Interview de M. Alain Richard, ministre de la défense et membre du PS, à RMC le 16 mars 1998, sur le résultat du premier tour des élections cantonales et sur celui des élections régionales.

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Circonstance : Elections cantonales les 15 et 22 mars 1998-élections régionales le 15

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Texte intégral

Q. Vous êtes ministre de la Défense mais vous êtes aussi un des plus grands connaisseurs de la carte électorale française et des élections. On va profiter de votre présence, un mot d’abord sur ces abstentions, plus de 42 % en France métropolitaine, est-ce que ce n’est pas beaucoup beaucoup quand même ?

R. « Non, c’est beaucoup mais pas beaucoup beaucoup. D’une part, il y a toujours des abstentions, je vous rappelle que l’année dernière aux législatives, alors qu’il s’agissait de faire une alternance au niveau national, on avait quand même 32 ou 33 % d’abstentions. On en a 41 ou 42 % dans une élection locale où il n’y a pas eu de vague de mécontentement. Je me rappelle qu’en 1992, aux précédentes régionales et cantonales, il y avait une vague de mécontentement qui avait fait monter le pourcentage à 67-68, ce qui était exceptionnel pour des élections comme ça. On est revenu plus à la normale. Donc ça veut dire que l’on a une partie des Français qui votent très peu souvent, ce qui est en effet un sujet de préoccupation. »

Q. Vous ne négligez pas, vous êtes sûr, un espèce d’éloignement des Français des responsables politiques, il n’y a pas un peu de ça aussi ?

R. « Oui, le civisme a toujours besoin d’être stimulé, il faut expliquer à nos concitoyens l’importance de son devoir civique. »

Q. Les résultats ne sont pas définitifs, loin de là, il faudra attendre vendredi pour faire les comptes définitifs. Est-ce qu’il serait possible, puisqu’il y a trois régions et égalité parfaite entre l’opposition et la majorité, que finalement au bout du compte, on se retrouve vendredi prochain avec la gauche minoritaire dans les régions, c’est-à-dire que la droite aurait encore une région d’avance sur la gauche, est-ce que c’est imaginable ?

R. « Ce n’est pas impossible, ce chiffre a de toute façon un caractère un peu symbolique et pour tout dire un peu artificiel. Parce que ce qui compte, c’est comment ont voté les gens, comment ont évolué les rapports d’influence. Traditionnellement, enfin depuis que les régions existent, c’est-à-dire depuis 12 ans, nous avons été largement minoritaires dans les régions. Savoir si on en a en nombre 9, 10, 11 ou 12, sachant qu’en plus il y a quatre régions en outre-mer qu’il ne faut pas négliger, de toute façon c’est une très forte remontée et je vais vous dire - je parle depuis le Gouvernement et je pense que ça n’indiffère pas tout à fait les Français -, ça veut dire que les Français ont confirmé l’alternance. Ils ont confirmé à ceux qui avaient des doutes qu’ils ne se sont pas trompés l’année dernière en remplaçant la majorité de M. Juppé par la majorité de M. Jospin. »

Q. Vous n’êtes pas un peu, je ne dirais pas déçu parce que le terme ne serait pas approprié...

R. « Non, vraiment pas, non ! »

Q. Non, non mais est-ce que vous ne pensez pas que le soutien a été plus mesuré que vous ne le pensiez ?

R. « Non, on a toujours pensé ça. Il y a un microcosme parisien dans lequel il nous arrive d’évoluer, vous comme moi, où il y a toujours des effets de mode. Et donc, comme il ne se produisait pas cette fois-ci qu’il y ait un vote d’avertissement ou de coup de semonce contre la majorité, du coup un certain nombre de gens se sont mis à fabuler en disant : et si c’était Jospin superstar. Et bien non, ça n’a pas été le cas, les Français sont partagés électoralement mais j’insiste pour dire que la perspective que représente aujourd’hui la gauche plurielle au pouvoir est soutenue par une majorité de Français, ils ne regrettent pas leur choix de l’année dernière. Et la perspective qu’aurait pu représenter une alternative de la droite n’a pas beaucoup intéressé les Français. Et il faut sans doute que la droite républicaine s’interroge sur ce fait. Son projet, je me rappelle très bien, P. Séguin au retour des vacances l’année dernière - après donc le choc des législatives et au moment de la rentrée parlementaire disait : maintenant, on sera jugé sur notre futur projet. Je pense que c’était une idée assez juste. Ils n’y ont, je crois, pas beaucoup travaillé. Il y a toujours cette ambivalence entre ceux qui sont pour ce qu’ils appellent le libéralisme, c’est-à-dire un durcissement toujours accru des rapports sociaux, au nom de la modernisation et ceux qui admettent que notre société doit être équilibrée, avec une part de solidarité et de soutien à l’emploi. Je crois que c’est plutôt les « durs », les libéraux un peu fanatiques qui l’emportent et je pense que les Français ne voient pas du tout cela comme alternative. Du coup, ils disent, la gauche plurielle avec sa politique équilibrée nous convient et on continue. »

Q. On ne vous marchandera pas que les Français ont soutenu la gauche plurielle et l’action du Gouvernement, est-ce que malgré tout ce soutien légèrement mesuré vous incite à procéder à quelques modifications ou dans le rythme ou dans les choix qui ont été ceux du Gouvernement depuis neuf mois ?

