membres de l’Union européenne le plus vite possible. Les discussions sur l’entrée dans l’Union européenne commenceront au début de 1998. La conférence intergouvernementale relative à la révision du traité de Maastricht devrait s’achever avant la fin du mois de juin de 1997. Il a été dit clairement que les négociations avec les pays candidats commenceraient six mois après son achèvement. Naturellement, il va de soi que les négociations s’engageront avec les pays candidats qui y seront préparés. D’ici l’an 2000, on disposera encore deux années. Ce délai correspond à la durée des négociations avec les pays candidats dernièrement admis.

Hospodarske Noviny : Par la suite, il faudra encore que les résultats des négociations soient ratifiés (par le parlement du pays candidat, par tous les parlements des pays membres de l’UE, ainsi que le Parlement européen).

H. de la Charrette : Si vous souhaitez que la ratification dure deux ans, cela dépendra de vous. Nous souhaitons que vous soyez admis le plus vite possible et que la ratification soit aussi rapide que les négociations. Ceci est dans notre intérêt comme dans le vôtre. Nous voulons procéder de façon résolue et conformément à notre détermination politique.

Hospodarske Noviny : On s’attend à ce que l’élargissement de l’Otan soit plus simple que l’élargissement de l’Union européenne. Ne pensez-vous pas que ce soit la raison pour laquelle certains pays occidentaux veulent proposer au pays de l’Europe centrale et orientale l’adhésion à l’Otan en tant que compensation pour le report de leur entrée dans l’Union européenne ?

H. de la Charrette : Je ne pense pas que ce soit ainsi. Il est vrai que c’est une chose d’entrer dans une alliance de sécurité et de défense et que c’en est une autre d’entrer dans un marché unique. Dans le cas de l’entrée dans l’Union européenne, chaque pays candidat devra adapter sa législation, ses règles intérieures et ses structures économiques, ce qui est naturellement très compliqué. L’élargissement de l’Otan est probablement plus simple sur le plan technique. Mais son importance est identique à celle de l’élargissement de l’Union européenne. En aucun cas l’un n’exclut l’autre, ce ne serait dans l’intérêt de personne.

Hospodarske Noviny : Néanmoins, beaucoup d’experts estiment que la France ne porte pas un très grand intérêt à l’élargissement de l’Otan et ne veut pas que l’Union européenne soit trop en retard par rapport à l’Alliance.

H. de la Charrette : Il n’est point nécessaire d’écouter les experts si vous voulez savoir quelle est la volonté politique de la France. Il est important d’écouter le ministre des Affaires étrangères, le gouvernement et le président.

Hospodarske Noviny : Les Américains parlent de l’année 1999 comme de la date de l’admission d’autres pays à l’Otan. Pensez-vous que ce soit réaliste ? Y a-t-il des différences entre les positions américaines et européennes dans ce domaine ?

H. de la Charrette : Nous n’avons pas encore parlé du calendrier avec les Américains. Néanmoins, je ne m’attends pas à de grands problèmes. Il est évident que le sommet de l’Alliance atlantique à Madrid, en juillet prochain, sera un événement d’une importance extraordinaire. C’est là que nous devrons, tous ensemble, donner le feu vert aux pourparlers dont le but sera de faire entrer de nouveaux membres dans l’Alliance. Il faudra, par la suite, lancer ces négociations, fixer les conditions de l’élargissement futur, ainsi que déterminer quelles seront ses conséquences pour la stratégie militaire de l’Alliance et son fonctionnement. Toutes ces questions extrêmement importantes feront partie, dans les prochains mois, du début au sein de l’Alliance. Lorsque le calendrier sera fixé, il envisagera sûrement l’élargissement de l’Otan avant la fin de ce siècle. En aucun cas, nous ne le freinerons.

