Interviews de M. Robert Hue, secrétaire national du PCF, à France-Inter le 8, dans "Le Parisien" le 15, dans "Le Journal du Dimanche" le 17 et dans "L'Humanité" le 18 octobre 1999, sur les relations entre le PCF et la CGT, la participation des partis de gauche dont Les Verts à la manifestation pour l'emploi du 16 octobre organisée par son parti et le refus du PS d'y prendre part.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Manifestation pour l'emploi à l'initiative du PCF à Paris le 16 octobre 1999.

Média : France Inter - L'Humanité - Le Journal du Dimanche - Le Parisien

Texte intégral

France Inter – vendredi 8 octobre 1999

Q - Le lien organique existant entre la CGT et le Parti communiste depuis 1947 est-il rompu ? B. Thibault, secrétaire de la CGT, et à ce titre membre du Comité national du Parti communiste, vient d'annoncer que sa centrale ne participera pas à la manifestation contre le chômage organisée par le PC. Sans le Parti socialiste, sans les Verts de D. Voynet ou ceux de D. Cohn-Bendit, qui restera avec le PC ? R. Hue, vous êtes seul ?

 - “Pas vraiment. Je pense que cette manifestation va être un très très grand succès, trois partis de la gauche plurielle, contrairement à ce que vous venez d'affirmer, sur cinq, participent à cette manifestation. Les Verts ont décidé de participer et c'est sans ambiguïté.

Q - D. Voynet c'est sans ambiguïté non plus et même chose pour Cohn-Bendit.

- “Vous laisserez D. Voynet apprécier dans les jours qui viennent ce qu'elle pense de la manifestation. Il y a une prise de position des Verts aujourd'hui qui est sans ambiguïté pour la manifestation et je crois que c'est une bonne chose. Il y a une prise de position sans ambiguïté du Mouvement des citoyens. De nombreuses associations participent à cette préparation et je vois bien…”

Q - M. Hue, franchement, est-ce que c'est réaliste ce matin de dire que tout va bien ?

- “Qui vous dit que tout va bien ? Depuis ce matin on passe son temps dans les flashes d'information, dans les chroniques, celle de M. Aphatie en l'occurrence tout à l'heure, à dire que la CGT « appelle à ne pas participer » - c'est la formule de M. Aphatie – « à ne pas participer à la manifestation ». Qu'est-ce qu'on veut ? Est-ce qu'on veut aider la CGT ? Certainement pas. Ce qu'on veut c'est empêcher le succès d'une manifestation qui aura de toute façon un grand succès.

Q - Il y a un fait politique important, M. Hue, pardon !

- “M. Paoli, objectivement est-ce que vous trouverez dans la déclaration de la CGT la formule reprise par M. Aphatie tout à l'heure, que la CGT “appelle à ne pas participer à la manifestation” ? Oui ou non ? Répondez-moi là-dessus, c'est important pour l'information ! Je suis quelqu'un qui est tranquille, vous le savez, et je participe régulièrement à vos émissions en toute tranquillité. Là je trouve qu'on en fait trop !”

Q - Etes-vous d'accord pour qu'on prenne les choses dans l'ordre pour comprendre ?

- “Volontiers.”

Q - Depuis 1947, entre la CGT et le Parti communiste existait un lien organique, qui est rompu oui ou non ?

- “Mais le lien, non seulement est rompu depuis un certain nombre d'années, il a été confirmé par le Parti communiste dans ses congrès, par la CGT dans son dernier congrès, et même avant. Cette autonomie, cette indépendance du syndicat est vraiment quelque chose de maintenant essentiel pour l'évolution du mouvement ouvrier français.”

Q - Donc vous n'êtes pas surpris par ce qui se passe ?

- “Mais je ne suis pas surpris du tout, je ne suis pas surpris du tout. AU contraire ce qui pourrait surprendre c'est effectivement qu'il n'y ait pas de réaffirmation de cette volonté d'indépendance du syndicat. Mais, en même temps, je considère qu'il est très important aujourd'hui que la principale centrale syndicale française, en tous les cas l'une des principales, considère que les objectifs de la manifestation que j'ai proposée à la gauche pour le 16 octobre, eh bien ces objectifs conviennent, correspondent à des objectifs qui sont aussi les siens. Ca me semble très important. On découvre aujourd'hui que la CGT est autonome, indépendance, c'est une très bonne chose.”