R. « Non, ça nous rappelle des choses que nous savons. Si l’extrême-gauche, dans une élection comme ça, gagne a peu près 2 % - ce qui fait quand même 3 ou 400 000 Français -, si de l’autre côté le score encore significatif que font des listes divers - et notamment les chasseurs qui aussi reprennent deux points par rapport au potentiel le plus large qu’aurait pu avoir la gauche plurielle -, ça indique quoi ? Ça indique qu’il y a des gens qui sont préoccupés de l’évolution à venir, qui pensent que la mondialisation crée des chocs sur la société française et met en cause des situations sociales ou des situations territoriales auxquelles ils tenaient, tout ça on le savait. Ça s’exprime dans les urnes, c’est la démocratie et ça oblige à mener une politique de modernisation de notre société qui prenne d’abord comme valeur, comme axe cardinal l’emploi et la solidarité. C’est en effet ce qui fait l’originalité de la politique de ce Gouvernement. Elle n’est jamais facile à mener parce que c’est un équilibrage entre des objectifs contradictoires, on a besoin d’être un pays compétitif, on a besoin de se moderniser mais on ne veut pas le faire en écrasant les gens. »

Q. Le Front national ?

R. « Ça, si on me demandait très sincèrement s’il y a une déception, c’est celle-là. J’espérais, si vous voulez, qu’avec la politique attentive à la sécurité des Français, avec la politique soucieuse d’une très grande honnêteté dans l’exercice des fonctions et une politique qui manifeste qu’il y a une gauche et une droite, que ce n’est pas pareil, j’espérais qu’on observerait un premier recul du Front national - dont par ailleurs les Français vérifient que c’est un vote sans issue. Quand on vote Front national, on condamne son vote à être un vote de protestation d’un jour et qu’ensuite, les élus qui portent ce vote n’exercent pas de responsabilité réelle. »

Q. Mais pourtant le score... ?

R. « Et ils sont restés à 15 %. »

Q. Est-ce que la gauche plurielle et son maintien en tant que gauche plurielle nécessitent le fait que vos alliés principaux, je veux parler du Parti communiste et des Verts, aient une région comme leurs responsables le demandent ? Est-ce que ce serait logique et nécessaire ?

R. « Ce sont les responsables des partis qui vont discuter de ça. Si j’avais à dire mon mot - j’ai été à un moment donné responsable de parti, à un moment où on gagnait moins les élections d’ailleurs c’est quand même la logique, qu’est-ce que vous voulez. C’est une formule que les Français ont ratifié. Ça n’allait pas de soi l’année dernière ; les gens pouvaient se dire, est-ce que c’est pas un collage de partis complètement disparates qui n’ont rien à voir entre eux et qui vont se tirer dans les pattes dès la première semaine ? Et j’ai bien senti qu’à chaque fois qu’il y avait un débat qui prenait un peu d’ampleur au sein de cette majorité, tout de suite les observateurs disaient, ça y est, ils commencent à se crêper le chignon, ça ne va pas marcher. On constate qu’on a été capable de mener des listes d’entente dans une grande majorité de départements, que les gens ont fait campagne ensemble. Partout où j’ai tourné, les gens étaient contents d’être ensemble et les électeurs donnent un soutien significatif à ça. Donc il faudrait vraiment être irrationnel pour briser. Ça va représenter des sacrifices, on a tous fait ça dans la responsabilité. Mais honnêtement, ça va donner lieu à des commentaires sur : ah ça y est, les marchandages etc. Dans tous les lieux où il y a du pouvoir, que ce soit dans une organisation syndicale de bouchers-charcutiers, que ce soit dans un club de foot, que ce soit dans une réunion de philatélistes, il y a des enjeux de pouvoir et les gens se disputent. Dans la responsabilité des collectivités locales, ça se produit aussi et je pense que l’on trouvera un accord dans lequel en effet, que ce soit par des présidences un peu emblématiques, que ce soit dans les partages des exécutifs - parce que j’imagine qu’on gagne l’Île-de-France, il va y avoir 12 ou 13 vice-présidents et ça sera celui qui sera vice-président aux Transports ou à l’Environnement, il ne restera pas les deux pieds dans le même sabot, ce sont des responsabilités lourdes -, il y aura forcément une synthèse des sensibilités de la majorité plurielle. »

Q. Synthèse et Parti socialiste...

R. « Ça, c’est un truc que l’on connaît bien ! »