 

Entretien avec le quotidien tchèque « Pravo », à Prague le 17 janvier 1997

Pravo : est-ce que le désir de la France, souligné notamment par le président Chirac le 8 janvier 1997, de placer, au début des négociations, les onze pays associés d’Europe centrale et orientale candidats à l’adhésion à l’UE sur un « pied d’égalité » ne pourrait pas éventuellement avoir des répercussions négatives sur les chances d’une accession plus rapide pour les pays qui, comme la République tchèque, ont accompli des progrès essentiels dans la transformation ?

H. de la Charrette : Il ne doit pas y avoir de malentendu sur la position française. Nous souhaitons en effet qu’au début du processus de négociation, l’ensemble des pays candidats se trouve sur la même ligne de départ, c’est-à-dire sans discrimination a priori. Tous ont en effet un désir profond de rejoindre l’Union européenne, tous en ont été empêchés jusqu’à présent pour les mêmes motifs. L’élargissement a pour but de réunifier l’Europe, et non de créer de nouvelles barrières ; c’est un projet politique d’ensemble. La République tchèque est bien placée pour le comprendre, compte tenu de sa position géographique et de ses relations avec ses proches voisins.

Cet attachement à une conception politique forte de l’élargissement n’exclut pas, bien entendu, la prise en compte des différences objectives de situation entre les candidats. Certains pays, comme la République tchèque, sont mieux préparés, notamment sur le plan économique, et devraient donc franchir facilement le cap de la négociation. Les mérites de chacun seront dûment pesés et les candidats ayant déjà accompli d’importantes réformes internes, auront une longueur d’avance. Nous ferons tout, du côté français, pour que les négociations aboutissent dans les meilleurs délais, avec les pays dont la capacité à reprendre l’acquis de l’Union sera reconnue. Nul doute que votre pays sera parmi les tout premiers à rejoindre l’Union.

Pravo : Quelle est la substance de la position actuelle française vis-à-vis de l’élargissement de l’Otan dans le contexte de la réforme de l’Alliance et des rapports entre celle-ci et la Russie ?

H. de la Charrette : la France estime que l’élargissement de l’Alliance doit s’inscrire dans une approche globale de la nouvelle architecture européenne de sécurité, libérée des divisions issues de Yalta. De ce point de vue, nous estimons que cet élargissement ne doit en aucun cas créer de nouvelles lignes de fractures en Europe. En effet, il faut tenir en compte des préoccupations de sécurité de tous les pays. Plus de sécurité pour les uns ne saurait se traduire par moins de sécurité pour les autres.

C’est pourquoi le président de la république a souhaité, le 29 août dernier, qu’un sommet réunisse cette année l’Alliance et ses partenaires, afin d’éviter un certain nombre d’entre eux à négocier leur adhésion, établir avec les autres pays candidats ou désireux de renforcer les liens avec l’Alliance un partenariat spécifique. Et enfin, fixer sous la forme d’actes solennels, les modalités d’une coopération renforcée avec la Russie et l’Ukraine.

Pravo : Que signifie Yalta aujourd’hui pour votre pays ?

H. de la Charrette : Yalta, au-delà du contenu précis des décisions prises en 1945, a longtemps symbolisé le partage de l’Europe : en deux blocs, dont l’un, l’oriental, paraissait voué à vivre indéfiniment sous le joug totalitaire. La France, et le général de Gaulle en particulier, ont toujours récusé cette logique. Yalta a été remis en cause par la chute du mur de Berlin.

Si un enseignement doit être tiré aujourd’hui, c’est qu’il ne faut pas recréer de ligne de fracture sur le continent. Cette approche est précisément celle de la France, c’est la conviction profonde du président de la République, c’est naturellement aussi la mienne et celle de tous les dirigeants européens responsables.

Pravo : Monsieur le ministre, la fameuse locomotive franco-allemande est-elle, selon vous, fatiguée ?

H. de la Charrette : La « locomotive » franco-allemande n’est pas fatiguée, bien au contraire. L’étroite concertation qui a eu lieu avant le Conseil européen de Dublin et qui a conduit à la signature d’une lettre conjointe très détaillée par le président de la République française et le chancelier Kohl à propos de la conférence intergouvernementale sur les futures institutions européennes (CIG) est là pour le démontrer. Cette concertation permanente porte sur tous les grands sujets de l’actualité européenne, comme la monnaie unique ou l’élargissement de l’Union. Elle nourrit aussi une relation bilatérale extrêmement riche, en matière économique et culturelle notamment.