Q - Mais, imaginiez-vous, quand vous avez lancé votre appel à la Fête de l'Humanité, que B. Thibault dirait : « Nous la CGT on n'y va pas, certes les militants font comme ils veulent, ils y vont s'ils le souhaitent ». D'ailleurs on a entendu, ce matin à l'antenne,  des militants CGT dire : « Nous on ira. » Mais enfin, quand même, B. Thibault le patron de la CGT dit : « La CGT n'y va pas ». Ce n'est pas rien !

- “B. Thibault dit effectivement que la CGT ne participe pas à l'organisation de cette initiative, qu'elle laisse effectivement ses syndiqués, dans le cadre de leur choix citoyen, la possibilité de participer. Je comprends bien cette démarche. Un sondage d'opinions fait sur cette manifestation que j'ai proposée, atteste que 80 % des syndiqués de la CGT se retrouvent dans cette manifestation. Je vais vous dire, puisqu'on parle franchement, ce matin, alors j'ai bien entendu M. Apathie. Il dit que je vais faire un bilan d'autosatisfaction. Certainement pas ! Vous sentez bien mon propos, ce n'est pas le cas. Je voudrais dire qu'il y a déjà des dizaines de milliers d'inscrits pour cette manifestation. Il y a des centaines de cars, des dizaines de trains, des TGV, ça va être une très grande manifestation. Vous pensez un seul instant que ces hommes et ces femmes qui vont venir, ils viennent à l'appel du Parti communiste, et qu'il n'y a pas là des syndiqués de la CGT ? Mais qu'est-ce que c'est que ces histoires !”

Q - Mais J.-M. Aphatie n'y est pour rien !

- “Les liens existent historiquement entre le Parti communiste et la CGT…”

Q - R. Hue, pardon, mais quand même J.-M. Aphatie qui est un remarquable journaliste, vous posait une question que je vous pose à mon tour. Vous avez fait un choix politique, qui est le vôtre, qui consiste à organiser une manifestation contre le chômage en pensant rassembler la gauche. Ce n'est pas le cas, qu'est-ce que vous en tirez comme enseignement personnel ?

- “La manifestation que j'ai proposée – chacun prend ses responsabilités – c'est d'être une très grande manifestation des forces de gauches et sociales contre les licenciements – je dis bien contre les licenciements – pour l'emploi, parce qu'il faut enfin que les forces politiques dans ce pays prennent leurs responsabilités et disent : « On ne peut pas laisser le patronat, le grand capital, mener une campagne folle de fuite en avant sans réagir ». Donc, en tant que force politique, je prends mes responsabilités. Il y a des forces politiques qui ont répondu à cette invitation.”

Q - Oui mais franchement R. Hue vous êtes un homme…

- “Non, non, mais ne dites pas franchement…”

Q - A ce micro vous n'avez pas tenu de langue de bois, alors il n'y a pas les socialistes…

- “Je n'ai pas de langue de bois du tout.”

Q - Il n'y a pas les socialistes. Encore une fois, les Verts de D. Voynet et ceux de D. Cohn-Bendit ont dit qu'ils ne venaient pas. Vous vous retrouvez avec qui ? Avec Laguiller, avec Krivine, avec qui vous êtes ?

- “Mais ce n'est pas vrai, je vous demande de me… Les Verts, c'est pas possible de faire l'information comme ça.”

Q - Ah ! Mais c'est une question que je vous pose.

- “Les Verts ont dit, explicitement – mais interveniez auprès de leurs dirigeants, ils vous le diront !– qu'ils participaient à cette manifestation.”

Q - Enfin pas D. Voynet, pas Cohn-Bendit !

- “Vous me dites les Verts, c'est clair ! Cohn-Bendit c'est vrai, il a dit qu'il ne trouvait pas intelligent la position des Verts, mais c'est sa responsabilité, c'est pas moi qu'il l'ai dit et je pense que…”

Q - … mouvement quand même hein.

- “Mais c'est vrai, il a pas dit ça Cohn-Bendit ?”

