Interview de M. Jean-Paul Roux, secrétaire général de la FEN, dans "Ouest-France" et "Libération" le 14 mars 1997, sur son élection à la tête de la FEN, et sur la stratégie de la FEN pour le futur.

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Circonstance : Congrès de la FEN à Rennes du 10 au 14 mars 1997-élection de M. Jean-Paul Roux au poste de secrétaire général de la FEN le 13 mars 1997

Média : Emission Forum RMC Libération - Libération - Ouest France - Presse régionale

Texte intégral

Ouest-France - Vendredi 14 mars 1997

Ouest-France : Pour la première fois, la Fen se donne un secrétaire général non-enseignant. Un paradoxe pour une Fédération dont le premier des 31 syndicats est celui des enseignants ?

Jean-Paul Roux : Un paradoxe, non. Mais il y a un double symbole. Si la Fen a pour la première fois un secrétaire général non-enseignant, c’est d’abord à la demande du Syndicat des Enseignants. Ensuite, un projet d’éducation ne peut être porté que par l’ensemble des personnels toutes catégories confondues.

Ouest-France : Cette perte de vitesse de la Fen est-elle une conséquence de la scission de 1992 ?

Jean-Paul Roux : Non. C’est plutôt le contexte général qui a pesé ainsi que notre difficulté à développer un syndicalisme de terrain et une communication qui soit lisible par tous. Mais une élection, c’est un temps donné. Les résultats peuvent à nouveau se renverser. Maintenant, place à la bataille de la reconquête. Le congrès de Rennes en constitue le départ.

Ouest-France : Reconquérir, mais comment ?

Jean-Paul Roux : D’abord en ayant un projet clair, proche des adhérents. Il faut répondre sur le terrain aux questions qui se posent. Condition pour être entendu syndicalement. Il faut aussi un projet mobilisateur.

Ouest-France : Où en est l’idée de confédération avec l’UNSA (Union nationale des syndicats autonomes) à laquelle appartient la Fen ?

Jean-Paul Roux : La Fen a voulu l’UNSA il y a quatre ans. Elle en constitue le pivot. Nous sommes en période de transition. On ne crée pas une structure confédérale en quelques mois. Mais le débat est ouvert.

Ouest-France : L’idée d’une confédération avec l’UNSA fait peur à une partie des militants, qui craignent une image encore plus brouillée de la Fen dans cette opération. A-t-elle vraiment intérêt à jouer la carte UNSA ?

Jean-Paul Roux : Oui, complètement. Aucun sujet syndical ne peut se traiter efficacement hors du champ interprofessionnel. La Fen peut parfaitement garder son identité dans ce cadre. La structure confédérale, on connait. Je dirais même que, depuis notre création en 1947. Nous sommes orphelins d’une confédération. Aujourd’hui, il ne faut plus rester isoler. C’est ça aussi refonder le syndicalisme.

Ouest-France : L’UNSA, première étape de constitution, d’un pôle syndical réformiste, avec la CFDT, face à la remuante CGT ?

Jean-Paul Roux : Chez nous, ce débat n’est pas tranché. Mais il est certain qu’il y a, à la base du syndicalisme de responsabilité, une profonde aspiration à l’unité. Une unité que l’on retrouve clairement au sein du syndicalisme protestataire.

 

Libération - 4 mars 1997

Libération : Un non-enseignant à la direction de la FEN : n’est-ce pas le symbole du divorce entre votre fédération que vous représentez depuis presque 50 ans ?

Jean-Paul Roux : C’est au contraire le symbole du choix d’un projet d’éducation, porté par une dizaine de métiers différents, tous solidaires. C’est le syndicat des enseignants qui a souhaité je sois candidat, c’est important. J’ai exercé une dizaine d’années dans l’enseignement technique et professionnel, un secteur difficile. Cela me donne une bonne compréhension de ce que vivent les collègues.

Libération : A quoi attribuez-vous la perte d’influence de la FEN ?

Jean-Paul Roux : A des raisons conjoncturelles d’abord : le contexte de crise sociale et la politique gouvernementale qui cadenasse le dialogue social, donnent l’avantage aux contestataires. A des raisons qui nous sont propres ensuite nous avons perdu trop souvent le goût du terrain. Il faut le retrouver.

Libération : Cela ne se décrète pas, même par un nouveau secrétaire général…

Jean-Paul Roux : Un secrétaire général peut donner le signal. Il ne décrète rien, il peut organiser. Il faut mobiliser nos moyens vers cette priorité du retour vers le terrain. Dès le lendemain du congrès, nous allons alléger nos structures pour répondre à cette urgence.