Il ne peut y avoir de progrès dans la construction européenne sans entente et impulsion franco-allemande. L’histoire de la Communauté en est une illustration permanente : chaque étape importante, depuis la création de la CECA jusqu’à l’UEM, résulte d’une volonté politique forte des deux pays.

Le moteur franco-allemand n’agit pas de façon exclusive, à côté des autres États. Il fonctionne, au contraire, comme un facteur d’entraînement des partenaires de l’Union, qui y trouvent leur intérêt. Il ne s’agit pas d’imposer une conception de l’Europe, mais de faire partager une même ambition, conforme à l’orientation donnée à l’origine par les « pères fondateurs » eux-mêmes, inspirés par la réconciliation franco-allemande, qui a mis un terme à près d’un siècle d’opposition ponctué par trois conflits sanglants.

Pravo : selon vous, l’approbation récente de la déclaration tchéco-allemande est-elle seulement un événement d’ordre bilatéral ou vous paraît-elle pouvoir s’inscrire aussi dans le cadre de l’intégration européenne ?

H. de la Charrette : la déclaration à laquelle vous faites allusion est un événement d’une portée considérable. Je l’ai saluée comme telle à Varsovie, en décembre dernier, alors que nous nous réunissions Klaus Kinkel, Dariusz Rosati et moi, dans le cadre du « Triangle de Weimar ».

Tout geste qui permet d’effacer les dernières séquelles d’un passé ô combien douloureux bénéficie à la stabilité de l’ensemble de notre continent. La signature de la déclaration germano-tchèque ne peut que favoriser encore le rapprochement entre les pays européens appelés bientôt à coopérer au sein d’une même Union.

Pravo : Quel est le rôle des rapports bilatéraux dans l’Europe intégrée, notamment dans le contexte du voisinage allemand ? Peut-on utiliser, malgré les différences de taille, l’expérience de réconciliation franco-allemande pour le renforcement des relations entre la France, d’un côté, et la République tchèque ou la Pologne, de l’autre ?

H. de la Charrette : La réconciliation franco-allemande a été le socle de la construction européenne. Elle a été et reste un facteur essentiel de la paix durable que connaît l’Europe depuis la fin de la guerre. Aujourd’hui d’autres rapprochements spectaculaires s’opèrent sous nos yeux, qui vont à leur tour renforcer la construction européenne, la paix et la stabilité. Nous avons déjà parlé de la déclaration germano-tchèque. On pourrait aussi mentionner la percée impressionnante intervenue ces derniers temps dans les relations hungaro-roumaines. Quant aux relations franco-polonaises ou franco-tchèques qui puisent leurs racines dans une ancienne tradition d’amitié, nous souhaitons les enrichir rapidement, avant même l’élargissement de l’Union. Tel est d’ailleurs le sens de ma présence à Prague. Nous souhaitons en particulier faire mieux que rattraper le temps perdu en multipliant les contacts culturels et économiques.

Pravo : D’après vous, quel est le sens que la France donne à sa coopération culturelle et économique avec ses partenaires, qu’ils soient petits ou grands, en Europe, en Afrique ou dans le reste du monde ?

H. de la Charrette : Par tradition, la France, et ceci constitue l’une de ses singularités, est présente partout dans le monde. Son vaste réseau diplomatique, son siège de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, son message sur la nécessité d’organiser la communauté internationale, son attachement à la diversité culturelle et linguistique, sa place de quatrième exportateur mondial, sont autant d’éléments qui expliquent qu’elle soit attachée à entretenir une coopération politique, culturelle et économique avec tous les États, grands et petits. Naturellement, sa présence est plus forte en Europe, en Amérique du Nord, autour de la Méditerranée et en Afrique, mais elle doit être développée dans le monde émergent que constituent l’Asie et l’Amérique latine.