Q - Ah si sûrement…

- “Donc je dis que cette manifestation va être un succès de toute façon. Je vois bien, je vois bien, par la passion y compris qui anime ce matin notre rencontre que cette manifestation pose un problème, un problème majeur : c'est, est-ce que, oui ou non, dans ce pays, il y aura la possibilité de rassembler – on verra qui sera là – les forces politiques et les forces sociales pour dire : « Halte là, à ce nouveau capitalisme ; halte là à ce qui est en train de passer ! » Voilà ce que je fais, je suis dans ma responsabilité. On dit trop que les politiques ne s'engagent pas. Au nom du Parti communiste je m'engage et donc je donne rendez-vous à ceux qui portent ces jugements sur la manifestation. Je leur donne rendez-vous au 16 octobre au soir.”

Q - Personne ne dira que vous n'assumez pas vos responsabilités parce que, là, pour de bon, vous les assumez fort bien.

- “Complètement.”

Q - Sauf que, tout de même alors, au sein même de votre mouvement il y a un débat important. Moi je lis dans les dépêches ce matin – ce n'est plus Aphatie, ce n'est pas Paoli, ce sont des faits !– qu'au sein de votre mouvement il y a maintenant 700 communistes qui signent un texte critique de la direction. C'est-à-dire que le débat entre les anciens et les modernes au sein du PC est en train de se faire.

- “M. Paoli, je voudrais que vous soyez comme ça avec les autres forces politiques !”

Q - Mais je suis comme ça avec tout le monde, rassurez-vous !

- “Il y a 210 000 adhérents au Parti communiste. Vous me dites qu'il y en a 700 qui signent un appel. Mais c'est normal, c'est la démocratie.”

Q - C'est un débat interne.

- “Et alors ? On a reproché pendant des années qu'il n'y avait pas de débats au Parti communiste – ce qui n'était pas vrai d'ailleurs. Aujourd'hui, il y a des gens qui affirment leur diversité et c'est pas bien ! Mais quoi que fasse le Parti communiste ce n'est jamais bien de toute façon pour un certain nombre…”

Q - Ce n'est pas ce qu'on dit !

- “Ecoutez, les auditeurs et les électeurs trancheront dans ce débat. Mais il est clair qu'aujourd'hui l'acharnement qu'il y a.”

Q - Je cherche à comprendre ce qui se passe chez vous.

- “C'est un acharnement fort pour comprendre alors !”

Q - Bien oui, c'est notre métier d'essayer de comprendre !

- “Ah ! Ecoutez c'est formidable ! Je cite des choses très concrètes à propos de l'interprétation qu'on fait de la CGT et de sa décision. Loin de moi l'idée de dire que la CGT a dit qu'elle était organisatrice. Ce n'est pas vrai. La CGT a dit qu'elle n'était pas organisatrice. Mais, en même temps, elle laisse le soin à ses syndiqués de participer, donc qu'on ne dise pas qu'elle appelle à ne pas participer à la manifestation.”

Q - Mais on n'a pas dit ça !

- “Si, M. Aphatie !”

Q - Non, non, non !

- “Ecoutez, je vous demande qu'on réécoute la bande. Je l'ai noté, j'étais dans le studio. Il est dans le studio. Non, mais ça vaut le coup de faire de la déontologie en matière journalistique aussi.”

Q - Autant que vous voulez.

- “Je demande M. Paoli, qu'on réécoute le passage de M. Aphatie où il dit : « la CGT appelle à ne pas participer à la manifestation. »”

Q - Aphatie, Jean-Michel, approchez-vous du micro ! Avez-vous dit que la CGT appelait à ne pas participer ?

R. Hue : “Non, mais reprenez votre papier, M. Apathie, parce que tous les matins vous portez des jugements sur le Parti communiste et je ne peux pas vous répondre. Là je suis là, et j'entends vous répondre.”

J.-M. Aphatie : “J'ai dit ça hein. Ca veut dire qu'il y a au moins un dirigeant communiste, B. Thibault en l'occurrence, qui a refusé l'idée de cette manifestation.”

R. Hue : “Non, non, mais vous avez dit aussi « à ne pas participer ». Mais reprenez votre papier !”

Q - Non mais attendez, R. Hue !

R. Hue : “C'est formidable !”

Q - C'est vous montrer qu'il n'y a pas de parti pris a priori, il y a une réalité objective…

R. Hue : “Qu'est-ce que ça serait s'il y en avait !”

Q - Le fait, c'est ce qu'a avancé M. Thibault. C'est une vraie question pour vous. Je comprends que vous vous défendiez, tout le monde le comprend…

R. Hue : “Quand on m'attaque je me défends. On dit le contraire de ce qu'a dit B. Thibault, interrogez-le !”

Thibault dit : “La CGT n'y va pas, les militants font ce qu'ils veulent.”