Libération : Qu’avez-vous aujourd’hui à dire aux enseignants, aux personnels ?

Jean-Paul Roux : Que le système éducatif marche sur la tête, il marche plutôt mieux qu’avant pour le plus grand nombre. Le niveau s’élève. En même temps, on constate que les jeunes en voie de marginalisation sont de plus en plus nombreux. Mettre sur la même ligne de départ des gens qui ont simplement le short pour courir, et d’autres qui ont des semelles de plomb et dix kilos dans le dos, en leur disant « arrivez ensemble », ce n’est plus possible. Il faut que le système éducatif continue de fonctionner normalement pour ceux qui avancent, mais il doit mettre tous ses moyens, toute sa capacité à travailler différemment au service des jeunes qui sont en difficulté. Ils doivent pouvoir avoir des parcours différenciés, en termes de durée, d’option, de matières. Il faut diminuer le nombre d’élèves par classe partout où c’est nécessaire. Il n’y a pas besoin de révolution. Il suffit d’une volonté politique et des moyens pour la mettre en œuvre.

Libération : Êtes-vous prêt à travailler avec la FSU ?

Jean-Paul Roux : Nous avons avec elle des relations normales. Je n’ai aucun état d’âme sur la nécessité de mener des actions communes. Au-delà, pour construire des choses ensemble, il faut être d’accord sur le fond. Nous avons avec la FSU des divergences de fond sur la conception du système éducatif et, plus globalement de la société. L’unité structurelle ne me semble pas à l’ordre du jour, ni pour nous, ni pour eux. Je ne sais pax regarder l’avenir dans le rétroviseur. L’histoire par ailleurs ne connaît pas de marche arrière.

Exergue : « Nous sommes un syndicat protestataire. Mais qui propose une fédération qui agit, mais qui négocie. » J.P. Roux

Libération : Accepterez-vous, comme Hervé Barro, secrétaire général du syndicat des enseignants l’a fait, de parler d’un syndicalisme contestataire pour la FEN ?

Jean-Paul Roux : Je le revendique. Nous sommes profondément un syndicat protestataire. Mais qui propose. Une fédération qui agit, mais qui négocie aussi.

Libération : Vous avez personnellement longtemps été porteur dans la FEN d’un projet de rapprochement avec la CFDT. Est-ce à l’ordre du jour de votre mandat ?

Jean-Paul Roux : Nous avons des relations avec la CFDT, avec la CGT, pas avec FO puisqu’elle n’en a en principe avec personne. Il est vrai qu’un travail en commun s’est fait depuis des années avec la CFDT, dans la fonction publique, sur le terrain de la protection sociale, du droit et des libertés. Mais croire que faire le choix univoque d’une seule organisation permettra de résoudre la question endémique de la division du syndicalisme français est une erreur. C’est la pratique du travail en commun sur le terrain qui portera ses fruits.

Libération : La stratégie d’un renforcement de l’Unsa n’est pas un marchepied vers la CFDT ?

Jean-Paul Roux : L’Unsa (1), c’est une étape. Nous l’avons franchie dans un secteur où nous pouvions faire l’unité. Nous sommes prêts à tendre la main à d’autres, il faut qu’ils la prennent. Il y a dans ce pays urgence à dessiner un pôle puissant du syndicalisme responsable. Ces forces, elles sont à l’Unsa, à la CFDT, dans FO, elles sont aussi dans la CGT. Si la FSU est capable de faire preuve qu’elle a des projets… Pour l’instant, la vérification n’est point faite.

Libération : Quel regard portez-vous sur l’action de François Bayrou ?

Jean-Paul Roux : C’est le ministre de l’immobilisme. De la stagnation, donc de la régression. La méthode Bayrou, c’est « je fais un discours, je fais un forum, un colloque, des groupes de travail, un rapport, je refais un forum, un discours » et puis on boucle la boucle. Un jour, cela finira par lui sauter à la figure. Dans l’enseignement supérieur par exemple, les collègues en ont assez.

Libération : LA FEN sur le terrain, c’est pour quand ?

Jean-Paul Roux : Il y a trois urgences le 23 mars, ce sera la journée d’action pour les jeunes et la formation. Pour poser la question du rôle d’éducateurs face à la montée de l’extrême-droite, nous serons le 22 mars à Toulon. Enfin, nous serons présents le 29 mars à Strasbourg dans les grandes manifestations de protestation contre la tenue du congrès du Front national.

(1) Union nationale des syndicats autonomes, fondée en 1993 par divers syndicats non confédérés, surtout des fonctionnaires, dont le FGAF (police) et la FEN.