J.-M. Aphatie : “Voilà c'est ça.”

R. Hue : “Et alors ?”

Q - C'est pas rien !

R. Hue : “Non, mais « la CGT n'organise pas » : dit Thibault, il ne dit pas : « la CGT n'y va pas. » Mais il sait très bien, B. Thibault, et je crois pouvoir le dire, il sait très bien qu'il y a des milliers – et il ne le conteste pas, l'encourage même – il y a des milliers et des milliers de syndicaliste de la CGT qui seront dans cette manifestation et aussi de la CFDT.”

Q - Est-ce que vous pouvez nous dire décemment ce matin : « Tout va bien, c'est de la démocratie au sein de mouvement » ? Mais il y a un vrai problème quand même M. R. Hue ?

- “Est-ce que j'ai dit cela M. Paoli ? Je dis que c'est très bien effectivement qu'une centrale syndicale puisse se déterminer en tout indépendance. Ca n'est pas un fait nouveau, on le découvre aujourd'hui, on ne le découvre pas pour aider la CGT. Tous ceux qui aujourd'hui se flattent d'une position où la CGT n'appellerait pas – ce qui n'est pas le cas -, en fait, ils ne veulent pas servir la CGT, ils veulent casser la manif du 16. Mais ils n'y arriveront pas, voilà ce que je veux dire avec passion, mais parce que, quand on m'attaque je me défends.”

Q - On va rester là dessus, comme ça vous avez le dernier mot. Donc vous dites : « Ca va marcher » ? On verra le jour de la manif !

- “Je suis certain que cette manifestation aura un formidable succès. Elle est contre ce nouveau capitalisme, c'est pour ça qu'elle suscite effectivement des réactions. C'est nouveau, les politiques se mouillent, nous nous mouillons, et nous allons dire les choses avec la force nécessaire.”

Q - P. Bertin, qui dirige l'information sur France Inter me dit : « On a le son de B. Thibault », vous voulez qu'on l'écoute ensemble ?

- “Volontiers.”

Q - On écoute B. Thibault, ce qu'il disait. Là, vraiment, c'est la parole, c'est la bouche du cheval !

- “Passage antenne de B. Thibault : « Nous avons décidé de ne pas être co-organisateurs de cette initiative, tout en en comprenant les objectifs sociaux, essentiels, et nous souhaitons par conséquent laisser à chacun de nos membres, de nos sympathisants, le soin de se reconnaître ou pas dans ce type d'initiative. Ca ne veut pas dire pour autant qu'avec quelque parti que ce soit d'ailleurs, à l'avenir nous ne puissions nous retrouver sur des batailles qui nous soient communes. Nous examinons chacune des sollicitations dans leur contexte, et en l'occurrence celui-là ne nous semble pas correspondre aux besoins que nous avons de préserver l'espace qui est le nôtre. Nous ne sommes pas une composante de la majorité gouvernementale et nous ne souhaitons donc pas interférer dans un débat qui n'est pas le nôtre.”

R. Hue : “Très bien M. Paoli ! Je vous remercie d'avoir passé B. Thibault. Enfin les choses sont rétablies. B. Thibault – les auditeurs viennent de l'entendre – vient de dire qu'il n'était pas organisateur, qu'il laissait le soin aux syndiqués de la CGT de pouvoir participer à cette initiative.”

Q - C'est une première ?

- “Ce n'est pas une première…”

Q - La CGT a toujours été à vos côtés pour les grandes manifestations.

- “Mais, écoutez, c'est assez méprisant, à mon avis – je ne dis pas que c'est votre propos…”

Q - Non, il n'y a pas de mépris.

- “Je dis que c'est assez méprisant de dire que la CGT aujourd'hui devient une centrale syndicale indépendante. Elle l'est depuis un moment, elle n'a pas attendu qu'il y ait un débat autour de cette manifestation pour le montrer. Et je me félicite de cette indépendance, je me félicite qu'il n'y ait plus cette courroie de transmission qui a existé un temps effectivement. Je m'en félicite, ça participe de la modernité et de la vie syndicale et de la vie politique. Mais ceux qui veulent opposer le Parti communiste et la CT n'y arriveront pas. Il y a des liens historiques privilégiés entre nous et c'est ce qui fait partie de la force du mouvement ouvrier français.”


LE PARISIEN: 15 octobre 1999

Q - Demain, les socialistes vont rester chez eux. Vos amis de la CGT vous ont lâché. Les trotskistes, en revanche, seront là. Finalement, avec votre manif contre les licenciements, vous vous êtes piégé ?

Robert Hue. C'est exactement l'inverse. Cette manifestation est en train de se retourner comme un véritable boomerang contre tous ceux qui s'étaient aventurés un peu vite à en prédire l'échec. Avant même d'avoir eu lieu, elle est au coeur de la vie politique française. Tout le monde en parle. Chacun se situe par rapport à elle. Ce sera un grand événement : il y aura un « avant » et un « après ».

Q - Le PS ne sera pas là !

Parmi les dizaines de milliers de manifestants, il y aura, croyez-moi, des élus et des militants PS en nombre. Il y aura, de la même façon, de très nombreux syndicalistes. Si la CGT n'est pas coorganisatrice de cette manif, elle a dit clairement qu'elle se retrouve dans ses objectifs. Je sais que certains rêvent de notre échec, mais les faits sont là : trois des cinq partis de la « majorité plurielle » (le PC, le Mouvement des citoyens et les Verts) appellent à défiler. Et une vingtaine d'organisations avec eux, dont la Jeunesse ouvrière chrétienne (JOC), les associations de chômeurs et les sans-papiers. Je sens une vague de fond qui monte. Elle est de nature à changer beaucoup de choses.

Q - A titre personnel, comme membre de la direction du PC, Bernard Thibault, sera à vos côtés. Mais la CGT, elle, vous a bien lâché ?

Qui a inventé cette histoire de lâchage ? La CGT a totalement raison de poursuivre sa démarche d'indépendance. Un syndicat n'est pas un parti. Pendant longtemps, il y a eu une histoire commune du PC et de la CGT et, entre nous, une sorte de lien mécanique. On parlait d'une « courroie de transmission ». Tout cela est fini. C'est très bien.

Q - Et les trotskistes ?

Ils vont défiler, et alors ? Combien de fois, dans le passé, ne m'a-t-on reproché d'ignorer des hommes et des femmes qui, à leur façon,  se battent eux aussi, contre les licenciements ?
Aujourd'hui, les jours pairs, on nous dit : « Ils vous taillent des croupières. » Et les jours impaires : « Qu'est-ce que vous faites ensemble ? » Il faudrait choisir.

Q - Comment expliquez-vous le refus de François Hollande ?

Le PS craint le mouvement populaire. Devant cette perspective, je le sens immédiatement rétif, inquiet, crispé. Or je pose la question aux socialistes : dans l'histoire de ce siècle, y a-t-il une seule grande réforme de gauche qui ait réussi sans l'appui du mouvement populaire ? Non. Qu'on songe à 1936, à 1945, à 1968 !... Quand Seillière a pris l'initiative de se comporter en véritable porte-parole politique des puissances financières et de la droite, il tablait sur une gauche frileuse, sans ressort populaire. Il a déjà perdu : notre manifestation sera très supérieure à celle du Medef.

Q - Le PS vous suspecte de vous préparer à prendre la tête d'une manifestation objectivement antigouvernementale…

Je veux la réussite de la « gauche plurielle ». Mais vouloir ignorer le mouvement populaire, voire tenter de s'y opposer, aurait de lourdes conséquences pour ceux qui s'y risqueraient. Heureusement, j'en ai la conviction, au terme de la manif, demain soir, rien ne sera plus  comme avant. Nous vivons la naissance d'un véritable mouvement de résistance française contre les ravages de la mondialisation capitaliste. Ce mouvement, nous en avons pris l'initiative. Maintenant, il ne nous appartient plus. Nous n'en avons pas le monopole, et c'est bien ainsi.

Q - Lionel Jospin juge vos objectifs « peu clairs ». Le slogan « non aux licenciements » n'est-il pas très vague ?

Ce n'est pas rien que de redonner espoir aux hommes et aux femmes victimes des plans sociaux alors que la gauche est au pouvoir ! L'arrogance de MM. Seillière et Michelin est insupportable.

Q - Quelles réformes souhaitez-vous ?

1. Une loi qui bloque les plans sociaux avant qu'aient été envisagées toutes les autres possibilités. 2. La mise en place sans délai d'une commission nationale de contrôle de l'utilisation des fonds publics versés aux entreprises. 3. La transformation des emplois jeunes en emplois durables. Il va falloir légiférer très vite.

Q - Comment s'est passé votre déjeuner en tête-à-tête de lundi dernier avec Lionel Jospin ? On dit que la conversation a été très chaude…

Nous avons eu un échange approfondi. Nous avons chacun analysé la situation politique et évoqué l'évolution de la majorité plurielle. Le ton a été très franc, très loyal, mais aussi très cordial. Ce fut un déjeuner constructif.

Q - Jean-Christophe Cambadelis, député PS de Paris et bras droit de François Hollande, dit que le PC est désormais « un parti politiquement sans objet ». Cela vous choque ?

J'ai du mal à suivre la cohérence du propos de Cambadelis. Comment peut-on dire cela de nous et prétendre, en même temps, constituer une majorité avec nous ? En tout cas, je n'ai vraiment pas le sentiment que Lionel Jospin, lui, considère que le PC est « sans objet ».

Q - Il a forcément parlé de votre manifestation ?...

Disons que le Premier ministre ne m'a donné à aucun moment le sentiment de souhaiter l'échec de notre initiative.

Q - A partir de quel seuil crierez-vous victoire ?

Tout le monde sera surpris. Au départ, je tablais sur 30 000 personnes, nettement plus que ce qu'a fait le patronat. Non seulement ce défi-là sera relevé, mais on ira bien au-delà. Ceux qui répètent que le PC est un parti qui décline en seront pour leur frais. Ah ça ! Oui, vraiment, nous sommes bien vivants !


LE JOURNAL DU DIMANCHE: 17 octobre 1999

Q - Dites-vous toujours : « Rien ne sera plus comme avant » ?

Plus que jamais ! Il est évident qu'il vient de se passer un événement majeur. Les politiques sont décriés comme impuissants, hors-jeu, et là, pour la première fois, une force politique dit « non » à la fuite en avant d'un néocapitalisme arrogant, indécent, « non » à une mondialisation folle. Tout le monde est à la recherche de repères pour y résister. Aujourd'hui a eu lieu la première contre-offensive significative, la contre-offensive commune de forces politiques et du mouvement populaire. C'est totalement inédit et cela ira loin.

Q - Le climat social va-t-il se tendre, la lutte des classes reprendre ?

La lutte des classes ne se décrète pas, elle existe. L'annonce de licenciements par milliers en est bien l'expression. Mais je crois, oui, à un regain de mobilisation. Le mouvement populaire vient de trouver un nouvel élan, son expression est très forte.

Q - Êtes-vous devenu l'interlocuteur privilégié du gouvernement ?

Je ne prétends à aucun monopole. Mais le mouvement que j'ai initié, et que d'autres ont rejoint, (la moitié de la gauche plurielle en fait partie) va peser lourd désormais.

Q - Que souhaitez-vous que Jospin entende en priorité ?

Que ce mouvement populaire n'est pas dirigé contre lui mais pour sa réussite. Les slogans contre le gouvernement ont été très peu nombreux. La tonalité générale a été très constructive. Une génération nouvelle de mobilisation populaire est née, réaliste, puissante mais sans excès et surtout constructive.

Q - Vous annoncez une « suite » qu'en est-il ?

Mercredi, nous allons nous retrouver, tous les organisateurs, soit une vingtaine de formations et associations, y compris l'extrême gauche, pour tirer le bilan et voir comment ce nouveau mouvement de résistance à la mondialisation peut faire émerger des solutions nouvelles, concrètes. Nous ne voulons pas être « un pôle de radicalité », je le répète : nous voulons être constructifs et notre démarche n'est pas d'opposition à la gauche plurielle. Nous sommes porteurs d'une démarche politique au coeur du mouvement populaire. Je récuse l'image du grand écart.
Nous sommes en équilibre, un bon équilibre, avec un pied dans les institutions et le gouvernement, l'autre dans le mouvement populaire. Et je récuse évidemment le slogan « on soutient le gouvernement mais pas sa politique ».

Q - Votre manifestation a créé des tensions dans la gauche plurielle, le regrettez-vous ?

Non. Il est bon que la gauche soit un peu secouée, sorte du ronron d'autosatisfaction de la fin de l'été.

Q - Votre mauvais score aux européennes est-il oublié ?

Ce n'était pas l'objectif, et vous découvrirez que l'influence du PC n'est pas seulement électorale. Mais il est clair que nous avons repris la main.


L'HUMANITÉ: 18 octobre 1999

Q - Au lendemain de cette manifestation qui a vraiment pris l'allure d'un événement politique, quels premiers bilans en tirent le PCF qui en a été l'initiateur ?

Robert Hue. Tous les observateurs – même les plus amers - s'accordent à reconnaître que cette manifestation constitue un immense succès qui change la donne. Ce succès est, en tout premier lieu, celui de ces dizaines de milliers d''hommes et de femmes, salariés, citoyens, militants politiques, associatifs, syndicalistes qui, collectivement ou individuellement, en se rassemblant dans toute leur diversité, ont donné de la force et de l'espoir à toutes celles et tous ceux qui n'acceptent pas les violences sociales qu'engendre, en matière de chômage, de précarité, d'exclusion et d'inégalités, la fuite en avant du patronat et des marchés financiers.
Le succès de la manifestation, c'est également cette dynamique unitaire progressiste qui s'est construite avec d'autres forces politiques et sociales de la gauche plurielle et au-delà, au lendemain de l'appel des communistes à la Fête de l'Humanité. Le succès de la manifestation, c'est aussi que cet événement se soit réalisé dans un cadre pluraliste inédit. La configuration nouvelle, issue de « la manif » du 16 octobre, montre que la gauche plurielle se vivifie à gauche dans son rapport avec le mouvement populaire, et qu'elle est capable de se retrouver avec des forces politiques et sociales qui n'appartiennent pas, à strictement parler, à la majorité plurielle. Et cela dans un débat d'idées qui ne s'est pas trompé de cible face au patronat et au capital, sans concession à l'égard du gouvernement, mais généralement sans excès.

Q - Le premier secrétaire du PS, François hollande, visiblement tendu, a parlé samedi soir d'un épisode dans l'histoire de la gauche plurielle. Partagez-vous cette appréciation ?

Robert Hue. Le Parti socialiste ne croyait pas au succès de cette manifestation. Il regrette certainement d'avoir – comme d'autres – beaucoup sous-estimé la capacité des communistes à initier ce mouvement populaire, et, en la circonstance, à fédérer une partie de la gauche plurielle et d'autres forces politiques et sociales. Si François Hollande pense qu'il s'agit d'un « épisode », je lui dis amicalement que ce feuilleton populaire risque d'en compter de nombreux. Que nous en sommes au tout premier.

Q - Vous avez déclaré en fin de semaine qu'il y aura un avant et un après 16 octobre. Quelles suites envisagez-vous d'impulser ?

Robert Hue. Dans l'immédiat, le Parti communiste a proposé aux organisateurs de se retrouver mercredi pour tirer les enseignements et voir les prolongements qu'il sera possible de faire vivre. Aucune formation, ni personne, n'a le monopole de la réussite de cette manifestation. Avec tous ceux qui l'ont permis, il faut réfléchir à ses prolongements. Je pense, quant à moi, que nous vivons, avec cet événement, l'émergence d'un mouvement de société profond, de résistance à la déferlante ravageuse des marchés financiers, en France, en Europe, et dans le monde.
On peut imaginer d'autres actions à venir. Notamment au plan européen, par exemple à la veille du sommet de Seattle…

Q - Beaucoup d'observateurs ont perçu un certain sentiment de bonheur se dégager de ceux qui ont manifesté. Partagez-vous cette impression ?

Robert Hue. Tout à fait. Cette manifestation a été pour beaucoup un moment de bonheur. Bonheur d'être ensemble de ceux qui souffrent : salariés en lutte, chômeurs, jeunes… Bonheur de se sentir plus forts, de sentir qu'on peut peser sur la réalité. Bonheur qui va du militant de base, comme on dit, aux dirigeants. Bonheur d'autant plus grand qu'humainement on apprécie d'autant plus le succès quand les coups ont été rudes.